L’intimidation frappe aussi les millionnaires
Marraine de la Fondation Jasmin Roy, Sophie Desmarais a été victime d’intimidation qui l’a plongée dans une grande souffrance
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L’intimidation n’a pas de statut social. Parlez-en à Sophie Desmarais, 53 ans, la cadette du financier Paul Desmarais, aujourd’hui décédé. De 14 à 18 ans, elle dit avoir vécu l’enfer dans un collège privé, en Suisse. Pendant des années, elle a été la cible d’intimidateurs. Victime d’insultes, de rejets, de supercheries, elle est devenue anorexique, trouble qu’elle confie avoir traîné jusqu’à 45 ans.
«Je ne voulais pas rentrer à l’école, je n’arrivais plus à regarder les gens (...) Pas besoin de vous dire à quel point je comptais les jours de mon retour à la maison», confie cette multi-millionnaire devenue philanthrope.
Très engagée socialement, une valeur héritée de ses parents, Sophie Desmarais se dévoue aujourd’hui pour combattre l’intimidation. C’est grâce à elle si Lucien Bouchard, Céline Dion, et Carla Bruni ont révélé avoir été victime d’intimidation dans le passé: « Mon dévouement est un remède extraordinaire qui fait non seulement du bien aux autres, mais également à moi-même. J’ai consacré ma vie à aider les autres. C’est un peu ma revanche sur ceux qui ne m’ont jamais aidée...», dit-elle avec un sourire dans la voix.
Pourquoi êtes-vous devenue marraine de la Fondation Jasmin Roy visant à enrayer l’intimidation dans les écoles ?
De 14 à 18 ans, j’étais en quelque sorte le mouton noir, le rejet à l’école. J’ai vécu une énorme solitude, car j’étais toujours mise à l’écart des autres. Encore aujourd’hui, j’ignore pourquoi on m’a fait subir un tel traitement. J’étais pourtant une jeune fille très ouverte. Tout ce que je voulais était de me faire des amis. Peut-être que j’en faisais trop pour me lier d’amitié avec les autres, et en bout de ligne, je suis devenue une véritable cible. Ça m’a tellement fait souffrir que je suis devenue anorexique, une façon pour moi de crier au secours.
L’intimidation a-t-elle des répercussions à long terme ?
Dans mon cas, oui. En plus de l’anorexie, je n’avais ni confiance en moi et aucune estime de moi-même. Cela a eu des incidences sur plusieurs sphères de ma vie, dont mes relations amoureuses. Il a fallu des années avant que je puisse m’aimer et me sentir bien dans ma peau.
Croyez-vous avoir été victime d’intimidation parce que vous proveniez d’une famille très choyée ?
J’étudiais dans une école très privilégiée. Il y avait des élèves issus de familles bien plus connues que la mienne et exceptionnellement riches alors, ça n’avait aucun lien. D’ailleurs, les gens ne savaient pas vraiment qui j’étais, car j’étais d’une grande discrétion, une valeur inculquée par mes parents. Je me sentais comme n’importe quelle autre fille de mon âge, et je ne comprenais pas pourquoi j’étais à part des autres.
À quoi ressemblait l’intimidation dont vous avez été victime ?
En classe, on me soufflait avec un crayon des boulettes de papier sur la tête. On m’écrivait sur des bouts de papier que j’étais conne, bête, laide. Mais je ne me suis jamais sentie aussi humiliée que la fois où je me suis amourachée du garçon le plus populaire de l’école pour m’apercevoir plus tard qu’il avait tenté de me séduire suite à un pari avec ses amis. Ça m’avait fait beaucoup de peine, car je m’étais dit qu’en étant proche de lui plus personne ne m’agacerait, et que je serais enfin protégée. Quand j’ai appris leur petit jeu, j’étais tellement en détresse et horrifiée que je ne voulais plus vivre...
En aviez-vous parlé à vos parents ?
Un peu oui, mais à l’époque, on ne dénonçait pas, et on ne parlait pas d’intimidation. De toute façon, mes parents ne pouvaient pas imaginer que des élèves se comportent de la sorte. Dans leur tête, je fréquentais une bonne école, les autres élèves avaient tous reçu une bonne éducation. Bref, ils croyaient plutôt que j’exagérais, et leur réponse a plutôt été de m’encourager et de dire que les choses s’arrangeraient. Mais elles ne se sont pas améliorées.
Aviez-vous tenté d’en parler aux professeurs de l’école ?
Non, car j’avais trop honte. J’avais trop peur qu’on ne me croie pas. Les professeurs étaient très stricts et on ne leur parlait pas de toute façon. Pas plus que j’en aurais parlé à notre surveillante. Elle était très sévère, et elle me faisait plutôt peur. Parfois, je me dis que j’aimerais revoir toutes ces personnes qui m’ont intimidée pour leur dire : «merci, grâce à vous, je suis devenue la personne que je suis aujourd’hui»
Votre implication dans cette cause a-t-elle eu un impact dans votre vie ?
C’est un remède extraordinaire qui fait non seulement du bien aux autres, mais également à moi-même.
Je suis vraiment très heureuse d’être la marraine de la Fondation Jasmin Roy. C’est quelqu’un que j’adore, il a des qualités humaines exceptionnelles, et il croit en ce qu’il fait (c’est Bruno Pelletier, un ami de Sophie Desmarais, qui l’a mise en contact avec Jasmin Roy et sa fondation). Et grâce à lui, je peux aujourd’hui parler librement de mon expérience. Je le dis et je le répète: l’intimidation n’a ni frontière, ni passeport, ni statut social.
Comment avez-vous réussi à vaincre l’anorexie à 45 ans ?
Je m’en suis sortie seule, grâce au soutien d’amis, de mon médecin de famille, mais le plus grand déclencheur a été ma rencontre avec l’homme qui partage ma vie aujourd’hui (Daniel Valoatto). Tout de suite, je me suis sentie en sécurité avec lui. Un sentiment qui m’a fait du bien et que j’ai trouvé très tard dans ma vie. J’ai aussi vécu tout un chamboulement à l’âge de 40 ans. J’ai frôlé la mort puisqu’on m’a diagnostiqué une tumeur au cerveau. J’ai dû me faire opérer, et le jour de mon opération, mon père m’a prise dans ses bras en me disant à quel point il m’aimait, et qu’il avait peur de me perdre. Ça m’a beaucoup émue.
Ça vous a donné le goût de vous battre, et de voir la vie d’une autre façon ?
Ça m’a fait du bien de sentir qu’il était là. Mes parents ont d’ailleurs été ma source de réconfort durant toute cette période. Je ne m’étais jamais sentie autant aimée par eux et aussi près d’eux à la fois. Je savais qu’ils m’aimaient, mais ça a pris une tout autre tournure lors de cet événement. Comme si la vie nous envoyait un signe qu’il fallait penser aux vraies priorités. Surmonter cette tumeur a été l’une des plus belles expériences de ma vie, je l’ai vécue remplie d’amour et de compréhension.
Mais vous ne doutiez pas de l’amour de votre père pour vous ?
Sa priorité a toujours été ses enfants. Mais il bâtissait un empire. Il passait beaucoup de temps avec mes frères pour qu’ils deviennent ce qu’ils sont aujourd’hui. Il était moins présent auprès de ses deux filles. Mais ma maladie lui a donné un véritable choc. C’est à partir de ce moment-là et jusqu’à son dernier soupir (il est décédé dans ses bras) que nous avons eu une relation exceptionnelle tous les deux.
À quoi ressemblait cette relation durant les dernières années de sa vie ?
Nous échangions beaucoup. Il était très au courant de mon combat pour vaincre l’intimidation. Il voulait s’assurer que je sois heureuse. Il passait beaucoup de temps avec ses petits-enfants, qu’il adorait. On aurait dit que tout le temps qu’il n’avait pas eu avec nous, il le prenait désormais avec eux. Quand il les voyait, il avait le sourire fendu jusqu’aux oreilles. (Paul Desmarais a eu 10 petits-enfants, 3 arrière-petits-enfants).
Sa mort vous pèse encore beaucoup ?
Énormément. Pas un soir ne passe sans que je ne lui dise bonsoir. J’ai même fait tatouer sur mon poignet, un cœur et la date de son décès en tout petit. Quand j’y touche, j’ai l’impression qu’il est là. Ce tatouage est une façon pour moi de rester en contact avec lui, et de garder sa mémoire.
Quel est le plus bel enseignement qu’il vous a légué ?
L’empathie, la générosité, et la compréhension...Je me souviens de cette fois où il a croisé un sans-abri dans la rue en plein hiver. Sur le champ, il s’est rendu à la Mission Old Brewery faire un don en disant qu’il ne voulait plus voir de gens souffrir dans ces conditions. Mon père agissait toujours tout de suite.
Il était très généreux ?
Extrêmement généreux, de lui-même et de son argent. Pour lui, il fallait respecter et aider ceux qui en avaient le moins.
J’ai la chance d’être qui je suis. Mon rôle est d’aider la communauté en faisant le choix des bons organismes et en les soutenant le mieux possible. J’ai consacré ma vie aux autres. J’espère que mes enfants prendront la relève un jour. Je vais l’écrire dans mon testament...