Pas droit au savoir laïc
Des juifs hassidiques défroqués réclament une instruction de base
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La Loi sur l’instruction publique est claire. Tous les enfants de 6 à 18 ans ont droit à une éducation primaire et secondaire et au régime pédagogique établi par le gouvernement. Tous ? Sauf certains enfants hassidiques qui étudient toujours dans des écoles contournant ce régime.
Yussef, 25 ans, vient de terminer une maîtrise à l’extérieur du Canada. « J’aimais le Québec, c’est mon pays après tout. Mais, parce que j’ai été privé d’instruction, je ne pouvais pas rester là. Je ne connaissais même pas l’anglais quand je me suis enfui à 18 ans. Le français, on n’en parle même pas »
Yussef s’interrompt, s’éclaircit la voix. « Je veux qu’on sache qu’on nous prive d’un droit fondamental à l’éducation. Mon appétit intellectuel m’a forcé à me rebeller contre ma religion pour pouvoir apprendre, m’a poussé à l’exil. J’aurais tellement souhaité que le gouvernement du Québec fasse appliquer sa loi. Comment se fait-il qu’il ne l’ait jamais fait ? Notre école était pourtant sur son territoire ? »
Instruction distincte
Dans les sociétés hassidiques à New York, en Israël ou ici, les filles ont droit à une éducation séculière minimale. Comme ce sont elles qui doivent administrer le ménage, elles doivent avoir un minimum de connaissances : la langue du pays, les mathématiques, un peu d’histoire.
Mais, pour les garçons, ce qui compte, c’est l’éducation religieuse. Certains garçons hassidiques n’ont donc pas accès au minimum des apprentissages prévus par la loi.
Ils étudient très fort, mais cet enseignement fait d’eux de quasi analphabètes en sciences, en français, en anglais ou en géographie.
Un vieux problème
Ça fait des années que le ministère de l’Éducation du Québec connaît les défaillances du système d’éducation hassidique : non-respect du régime pédagogique, enseignants non qualifiés, etc. Certaines communautés sont plus délinquantes que d’autres. (Voir texte ci-contre)
Pourtant, lorsque le problème de l’éducation marginale des hassidiques a été connu du grand public, le gouvernement s’était engagé à rectifier le tir. Ça fait 5 ans.
Depuis, les émissaires du ministère ont négocié, menacé, inspecté. Or, si certaines communautés ont fait de nets efforts, le dernier rapport de la commission sur l’enseignement privé nous apprend que des milliers d’enfants sont toujours scolarisés dans un système qui échappe, entièrement, ou en partie, au contrôle du ministère.
Un droit fondamental ?
Nick Moster a grandi chez les belz de New York. À Montréal, ce groupe vit dans le Mile-End et son école de garçons accuse toujours de gros manquements au régime pédagogique.
Moster a quitté sa communauté, voilà cinq ans, pour pouvoir devenir psychologue, son rêve.
L’accomplir est une épreuve de force, il lui a fallu apprendre l’anglais, suivre des cours de rattrapage en sciences. Le parcours est long, fastidieux. Tout cela, parce qu’à l’école belz, il n’a étudié que le Talmud.
« On m’a privé d’un droit fondamental. On a privé mon esprit de nourriture. J’ai porté plainte au ministère de l’Éducation de l’État de New York. Pourquoi les enfants hassidiques n’ont pas droit à une instruction de base ? »
Nick Moster vient de fonder à New York, une association (Young Advocates For Fair Education) qui s’est donné le mandat de réunir l’État et les dirigeants hassidiques pour les sensibiliser au droit à une instruction séculière minimale.
« Les hassidiques invoquent la liberté de religion pour éduquer les garçons comme ils l’entendent. Je veux leur faire comprendre que ça n’a rien à voir avec le judaïsme qui a toujours valorisé l’instruction. Si nous n’avons pas d’instruction, nous sommes prisonniers de la communauté. Je revendique cette liberté de choix. »
Au Québec, le ministère nous a fait valoir qu’il continuait ses démarches et que les délinquants s’exposaient à des conséquences légales.
Recours collectif
Au début février, un recours collectif a été intenté contre le gouvernement israélien pour le même problème.
Une douzaine d’hommes et de femmes scolarisés dans des écoles ultra-orthodoxes réclament une compensation financière pour leur éducation déficiente.
Les demandeurs prétendent qu’ils ont dû dépenser des sommes importantes pour parfaire leur éducation et accéder à l’université.