Ça va bien... mal!
Les familles sont au bout du rouleau, a dit mercredi le chef de la CAQ, François Legault, alors qu’il commentait l’extrême lourdeur de la taxation au Québec. «Elles sont à la limite», a-t-il lancé à Trois-Rivières, où les députés caquistes préparaient la rentrée parlementaire du 17 septembre.
D’une certaine façon, le ministre des Finances, Nicolas Marceau, lui avait donné raison quelques minutes plus tôt, alors qu’à sa sortie du Conseil des ministres, il avait laissé tomber cette déclaration lumineuse, véritable éclair dans la noirceur budgétaire du Québec: «Les Québécois ne dépensent pas assez», a-t-il dit.
On épargne?
Le ministre Marceau croit que les contribuables se sont mis à épargner. Ce n’est pas ce que disent les données recueillies auprès des institutions financières par Statistique Canada et l’Institut de la statistique du Québec: le taux d’épargne est en baisse depuis des années. De 2010 à 2011, l’épargne personnelle des Québécois a chuté à 3,2 milliards $, un recul de 1,2 milliard. Le taux est passé de 3,2 % en 2007 à 1,6 % en 2011. Rien n’indique qu’ils auraient subitement décidé de mettre de l’argent de côté. D’ailleurs, l’endettement explose: 176 milliards $ en prêts hypothécaires résidentiels et 80,6 milliards en prêts aux particuliers...
Ça ne va guère mieux ailleurs: au 31 décembre 2012, la valeur des exportations manufacturières, un des indicateurs économiques les plus fiables (et le plus sensible), était toujours inférieure à celle de 2008! Quant au PIB, il piétine. Le gouvernement espérait que les ménages dépenseraient pour compenser, mais ce n’est pas le cas.
M. Marceau répète que «ça va bien au Québec». Il le dit partout, à la télé, à la radio, à l’Assemblée nationale, mais on comprend qu’il cherche moins à nous convaincre qu’à nous réconforter.
Parce que, au mieux, l’économie s’est endormie. Et ce n’est pas l’industrie éolienne de la Gaspésie qui amènera le Québec vers les vallées verdoyantes de la richesse collective. Il y a bien sûr l’État, qui continue à faire ses petites affaires comme si de rien n’était: les dépenses sont en hausse, évidemment, et les engagements financiers envers les régimes de retraite publics dépassent maintenant 95,4 milliards.
Ça va bien?
Si des dizaines de milliers d’emplois avaient été créés, comme le prétendait hier le gouvernement, les fonctionnaires des Finances n’auraient pas constaté une chute de ses revenus et l’impôt des entreprises n’aurait pas reculé de 12 %! C’est peut-être pour ça que le dernier rapport mensuel des opérations financières, assez décourageant merci, a été rendu public en toute discrétion, le dernier vendredi d’août.
Pendant ce temps, la dette publique, selon les informations transmises à l’Autorité des marchés financiers des États-Unis, dépasse 222,5 milliards. Quant aux déficits accumulés (on dépense plus qu’on collecte depuis cinq ans), ils dépassent 115 milliards. Et ça continue de grimper, d’heure en heure.
Alors, pensez-vous vous vraiment que «ça va bien au Québec»?
Marceau et Bédard
Au grand dam de M. Marceau, et sans doute de son collègue du Trésor, Stéphane Bédard, Pauline Marois les a contredits tous les deux en quelques mots seulement. Se livrant cette semaine à des confidences télévisées, la première ministre a admis que si les revenus n’étaient pas au rendez-vous, l’équilibre budgétaire pourrait attendre. Ce ne sont pas les centrales syndicales qui protesteront... Pourtant, MM. Marceau et Bédard martèlent le contraire depuis des mois.
Mais il faut comprendre Mme Marois. Au Québec, l’important, c’est le bonheur du peuple. Raymond Bachand est passé à l’histoire en rappelant cette vérité tellement rassurante. Alors, ce n’est pas parce qu’on manque de fric qu’on va changer notre train de vie; le modèle québécois impose un seul et unique comportement et rien ne doit entraver la dépense publique, même l’endettement chronique...
Contradictions
MM. Marceau et Bédard n’ont pas été les seuls à déchanter en entendant la PM cette semaine. Marie Malavoy était en France, mais elle a certainement su que Pauline Marois avait rabroué les commissions scolaires pour avoir haussé les taxes.
Pourtant, Mme Malavoy les y avait encouragées durant des mois. Étrange revirement, vous ne trouvez pas? La ministre invite les commissions scolaires à user de leur pouvoir de taxation et la première ministre qui les exhorte, tardivement, à ne pas le faire.
Philippe Couillard, le chef libéral, trouve cela «curieux», tandis que François Legault parle d’hypocrisie.
Il n’y a qu’une façon logique d’expliquer ce repositionnement de Pauline Marois face aux commissions scolaires: les sondages sont bons, sa popularité en hausse, elle n’a manifestement pas envie d’attendre au printemps pour se présenter devant l’électorat afin de demander une majorité parlementaire. Après Lac-Mégantic, la Charte de la laïcité, favorablement reçue par la population, Mme Marois se place à l’encontre des commissions scolaires, du côté des contribuables. Ici, la symbolique compte davantage que la sincérité.