Beauté fatale : sois belle et tais–toi ! : retour sur la controverse de Beauté fatale.
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Les Québécois ont un rapport trouble à la beauté, particulièrement à la beauté flamboyante. Après la diffusion à Télé-Québec du documentaire « Beauté fatale », initié par la jeune militante féministe Léa Clermont-Dion, plusieurs lui ont reproché sa grande beauté qui correspond aux standards actuels de la jolie femme, ce qui la disqualifierait pour aborder le sujet complexe du culte des apparences.
Texte d'opinion de Karima Brikh. L'auteure est animatrice et journaliste.
Bêtise, il va sans dire. Certes, on peut critiquer la mise en scène un tant soit peu narcissique et autopromotionnelle du documentaire, particulièrement dans la première partie, qui ressemble à une télé-réalité. Bien qu’elle dénonce le culte des apparences, l’image de Léa est paradoxalement omniprésente et elle-même objectivée à l’instar d’une icône « pop ». Il n’en demeure pas moins que la jeune femme a ouvert un débat passionnant sur notre rapport à la beauté, particulièrement à l’heure des médias sociaux, des « selfies » et de la mise en scène de soi qui en découle et qui prend une place de plus en plus démesurée dans nos vies. Elle a donc eu l’audace de nous placer en face de ses paradoxes, mais aussi en face de ceux qu’entretiennent les Québécois envers la beauté des femmes. La deuxième partie du documentaire qui s’intéresse au regard de la société envers la femme vieillissante se révèle par ailleurs passionnante et fait la lumière sur la souffrance liée à la peur du déclin physique.
Sois belle...et tais-toi !
Plusieurs ne comprennent pas comment des femmes aussi magnifiques que Mitsou (qui témoigne dans le documentaire) ou Léa puissent avoir du mal avec leur physique avantageux. Comment peuvent-elles être si obsédées par leur corps ? On dira à une femme d’apparence « ordinaire » que la beauté extérieure n’est pas si importante, qu’il faut cultiver la beauté intérieure, que ses autres qualités importent davantage. La femme qui se trouve « moyenne » voire « moche » souffrira certes de ne pas correspondre à un certain idéal de beauté véhiculé par l’industrie de la mode mais on valorisera ses autres qualités et elle aura un bouc émissaire pour se libérer de cette douleur : la « société », les « magazines de mode », les « vedettes », etc. Inversement, le discours ambiant moralisateur prêchant l’égale beauté de chacune, soit disant inclusif et ouvert à la diversité corporelle, est bien souvent lapidaire envers celles qui correspondent à certains critères de beauté mis de l’avant par l’époque. L’idée ici n’est pas de pleurer sur le sort des femmes au physique « avantageux ». Mais c’est de réaliser que le discours qui se veut libérateur des diktats de beauté ira souvent jusqu’à condamner celles dont la beauté sort du lot. On les qualifira de femmes superficielles, immatures, prisonnières de stéréotypes sexuels grossiers, comme si toutes les belles femmes étaient des nunuches finies simplement douées pour s’appliquer du mascara. Aussi insensé que cela puisse paraître, une belle femme éduquée et engagée dans sa société se fera toujours ramener à sa beauté. La tyrannie ici, c’est l’exigence de beauté que l’on attend d’elles tout en la dénonçant vertement. Parlons « people » : pensez à la nouvelle femme de George Clooney, une avocate réputée en droits de la personne à l’international dont la beauté éclipse constamment tout le reste. Chez nous, Mitsou a longtemps vécu cette situation même si c’est une animatrice, une femme d’affaires, une femme engagée et une maman accomplie.
Sans rien demander, la femme à la beauté « arrogante » se fait complimenter sur son apparence plusieurs fois par jour. Mais parce qu’on lui confirme sont statut de « belle femme », sa beauté devient aux yeux du monde part intégrante de son identité et l’on exige d’elle qu’elle soit éternellement belle. Sa beauté est figée dans le temps et lorsqu’elle ne correspond plus à l’image que l’on s’est fait d’elle, elle semble devenir étrangère voire moins intéressante. On chuchotera en privé, « mon dieu qu’elle a pris un coup de vieux ! » alors qu’il s’agit simplement du passage normal du temps. Et si elle décide de subir quelques interventions cosmétiques, on la jugera en disant « t’as vu, est toute refaite ! ». En même temps, un peu mesquinement on se dira qu’il y a finalement une certaine justice en ce monde, même pour les plus belles « princesses modernes », les traits finissent inévitablement par s’affaisser, les chairs tombent, l’éclat originel disparaît, le pouvoir de la beauté n’opère plus comme autrefois. Pensons à ces figures mythiques comme Brigitte Bardot, Sophia Loren ou Elizabeth Taylor. On aime se rappeler d’elles à l’époque dans leur exubérante beauté. Il y a même quelque chose d’effrayant de constater leur déclin. Cette inévitable déchéance physique apparaît rebutante et nous place devant notre propre finitude. Dans certains cas, on dira, elles ont mal vieillies. Parfois ce sera vrai, mais souvent je dirais simplement qu’elles ont vieillies...point. Et ça, la société le refuse.
Indirectement, on demande donc aux très belles femmes de rester jeunes et sublimes et en même temps, on les hait pour ce que souvent on jalouse secrètement. Voilà donc pourquoi, je ne suis pas étonnée que Léa et Mitsou et tant d’autres femmes trahissent cette peur de vieillir et de changer. Elles savent que la beauté est un pouvoir d’attraction immense et que la société est aussi cruelle pour elles que pour les filles « ordinaires ». Bien que le jugement sévère arrive plus tard pour elles, il est inévitable et frappe fort et ce malgré toutes les qualités immenses dont elles font la démonstration chaque jour et qui n’ont rien à voir avec leur plastique. Là est tout le paradoxe et l’hypocrisie dominante. Depuis la nuit des temps, à toutes les époques et dans toutes les cultures, nous sommes attirés naturellement par la beauté ou ce que l’on croit comme étant « beau » et nous aimerions tendre vers cette beauté, réelle ou fantasmée. Mais au même moment, nous vilipendons la soi-disant vacuité de l’obsession de la beauté.
Taille 0, taille plus, même combat...extrême !
Le Québec a un rapport trouble avec la beauté tout comme il a un rapport trouble avec l’argent. Dans une société démocratique et égalitaire comme la nôtre, sortir du lot est encore souvent mal vu et la moindre disparité entres les individus nous apparaît insupportable. Être unique mais tous pareils, telle semble être la nouvelle maxime de l’époque. Étonnamment, nous acceptons que l’intelligence, le talent en science ou en mathématiques ne soit pas réparti de manière uniforme. Nous acceptons aisément de dire d’une personne qu’elle est « douée pour les choses manuelles », ou que « c’est une vraie bolle en math». Mais nous refusons que tous ne soient pas égaux sur le plan esthétique. D’ailleurs, le Québec préfère souvent de loin la « girl next door » à la femme fatale aguichante. Or, si la beauté se manifeste partout sans égard à l’âge, au sexe, à l’origine ethnique ou au poids d’une personne, il n’y a rien de plus inégalitaire que la beauté. On nous dit parfois qu’à une certaine époque, les femmes bien en chair avaient la cote et c’était elles qui étaient représentées en peintures, signe que le la beauté serait relative en raison des diktats qui varient d’une époque à l’autre. Pourtant, il n’y a absolument aucune émancipation à gagner à regarder les modèles de beauté valorisés dans le passé ou dans d’autres cultures. Au final, il s’agit de la même tyrannie d’une beauté codifiée qui entre en jeu et ce de façon universelle. À cette période, il s’agissait d’un modèle tout aussi inaccessible pour le commun des mortels que le modèle irréaliste d’aujourd’hui prôné par l’industrie de la mode.
Et depuis quelques années, l’hypocrisie a atteint un sommet inégalité avec la mise en valeur une fois par année de la journée sans maquillage ou de la femme dite « taille plus ». On s’achète ainsi bonne conscience à peu de frais. Vous en connaissez beaucoup de ces femmes « tailles plus », qui ont un ventre plat, en chair mais pas de bourrelets, de beaux seins et des fesses généreuses mais un visage de mannequin mince et une peau ferme et lisse avec une chevelure de déesse ? Évidemment, ces femmes sont magnifiques – pensez à la sculpturale Christina Hendrix, « Joan » dans la série « Mad Men ». Mais ces femmes répondent encore à cette même logique d’un idéal de beauté difficilement atteignable. Il s’agit cette fois d’avoir un corps pulpeux certes, mais un corps de rêve qui obéit à de nombreux rituels obligatoires : soins du corps, maquillage, mise en plis, mise en forme, contrôle de la nourriture pour maintenir les formes mais pas s’en rajouter non plus. Dans les séances photos, ces nouveaux mannequins taille forte reprennent aussi les mêmes poses aguichantes des mannequins ultra minces. Entre ces deux extrêmes, point de salut pour les femmes aux proportions et tailles « moyennes » dans l’industrie de la mode. Les codes de beauté au service d’une logique marchande, voilà ce qui nous reste. L’industrie de la mode et des cosmétiques nous propose ainsi de nouveaux modèles de beauté afin de nous y soumettre. Changer un code de beauté d’une époque pour un autre, ce n’est pas s’en libérer, c’est décider d’une autre forme d’esclavage. De nouveaux codes et de nouveaux diktats, symboles de nos fantasmes et de nos aliénations.
Le Québec : un avenir plus rose?
Dans la promotion des modèles de beautés et de femmes fortes, le Québec se distingue toutefois des États-Unis et de la France. Si l’industrie de la mode est très conservatrice et obéit aux codes mondialisés de la beauté – extrême minceur, extrême jeunesse-, on ne peut pas en dire autant du milieu de la télévision et du cinéma au Québec qui s’en l’exclure, ne valorise pas uniquement ce modèle unique de beauté. Voilà de quoi redonner espoir aux femmes, bien que la bataille est loin d’être terminée et que la situation reste fragile pour les femmes qui prennent de l’âge. La pluralité des modèles chez nos personnalités médiatiques mérite d’être célébrée et valorisée. Si on regarde les femmes de pouvoir dans notre télé québécoise, on réalise qu’il y a de plus en plus de place pour des femmes fortes de tête et de cœur, magnifiques même si elles n’ont plus vingt ans depuis longtemps, des femmes inspirantes comme Janette Bertrand, Julie Snyder, Céline Galipeau, Sophie Thibault, Marie-France Bazzo, Anne-Marie Dussault, Christiane Charrette, Marie-Claude Barrette, Isabelle Maréchal, Micheline Lanctôt, Marie-Thérèse Fortin, Guylaine Tremblay et j’en passe. Mon souhait le plus cher est que ces femmes, celles qui suivront et les autres qui oeuvrent en silence puissent continuer à le faire, sans l’angoisse cette fois de penser qu’elles ont bel et bien une date de péremption.
La quête de la beauté est un sujet complexe qui nous renvoie à nos complexes, réels ou infondés et à notre estime de soi. Nous aimons admirer des modèles et en même temps nous leur en voulons de ne pas leur ressembler véritablement. Nous pourfendons l’industrie de la mode et ces diktats impossibles à atteindre mais nous continuons à acheter ces magazines aux images retouchées et nous avons hâte d’enfiler cette belle tenue à la mode payée trop cher pour briller à notre prochain party de Noel. La fascination de la beauté et de la jeunesse est là pour rester mais une chose à laquelle nous pouvons nous exercer, c’est de faire un vrai doigt d’honneur aux marchands de codes qui nous aliènent en célébrant la beauté simplement à la manière dont nous aimons la voir.