René nous raconte
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Bien peu de gens croyaient que l’aventure de Céline Dion à Las Vegas serait couronnée de succès. Les plus pessimistes disaient même que ce serait un deuxième Titanic qui coulerait et que le spectacle ne durerait pas deux mois. Dix ans après l’arrivée de la chanteuse québécoise dans la capitale mondiale du jeu, René Angélil s’est remémoré, avec le Journal, comment toute cette histoire a commencé.
Le commencement, Le spectacle O
Au départ, Céline devait donner un dernier grand spectacle, le 31 décembre 1999, au Centre Molson, avant de prendre un congé d’au moins deux ans afin de faire un enfant. Mais les choses ne se sont pas déroulées comme prévu.
«Après le spectacle, on avait un 747 qui nous attendait. On a amené 250 personnes, nos amis et nos familles à Las Vegas pour célébrer l’an 2000, se souvient René. Le 3 janvier 2000, on allait voir O au Bellagio.
«Céline a tellement été séduite par le show. Elle avait été vraiment débalancée d’avoir vu un spectacle comme ça. Elle était clouée à son siège après le show. Elle ne voulait plus partir. Elle avait tenu à rencontrer les artistes. Elle leur avait parlé pendant dix minutes, en leur disant à quel point ils étaient bons.
«Deux semaines plus tard, on recevait une lettre de Franco Dragone, qui nous disait qu’il était impressionné du fait que Céline ait pris le temps de parler avec les artistes. Et il disait que son rêve à lui était de créer un show avec Céline. Il est venu nous voir en Floride, et lui et Céline ont longuement discuté d’un nouveau spectacle. Il était aussi fou qu’elle. D’après lui, tout était réalisable.
«Bien vite, ils avaient une idée de show tous les deux. Il suffisait de trouver la place et la personne qui allait mettre une petite fortune pour produire ce show-là.»
Le choix du théâtre
À Vegas, René Angélil était déjà attaché au Caesars Palace. C’est d’ailleurs à cet hôtel que lui et Céline avaient renouvelé leurs vœux de mariage en janvier 2000.
Pour l’impresario, le nouveau spectacle de la chanteuse devait se tenir à cet endroit. Mais Franco Dragone avait des contacts avec le MGM. «Le premier qui avait cru au Cirque du Soleil, c’était un directeur artistique qui était maintenant au MGM, dit René. Franco se disait donc qu’il allait comprendre ce qu’on voulait faire. Mais j’avais une loyauté envers le Caesars.»
Une journée après l’autre, René Angélil a rencontré les équipes du Caesars Palace et du MGM. Toutes deux voulaient accueillir le spectacle de Céline. «Le MGM avait une salle de 3000 personnes, mais, dans nos budgets, pour atteindre la rentabilité, il fallait 4000 personnes. Mais il n’y avait aucun théâtre de 4000 places à Vegas!»
Apprenant qu’une compagnie québécoise, Scéno Plus, avait conçu le théâtre du Bellagio, René Angélil demandait à son fondateur, Patrick Berger, de concevoir les plans pour un nouveau théâtre, qui serait construit dans le Caesars Palace.
«Céline lui a donné ses idées de théâtre. Elle voulait que ce soit en demi-cercle et que tous les sièges soient bons et très rapprochés. Il y a seulement 115 pi entre le dernier banc du troisième balcon et le début de la scène. C’est la seule salle comme ça au monde! Patrick a dessiné le théâtre avec Céline. On a présenté ça au Caesars et ils étaient d’accord. Ils voulaient déjà faire un théâtre.»
Les partenaires essentiels
À l’époque, René Angélil avait rencontré le président de l’empire qui possédait le Caesars Palace, Arthur Goldberg. L’homme d’affaires était un fan de Céline et il connaissait le spectacle O. Il avait donc accepté de financer la production.
«Sauf qu’il est arrivé un malheur terrible, rappelle René. M. Goldberg est décédé. Et le nouveau président n’avait pas d’expérience dans ces shows-là. Il ne voulait pas mettre d’argent. On parlait de 140 millions $ d’investissement, pour la préproduction et la production pendant trois ans. Ça ne comprenait pas le coût du théâtre ni le salaire de Céline. C’était une grosse commande pour quelque chose qui n’avait jamais été fait.»
«Nous nous sommes arrangés avec lui. Il était prêt à nous donner le théâtre et une boutique de marchandises, mais il ne mettait pas d’argent sur la production.»
Entretemps, un troisième théâtre était entré dans l’échiquier : l’Hôtel Aladdin (aujourd’hui Planet Hollywood). «Ils avaient entendu parler du meeting que j’avais eu au MGM. Moi ça ne m’intéressait pas de jouer au Aladdin parce qu’il n’y a jamais un show qui avait marché là.»
Mais un homme d’affaires était en lien avec cet hôtel : Phillip Anschutz. Déjà propriétaire d’équipes sportives, et bon ami de Pierre Lacroix, un ami de René Angélil, il allait offrir un support financier important au spectacle de Céline.
«Il venait d’acheter une compagnie qui s’appelle Concerts West et il a fondé AEG Live, dit René. Leur premier projet était Céline, au Colosseum.»
Tout récemment, AEG était à vendre. Le prix demandé? Huit milliards $. C’est donc dire jusqu’à quel point l’entreprise a pris de l’expansion en une décennie.
Personne n’y croyait... ou presque
Même si un partenaire financier important était impliqué, la plupart des observateurs étaient pessimistes quant aux chances de succès pour Céline à Las Vegas.
«Tous les gens du showbusiness n’y croyaient pas. Ils disaient que 4000 personnes par soir, à Vegas, c’était trop. Même si Céline était une grosse star, ils lui donnaient deux mois.»
Pourquoi René Angélil était-il confiant, de son côté? «Je connais Vegas, car j’y viens depuis 1966, à raison de trois à quatre fois par année. Je connais le public, la tendance. Je connaissais le show que Céline faisait avec Franco Dragone. Je savais que ce serait bon et différent de tout ce qu’on avait vu à Vegas.
«Ce n’était pas la première fois que je croyais en Céline, poursuit-il. En partant, avec sa carrière, quand je disais à tout le monde qu’elle serait une vedette aux États-Unis, je passais pour un fou au Québec.»
Le premier contrat avec le théâtre
Lors des premières discussions sur le spectacle, une première entente d’un an et demi a été convenue. «Mais, plus on avançait dans la production et plus ça n’avait pas d’allure avec les chiffres», indique René.
Le contrat est ainsi monté à deux ans. «Mais, encore là, juste avant de présenter le projet, il y a eu d’autres chiffres et ça ne marchait pas non plus avec deux ans. On faisait des prédictions avec 70 % d’occupation de la salle. Ça nous prenait trois ans.»
Finalement, et depuis le tout début, la salle a été occupée à 100 %. Et le spectacle A New Day s’est conclu au bout de cinq années de représentations.
Céline, la perfectionniste
René Angélil explique le succès de Céline par sa discipline implacable. «Son talent est indéniable, mais il y a d’autres artistes bien talentueux aussi. Mais elle a le caractère pour pouvoir être au top et ne pas s’enfler la tête.»
Céline est aussi une véritable maniaque à propos de ses cordes vocales. «Céline et moi, nous ne sommes jamais allés manger dans un restaurant à Vegas. Elle a trop peur de l’air climatisé! Chez nous, il y a 55 % d’humidité. C’est une maniaque! Elle fait attention à sa voix. Après chaque show, elle a une discussion avec les gars du son. Ça fait quasiment 1000 shows qu’elle fait à Vegas et elle discute encore après les shows. Elle n’est jamais contente. Pourtant, c’est la même salle, les mêmes musiciens, le même micro.»
A-t-elle sauvé Vegas ?
Lorsqu’on lui pose cette question, René Angélil refuse de répondre par l’affirmative. «Je n’aurais pas la prétention de dire que Céline a sauvé Las Vegas. Parce que, quant à ça, le Cirque du Soleil a amené quelque chose à Las Vegas que les gens n’avaient jamais vu. C’est incroyable ce qu’ils ont fait. Si j’avais à dire que quelqu’un a sauvé Las Vegas, je parlerais plutôt du Cirque du Soleil.»
René Angélil reconnaît toutefois que l’arrivée de Céline Dion a changé la perception que les gens avaient des chanteurs à Las Vegas. «C’est définitif. Avant, c’étaient des artistes en fin de carrière qui allaient y jouer. Là, c’était la première fois qu’une vedette au top de sa carrière faisait une affaire de même. Maintenant, toutes les tournées mondiales passent par Las Vegas. Et il y a de nombreux artistes qui aimeraient faire des résidences comme Céline. Mais il n’y en a pas beaucoup qui seraient capables de le faire.»