Saccage de promotion de la science : décolérer?
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Quand vendredi dernier, j’ai appris que Québec saborde les expos sciences, l’Agence Science-Presse et la revue Les Débrouillards, cela a d’abord été l’incrédulité. Mais lorsque j’ai su que le sous-ministre à l’Économie aurait déclaré que « la promotion de la science ne fait plus partie des priorités du gouvernement », j’ai carrément senti dans mon sang le poison de la colère ne faire qu’un tour.
Même si cette colère était tempérée, j’ai résisté à la tentation d’écrire et publier immédiatement sous son emprise. Ai plutôt twitté mon endossement complet des propos des collègues Ianick Marcil et Michel Dumais. Plutôt laisser passer la fin de semaine avant d’éventuellement publier ce lundi un texte au titre, hyperbolique : #NonAuxCoupuresLobotomies ! Le billet le plus court et tranchant que je n’aurais jamais publié : 28 mots.
« Personnel »
Cette décision stupide m’interpelait personnellement. Tout enfant, j’ai baigné dans les vulgarisations scientifiques des encyclopédies de la Jeunesse, du Livre d’or et scientifique ainsi que des Fernand Seguin, Marcel Sicotte, Pierre Dansereau. Adolescent, ce furent les Jean Rostand, Rachel Carson, Jacques-Yves Cousteau et compagnie ainsi que la participation à des expos science qui n’en avaient probablement pas encore le nom.
Mes deux filles ont été entourées de livres de vulgarisation scientifique, dont évidemment ceux de Les Débrouillards. La fréquentation par la plus jeune de camps de jour et camps d’été scientifiques l’a certainement amenée vers une carrière technique, dans une firme de géoingénierie environnementale d’abord, puis de réseautage numérique ensuite.
À l’invitation de conseillères en orientation, je me suis maintes fois rendu dans des classes échanger avec les élèves du secondaire sur la vie en centre de recherche. Il n’y a même pas trois semaines, j’étais encore dans une école secondaire à animer une journée de formation des enseignants sur la vulgarisation de l’informatique et de ses implications sociales.
Ce gouvernement ne vient-il pas pourtant tout juste de recevoir une mise en demeure de 1,2 million d’un homme pour les dommages causés à sa capacité d’intégrer la vie en société contemporaine parce que, malgré la loi, le ministère de l’Éducation l’a abandonné à une école hassidique où toute référence à quelque science était absente? Un recours collectif pour les mêmes motifs ne vient-il pas d’être intenté contre l’État de New York par plusieurs ex-élèves hassidiques tout autant abandonnés à l’ignorance?
Nous sommes en plein XXIe siècle et un gouvernement ose déclarer que « la promotion de la science ne fait plus partie des priorités du gouvernement »? Comme cela ne peut-il pas représenter rien de moins qu’une véritable déclaration de guerre contre la jeunesse? Contre la société entière?
Après l’injure, l’insulte
Comme de nombreux autres, j’ai espéré que le ministre Daoust fasse rapidement marche arrière. Surtout qu’une fin de semaine où beaucoup sont pris dans la préparation des Fêtes se prête bien à un repentir discret dans les médias.
La volteface est effectivement arrivée à 17 h 12 dimanche par la voie d’un bref communiqué. Trois petits paragraphes.
La lecture du titre, Le ministre Jacques Daoust maintient tel qu’il était le programme d’appui à la culture scientifique, produisit un soulagement immédiat.
Mais l’apaisement n’a pas survécu à la lecture du premier paragraphe : « Le ministre de l’Économie, de l’Innovation et des Exportations, M. Jacques Daoust, annonce qu’il ne retient pas les orientations proposées par son ministère en ce qui concerne l’appui aux organismes de soutien à la culture scientifique. »
Non, mais! Ce ministre nous prend-il, nous citoyens, « pour des crétins »?
Un volet entier d’un programme d’un ministère est aboli. Suite à une « une réorientation de la mission du programme. » Les décisions de coupures sont annoncées personnellement par le sous-ministre adjoint. Et le ministre l’ignorait? Le ministre ne l’avait pas décidé?
Non seulement ce ministre ne s’excuse d’aucune manière de cette décision imbécile et destructrice (bien résumée par Helene Sarah Becotte, doctorante à Polytechnique, avec la phrase : « Quand le gouvernement tue l’œuf et espère voir grandir une poule »). Il fait en plus mine que son sous-ministre et ses fonctionnaires auraient agi à son insu!
Ah! Ignorance, quand tu nous tiens...
Monsieur le ministre Daoust ne sait-il pas qu’on s’est battu ici depuis le temps du Bas et Haut Canadas pour qu’enfin en 1848 soit appliqué, puis maintenu, le principe de responsabilité ministérielle qui a marqué l’avènement du parlementarisme et de la démocratie libérale (!) sur ces terres d’Amérique? Apparemment, c’est trop demandé de culture et de sens de l’honneur d’un ministre en ces temps austères.
Le premier paragraphe du communiqué à peine digéré, il faut en souffrir un deuxième : « Les représentants des organisations avec qui le sous-ministre adjoint a communiqué seront rencontrés dans les prochains jours afin de revoir les scénarios de financement pour 2015-2016. »
Qu’on se branche! Est-ce que « Daoust maintient tel qu’il était le programme »? Ou est-ce qu’il commande une révision des « scénarios de financement » à ses fonctionnaires?
Grave décision erronée
Plusieurs ont fait un lien avec les déclarations sur les budgets de livres du ministre de l’Éducation, Yves Bolduc : « Il n’y a pas un enfant qui va mourir de ça. » Mais ce n’était qu’une phrase maladroite lancée à brule-pourpoint par un politicien notoirement maladroit.
Le projet de saccage de la promotion de science auprès des jeunes et de la population est d’une autre nature et autrement plus grave. Il s’agissait d’une décision institutionnelle, programmatique, prise par tout un appareil d’État et un gouvernement.
Si un Yves Bolduc a dû s’excuser pour de simples propos maladroits, un Jacques Daoust ne peut se déresponsabiliser d’une décision aussi ravageuse par une vulgaire pirouette de relations publiques.
Responsabilité
Moi comme bien d’autres citoyens sommes prêts à pardonner une si lourde bourde à un ministre novice.
Mais certainement pas avant que celui-ci se montre homme capable de reconnaitre son rôle et sa responsabilité dans celle-ci.
Pas avant qu’il fasse monte de conscience.
Pas avant qu’il démontre, autant par la parole que par le geste, un véritable engagement pour la culture de la jeunesse et de la population.
Sinon, il ne mérite plus quelque confiance que ce soit dans sa charge.