La conquête du pouvoir sous le signe de la violence
La mort du parrain Vito Rizzuto a provoqué une « onde de choc » au sein de la mafia montréalaise, affirment les experts qui s’attendent à voir éclater une guerre sanglante et difficile pour la reconquête du pouvoir.
Au lendemain de la disparition du parrain, la question de sa succession est déjà sur toutes les lèvres.
S’il est prématuré de parler de réorganisation au sein de la mafia quelques heures seulement après le décès de Vito Rizzuto, les experts abondent dans le même sens: la lutte promet d’être violente.
L’auteur et ancien analyste de renseignements à la GRC, Pierre de Champlain, s’attend en effet à une guerre inévitable entre les clans italiens. «La reprise du pouvoir peut se faire dans la violence, il faut s’attendre à ça. Il y a sûrement des factions adverses qui vont vouloir le contrôle», prévoit-il.
L’expert international en crime organisé, Antonio Nicaso, évoque également cette théorie. «Sa mort peut entraîner une recrudescence de conflits, car je ne vois personne qui a ses qualités et qui s’imposerait naturellement pour le remplacer», a-t-il mentionné.
Selon lui, il faudrait un groupe de plusieurs leaders pour occuper sa place. «Il inspirait le respect. Il avait beaucoup de pouvoir en Europe et en Amérique», a-t-il ajouté.
« Rassembleur et impitoyable »
Vito Rizzuto a été le premier de son clan à préférer le consortium à la confrontation, a par ailleurs indiqué M. Nicaso. Il est entre autres décrit comme un «médiateur» et un «arbitre» par les experts.
Au fil du temps, il a su lier des relations étroites avec d’autres organisations criminelles - notamment les Hells Angels - tout en gardant le contrôle. Toujours.
«Sa qualité de rassembleur était essentielle. Ç’a marqué son leadership et ça lui a donné une vraie crédibilité en tant que parrain de la mafia», a analysé Pierre de Champlain.
De toute évidence, le parrain défunt était aussi «impitoyable», a affirmé de son côté le journaliste Lee Lamothe, auteur d’un livre sur les Rizzuto. «Peu importe où vous vous trouviez, si vous étiez un ennemi de la famille de Rizzuto, vos jours étaient comptés. Lorsqu’il est sorti de prison, il a retrouvé ses affaires exactement là où ils les avaient laissées», a-t-il déclaré au Journal, faisant référence à plusieurs individus abattus peu après que le parrain soit rentré à Montréal.
Place à la jeune génération
C’est désormais une «jeune génération» de mafiosi qui pourrait s’installer au pouvoir et marcher dans les traces de Vito Rizzuto, estime Pierre de Champlain. Celle qui a su «tenir le fort» en son absence, a-t-il ajouté.
Autrefois, lorsqu’un chef prenait le contrôle de la mafia, il restait à la tête de l’organisation pendant une ou même plusieurs décennies. Mais selon l’auteur du livre Le crime organisé à Montréal (1940-1980), cette tradition s’est éteinte hier, avec la mort de Vito Rizzuto.
«Des leaders charismatiques comme les Rizzuto, c’est une époque révolue», a-t-il livré, précisant qu’on pouvait définitivement parler de «la fin d’une dynastie».
Il a décrit Vito Rizzuto comme un homme discret qui œuvrait dans l’ombre et projetait l’image d’un véritable chef d’entreprise. «La mafia a très rapidement compris l’importance d’investir l’argent résultant de ses trafics dans l’économie légale, notamment pour le blanchir», a également mentionné M. de Champlain.
Discussions au salon funéraire
Des discussions autour de la relève pourraient déjà avoir lieu dans le salon funéraire lors de l’exposition du corps du parrain, dans les jours à venir, pense-t-il. «C’est une occasion de se rencontrer loin des regards, de la police et des caméras».
Cette hypothèse n’étonne pas du tout pas l’ancien policier de la Sûreté du Québec, François Doré.
«Il va certainement y avoir des échanges non officiels. Des hommes qui vont se pointer pour mettre le pied dans le cadre de la porte et affirmer leur autorité», a-t-il expliqué.
La police devrait scruter de près les allers et venues à la maison des Rizzuto, au salon funéraire et à l’église, pour mettre à jour notamment ses albums photo de mafiosi.
«C’est un rendez-vous très important pour voir qui fréquente qui, et qui gravite autour de ce monde», a-t-il rappelé, précisant que les policiers qui enquêtent sur le crime organisé allaient suivre avec grande attention l’évolution de la situation au sein de la mafia montréalaise.

auteur et ex-analyste de renseignements à la GRC.
journaliste et auteur de La sixième famille, portant sur le clan Rizzuto.
spécialiste international du crime organisé italien et auteur.

ex-policier de la Sûreté du Québec