« Le Québec emprisonne la Basse-Côte-Nord »
Le traversier Bella-Desgagnés cessera de desservir les villages après le 19 janvier
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L’année 2015 débute sous le signe de l’isolement pour plusieurs régions du Québec. Fin janvier, Orléans Express abandonnera plusieurs liaisons en Mauricie, dans le Centre-du-Québec et en Gaspésie, cette même région qui a aussi vu son service de train largement amputé l’an dernier.
Et en Basse-Côte-Nord, le navire ravitailleur Bella-Desgagné restera ancré pour les trois mois d’hiver pour la première fois depuis 2010, un retour en arrière qui laisse à ses citoyens l’impression que le Québec les emprisonne, les abandonne.
Le 19 janvier, si rien n’est fait, le Bella-Desgagné partira une dernière fois de Rimouski pour ravitailler les villages de la Basse-Côte-Nord, et rentrera au port pour y dormir tout l’hiver. Pour plusieurs villages, la seule autre option pour sortir de la région ou pour garnir les tablettes des épiceries sera l’avion, hors de prix. À titre d’exemple, un aller-retour pour Sept-Îles coûte près de 2500 $...
Le maire de Blanc-Sablon, à l’extrême Est-du-Québec, est en furie. « Le Québec nous a toujours laissé de côté du point de vue du transport», tonne Armand Joncas au bout du fil. «On est traité comme des gens du tiers-monde». Tellement qu’il a songé l’été dernier à organiser un référendum pour joindre Terre-Neuve. Après tout, le Labrador est accessible facilement par la route, contrairement au Québec...
Avant l’hiver 2010, les épiciers de la Basse-Côte-Nord faisaient leurs provisions pour trois mois pour la saison froide. Mais ces quatre derniers hivers, Québec a investi autour de 2 millions $ par année pour assurer les services du Bella-Desgagné à l’année. Le projet pilote ne sera pas renouvelé cette année. «Le Québec emprisonne la Basse-Côte-Nord», image le maire de Blanc-Sablon.
Il comprend mal comment la Société des traversiers maintient la traverse Québec-Lévis à quelques kilomètres des ponts alors qu’on prive les régions isolées du «service essentiel» de ravitaillement par bateau. Il craint une montée des prix. Déjà qu’un 2 litres de lait coûte 6 $...
Mais son village est plus chanceux. Comme l’explique Anita Joncas, propriétaire de l’une des deux épiceries, on peut conduire jusqu’à Baie-Comeau en faisant un énorme détour de 1700 kilomètres en passant par le Labrador et Fermont. Cette route est maintenant carrossable l’hiver depuis quatre ou cinq ans, et c’est de cette façon qu’elle pourra recevoir au minimum une livraison par semaine. Le pain, qui est souvent arrivé moisi cet été, promet même d’être plus frais.
Pas de viande
Mais d’autres villages n’ont pas cette chance. Plus à l’ouest, à Saint-Augustin, l’avion sera la seule solution si Québec confirme, le 5 janvier, l’interruption du service. Et par avion, on ne peut pas faire livrer de viande, de gros matériaux, de gaz propane. «C’est inacceptable et impensable de nous enclaver comme des ours pendant trois mois. Les animaux sont mieux traités que nous!» s’insurge le maire de l’endroit, Glen McKinnon. Les gens se sont habitués aux produits frais et les entreprises n’ont plus l’espace pour stoker des vivres pour trois mois, avance-t-il. «Nous sommes Québécois aussi. Nous avons droit aux services essentiels.»
Plusieurs régions sans autocars
De nombreux autocars d’Orléans Express ne circuleront plus à partir du 18 janvier. «Ça n’a pas de bon sens», se désole Paul Vachon, préfet de la MRC des Appalaches, l’un des secteurs touchés. «C’est l’abandon des régions. C’est un élément qui s’ajoute après les commissions scolaires, les agences de santé les CLD... Qu’est-ce qu’on fait avec les régions?»
En octobre dernier, la Commission des transports du Québec (CTQ) a accepté la demande du transporteur, qui a perdu 5 millions $ en 2013, de suspendre certaines liaisons en Gaspésie, en Maurice et dans le Centre-du-Québec.
Dans ce dernier cas, c’est la liaison entre Thetford Mines et Victoriaville qui est abandonnée sur le parcours menant à la métropole. Plusieurs villages ne seront plus desservis. Mais, mi-décembre, le ministère des Transports a annoncé une aide financière de 770 000$ aux trois régions visées pour trouver d’autres solutions. Dans ce cas-ci, les usagers, qui devront se rendre à Montréal via Québec, verront l’excédant remboursé. En Gaspésie, on organisera un service de navettes pour desservir les villes comme Percé qui perdent leur terminus.
En Maurice, la ville de La Tuque implantera un service de transport pour se rendre à Trois-Rivières. Le maire Normand Beaudoin, qui voyait souvent de grands autobus souvent vides qu’Orléans Express était obligée de maintenir, se doutait bien que «c’était pour arriver». Il est satisfait de cette solution, même le service ne se donnera que sur quatre jours.
Paul Vachon, comme d’autres responsables avec qui le Journal s’est entretenu, comprend que les obligations étaient lourdes à assumer et déficitaires pour Orléans Express. Si l’entreprise perd de l’argent, dit-il, c’est que les lois sont «mal faites» et il faudra les revoir. Mais il insiste : les solutions annoncées devront être «temporaires».
Elles le seront, confirme le bureau du ministre des Transports, Robert Poëti, puisque la CTQ réévaluera sa décision dans un an. D’ici là, le Ministère poursuit sa réflexion sur la «problématique du transport interurbain» afin de trouver une solution à long terme. Le ministre croit cependant que «la solution passe par l’implication du milieu régional», indique son attachée de presse dans un courriel.