Commission Charbonneau: Eugène Arsenault a fermé les yeux sur les pots-de-vin
Lorsqu’il a appris que sa compagnie versait des ristournes régulières en argent comptant à l’ancien leader syndical Gérard Cyr, Eugène Arsenault a «fait le saut» mais a préféré ignorer la situation, a-t-il admis ce matin à la barre de la commission Charbonneau.
«Je ne savais plus quoi penser, c’était difficile à gérer […]. Je ne suivais pas les versements. J’aimais mieux pas le savoir», a confié l’ancien actionnaire de Ganotec, toujours consultant pour la compagnie spécialisée dans l'entretien de raffineries.
Eugène Arsenault a appris en 2005 que son entreprise offrait des sommes en argent comptant à l’ex-président de l’International, Gérard Cyr, qui dirigeait à l’époque le local 144 du syndicat (soudeurs et tuyauteurs). C’est Serge Larouche, l’actuel PDG de Ganotec qui l’a précédé à la barre de la commission, qui l’aurait informé de la situation.
Arsenault n’aurait appris le montant de ces pots-de-vin (1,2 M$ entre 1998 et 2006) qu’hier, lors du témoignage de Larouche, a-t-il précisé. Selon lui, cette situation permettait à Ganotec d’acheter la paix sur les chantiers avec les travailleurs du local 144.
Facteur d’un jour
À aucun moment il n’a cherché à interpeller la direction de Ganotec à propos de ces ristournes. «Je me serais mal vu d’aller questionner le président [Léopold Gagnon]», a-t-il dit.
L’ancien actionnaire de Ganotec aurait par ailleurs joué les facteurs une fois, en remettant une enveloppe contenant «probablement de l’argent» à Serge Larouche.
Rappelons que Ganotec faisait affaires avec Louis-Pierre Lafortune, actuellement accusé de gangstérisme et de blanchiment d’argent, pour obtenir de l’argent comptant grâce à un stratagème de fausses facturations. Ce n’est nul autre que Marco Bourgoin, un collecteur de dettes à la solde des Hells Angels proche de Lafortune, qui aurait remis la fameuse enveloppe destinée à Serge Larouche, au facteur d’un jour Eugène Arsenault.
Cyr s’ingère dans la vente de Ganotec
Le témoignage d’Eugène Arsenault a également permis de découvrir que Gérard Cyr s’était vigoureusement opposé à la vente de Ganotec à l’entreprise américaine Kiewit, en 2007.
Main dans la main avec l’ancien patron de Ganotec, Léopold Gagnon, l’ex-leader syndical aurait tenté de dissuader les autres actionnaires d’accepter la vente de l’entreprise. Pourtant, quelque temps auparavant, M. Gagnon était très favorable à cette transaction, a indiqué le témoin qui ne comprend toujours pas ce revirement de situation.
«Gérard Cyr n’avait rien à faire dans la vente, il n'est pas actionnaire dans Ganotec, il dirige un local syndical», a relevé la procureure de la commission Me Sonia LeBel. Eugène Arsenault a acquiescé, admettant que le syndicaliste avait en effet mis «du sable dans l’engrenage».
Gérard Cyr aurait même laissé sous-entendre que Ganotec pourrait avoir «des petits problèmes du côté de la main d’œuvre ou de l’overtime» sur les chantiers si la vente était concrétisée.
Le leader syndicaliste avait tout intérêt à ce que la vente avorte pour continuer de percevoir des ristournes de la part de Ganotec. Celles-ci ont en effet immédiatement cessé quand Kiewit a pris les rênes de la compagnie québécoise.