Retour sur 40 ans de carrière
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Il existe deux Bernard Lavilliers.
Bernard Lavilliers est né Bernard Oulion, en 1946, fils d’un cadre dans une usine d’armements et ex-résistant notoire et d’une mère institutrice, d’extraction sociale petite-bourgeoise. Il a vécu une enfance privilégiée et une adolescence typique de l’après-guerre, sans compas ni boussole, avec un séjour en maison de correction. Il pratique la boxe en amateur, travaille à l’usine comme tourneur, s’inscrit au Parti communiste et se pousse au Brésil à 20 ans. À son retour, le début progressif de la construction du mythe... Bernard Lavilliers.
Des tracasseries pour avoir évité le service militaire et le début d’une carrière de chanteur, petites salles, petits boulots, il tisse lentement une œuvre qui s’abreuve de poètes et chanteurs réalistes, se passionne pour Léo Ferré qu’il considère d’abord comme un modèle puis qu’il fréquente comme ami et mentor (particulièrement pendant la période rock, post Mai 68 avec le groupe ZOO). Lavilliers finit par percer au milieu des années 1970 et s’inspire de plus en plus de ses voyages. Il abandonne le rock/variétés à la française, reprend la balle au bond du reggae, initié par Gainsbourg, puis s’inspire des musiques antillaises, brésiliennes et de la nouvelle Babylone, le New York des années 1980, de la renaissance culturelle, du punk, de la new wave, de la salsa portoricaine. Puis quelques arrêts remarqués, à Montréal.
C’est à partir de cette période qu’il va rompre définitivement avec le Stéphanois Bernard Oulion et devenir Bernard le baroudeur.
De vedette à témoin de son époque, il tourne des documentaires sur le Nicaragua des sandinistes et des contras, suit les Cubains en Angola, pressent la fin de l’apartheid et la libération de Nelson Mandela. À une question posée par Mitterand sur ce qu’il fait de ses journées, il répondra qu’il chante à propos de causes perdues sur des musiques tropicales. Cet album en est la parfaite expression. Il revisite quarante ans de carrière, ses meilleurs textes et obsessions, fait réarranger par Romain Humeau du groupe Eiffel ses plus belles compositions.
Une orchestration tout acoustique, avec une multitude d’instruments qui donnent des couleurs chaudes et chatoyantes, largement supérieure à l’originale. Catherine Ringer, Oxmo Puccino, Jean-Louis Aubert viennent prêter main-forte. Lavilliers a souvent frôlé la caricature. Ici, en aucun moment. Le concert d’éloges est unanime en France, saluant en Lavilliers, le non-conformiste, l’anti-héros et l’aventurier, cher à une tradition toute littéraire, Cendrars et Mac Orlan. Excellent.