La Charte fut un succès, chut !
Aubin

Après 30 ans, la seule question valable au sujet de la Constitution canadienne et de la Charte des droits et libertés, c’est : est-il arrivé une seule fois dans votre vie que l’une ou l’autre aient brimé une de vos aspirations raisonnables ?
C’est difficile, en tout temps, de discuter de cet événement – la déclaration d’indépendance du Canada et la proclamation d’une charte des droits et libertés. C’est d’autant plus difficile d’y voir clair et d’en parler sereinement cette semaine que ces événements se sont déroulés il y a 30 ans aujourd’hui même, le 17 avril 1982.
Il s’agit évidemment d’un événement historique d’une importance absolue, qui a modifié la société canadienne. C’est aussi difficile d’y réfléchir avec sérénité, parce que la narration des événements, par les deux côtés est si biaisée qu’elle confine à la propagande.
Le Québec n’a pas signé la Constitution, même si cela ne l’empêche pas de s’appliquer ici – et n’empêche pas Québec de s’en servir à son avantage au besoin.
La nuit des longs couteaux ?
Les nationalistes parlent de la « nuit des longs couteaux » – de la « conspiration du Canada anglais » pour diluer l’identité québécoise, et réduire le statut du Québec au rang d’une province sur dix. Mais le Québec n’était-il pas déjà qu’une province sur dix ?
Les nationalistes décrivent le Québec comme la victime de la fourberie du Canada anglais qui a comploté dans le dos de sa délégation, qui s’était retirée.
C’est une façon de voir. Il y en a une autre : huit provinces, pas seulement le Québec, s’opposaient au rapatriement par peur de perdre des pouvoirs. C’est Bill Davis, premier ministre de l’Ontario, après une rencontre impromptue avec Jean Chrétien et les ministres de la Justice de l’Ontario et celui de la Saskatchewan, McMurtry et Romanow, qui a fait un « forcing » sur Trudeau : si tu tiens à la Charte, consens à une clause nonobstant, qui permettrait aux provinces de la contourner. Sinon, oublie ça.
Donc, on peut aussi dire que ce ne fut pas tant le Canada anglais versus le Québec, mais plutôt les provinces versus Ottawa et que les provinces ont gagné. On peut aussi considérer que la victime de cette « nuit des longs couteaux » fut Pierre Elliott-Trudeau lui-même. Pour obtenir le rapatriement et la Charte, il a dû faire une concession – dévastatrice à son avis – et permettre aux provinces d’ignorer la Charte des droits à leur guise – c’est ce qu’a fait Robert Bourassa, un fédéraliste ! – pour contourner un jugement de la Cour suprême et imposer la Loi 178, donnant préséance au français sur les affiches commerciales.
Les droits des francophones
Si vous êtes, disons, un homosexuel, un dissident, ou un membre de quelque minorité, vous ne pouvez pas critiquer une charte qui vous donne le droit d’être ce que vous êtes...
Et si vous êtes un francophone, du Québec, des Maritimes, ou d’ailleurs, la Charte vous confère les mêmes droits individuels qu’à tous les autres. Pas sûr que c’était le cas pour les francophones au Canada, disons, en 1960...
Ce que les péquistes ont perdu, avec la Charte, c’est le pouvoir de déclarer – officiellement – que les « droits collectifs » des francophones peuvent avoir préséance sur les droits individuels des « autres », parce que « nous » sommes une minorité linguistique et culturelle.
Mais, est-ce vraiment une perte ? L’idée est séduisante, mais est-ce vraiment le genre de société que nous voulons construire ici, basée sur la dictature de la majorité ?
À l’évidence, ni la Charte ni la Constitution n’ont empêché les Québécois de se gouverner à leur guise, ni de s’affirmer tels qu’ils sont. Sinon, les Québécois se seraient révoltés, sans même se faire prier, et auraient voté massivement pour l’indépendance il y a belle lurette. Mais cela, les nationalistes ne l’admettront jamais...