La régie ne peut rien faire
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Tony Accurso peut dormir tranquille. Même s’il est reconnu coupable, ses entreprises pourront continuer de recevoir des contrats publics, grâce à un stratagème aussi simple qu’astucieux qui s’est opéré dans les derniers mois, a appris le Journal.
Le puissant homme d’affaires a en effet retiré son nom de la fameuse licence d’entrepreneur 5582-4288-01, utilisée par la plupart des entreprises de construction de son empire.
Ce sont désormais cinq de ses collaborateurs, ne faisant pas l’objet d’accusations criminelles, qui sont inscrits comme répondants auprès de la Régie du bâtiment du Québec (RBQ).
En fait, le nom d’Accurso ne figure plus sur aucune licence d’entrepreneur. Il a toutefois conservé tous ses liens de propriété, dont celui avec Louisbourg SBC, la société en commandite dont les divisions obtiennent de nombreux gros contrats publics pour construire des routes, des ponts et des réseaux d’aqueduc.
Résultat: La RBQ n’a aucun moyen, avec la législation actuelle, de sanctionner les entreprises de l’empire Accurso. Elle ne peut ni restreindre, ni annuler les licences.
« Si un individu, quel qu’il soit, est reconnu coupable mais n’est lié à aucune licence, il est bien évident que la RBQ n’a pas de juridiction, de sanction possible contre cet individu-là », confirme Sylvain Lamothe, porte-parole de la Régie.
« Les fraudeurs s’adaptent »
Ce stratagème a été possible en exploitant une des largesses du projet de loi 35, adopté en décembre dernier, qui visait justement à empêcher les criminels de faire affaire avec les villes et les gouvernements.
Ainsi, une personne reconnue coupable de fraude pourrait financer une entreprise, mais si elle n’est pas reconnue comme administrateur, la RBQ ne peut rien faire.
« La loi 35 permet (à un criminel) de financer une entreprise, mais pas de prendre des décisions sur le conseil d’administration », reconnaît Charles Robert, du cabinet de la ministre du Travail Lise Thériault.
« Les fraudeurs fiscaux s’adaptent très vite à la nouvelle législation. La ministre a toujours dit que s’il faut moduler la loi 35 pour s’adapter, on va le faire », poursuit-il.
Pas prévu
Pour Michel Picard, spécialiste des crimes économiques, même les nouvelles lois ont grand besoin d’être renforcées.
« La faiblesse des lois, c’est que ça semble facile d’incorporer des entreprises sous un autre nom pour se repartir. Le gouvernement n’a pas prévu que quelqu’un avait juste besoin de changer une lettre dans son nom pour avoir une nouvelle compagnie », estime-t-il.
Retirer ou modifier un nom associé à une licence est facile : un simple formulaire à remplir et à envoyer à la RBQ.
Toutefois, le porte-parole précise que la Régie se réserve le droit de faire des vérifications.
« Si la régie a des motifs raisonnables de croire que quelqu’un exerce toujours un lien (d’administrateur) avec l’entreprise, il pourrait y avoir une action sur la licence », dit Sylvain Lamothe.