Faire la bise ou pas?
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«Allôôôôôôô! Ça fait trop longtemps!»
Je m'avance vers Collègue Romantique, qui m’interpelle. Pendant un instant, j'hésite entre lui tendre la main ou lui faire la bise. Je ne sais plus à quelle étape nous en sommes dans notre relation, elle et moi.
Je croise cette pimpante auteure de romans d'amour régulièrement dans les salons du livre, mais je ne peux pas dire que nous sommes intimes. Par précaution, je lui tends la main. Son sourire s'évanouit aussitôt.
Bon, j'ai gaffé. Elle doit être dans la catégorie de celles que j'embrasse. Ah les conventions sociales! Que ça peut être embêtant parfois. À quel moment on fait l'accolade à une personne? Quel est le signal pour passer du vouvoiement au tutoiement? Pas toujours évident, n'est-ce pas?
Depuis que je suis romancière, je suis de plus en plus confrontée à ce genre de situations. Avec mes collègues auteurs et éditeurs, mais aussi avec les organisateurs des salons et finalement, avec mes lecteurs et mes lectrices.
Devant moi, Collègue Romantique attend toujours que je rectifie le tir. Ce que je m'empresse de faire.
«Excuse-moi, je crois qu'on est rendues à l'étape de la bise, non?»
«Mettons! Les trois dernières fois, c'est ce qu'on a fait. Et non pas une simple poignée de main formelle», dit-elle, vexée.
Oups...Trois fois? Je ne peux pas croire que j'ai oublié ça. Elle exagère, c'est certain! Ou peut-être qu'elle me confond avec une autre auteure dont elle serait plus proche.
Ça aussi, c'est un problème qui survient souvent. La mauvaise identification des personnes. «Mais oui, on s'est rencontrés au lancement du livre de Collègue Jeunesse», ai-je dit récemment à un éditeur bien en vue. Et lui de me répondre: «Je ne suis jamais allé à un lancement de livres pour enfants.»
Ours en gelée
Re-oups! Pourtant, il me semblait bien que c'était lui, le beau brun avec qui j'avais passé une partie de l'après-midi à discuter en mangeant des ours en gelée et en buvant du jus de raisin. Le mal de cœur que j'ai eu, je vous épargne les détails...
Depuis ce temps, à chaque fois que je le rencontre, l'éditeur en question me dévisage comme si j'étais une hurluberlue. Probablement parce que je ne me suis pas contenté de sa réponse. J'ai insisté. Était-il certain de n'avoir jamais mis les pieds dans un lancement pour les petits? Faut croire qu'il n'a aucun doute à ce sujet. Moi, j'en ai par contre.
Non, mais, je sais tout de même avec qui je discute! Surtout s'il est bel homme et que la conversation mène au flirt. J'imagine qu'il n'a pas voulu me donner raison parce qu'il ne veut pas que je me crée des attentes. Il doit être marié, fiancé, gai ou je-ne-sais-quoi.
Je souhaiterais bien éclaircir ce point avec lui. Certes, je le trouve séduisant, mais maintenant que je vis avec Collègue Sanguinolent, je suis une femme rangée et fidèle. Finies les aventures dans les salons. Un point c'est tout!
Mais à l'air de bœuf qu'il me fait dès qu'il me voit, je n'ai vraiment pas envie de l'aborder. Bon, retournons à nos moutons. C'est-à-dire, à Collègue Romantique qui attend toujours une marque d’affection. Je l'embrasse chaleureusement, la félicite pour son dernier roman à l'eau de rose et la complimente sur sa robe fleurie un peu trop sage à mon goût. Elle retrouve aussitôt sa bonne humeur. Facile parfois de faire plaisir à quelqu'un, n'est-ce pas?
Bel inconnu
Nous placotons quelques instants quand un homme nous interrompt pour dire bonjour à Collègue Romantique. Ici, pas d'ambiguïté. Celui-là, je ne le connais ni d'Êve, ni d'Adam.
Avec un chaleureux sourire, il se tourne vers moi et s'informe si je vais bien. Son ton familier pourrait me faire croire qu'on s'est déjà rencontrés, mais je l'ai dit, il n'en est rien. Le tutoiement qu'il a employé pourrait aussi me faire douter, mais je persiste. Je ne l'ai jamais vu de ma vie.
«Tu es au salon jusqu'à demain, Romancière angoissée?»
Hein? Le bel inconnu me connaît! Ne me dites pas que nous nous sommes déjà parlé et que je ne m’en souviens pas? Ou pire que j’ai déjà eu une aventure avec lui? Son regard insistant me fait légèrement paniquer. C’est quoi cette mémoire à la con qui me fait défaut?
Si ça continue, je vais devoir faire une fiche d’identification de tous ceux que je rencontre dans les salons du livre: date, heure, sujets de conversation et nature de la relation. Ah oui, ne pas oublier d’ajouter la fameuse étape du bisou ou de la poignée de main. My God! Je vais y passer mes journées entières!
Faisons plus simple et demandons carrément des explications au bel inconnu.
«Je ne vous replace pas. Comment se fait-il que vous connaissiez mon nom?»
Il me regarde d’un air moqueur, en pointant... le petit carton d’identification que je porte, indiquant: «Romancière angoissée, auteure».
Fiou! Je suis soulagée de constater que je ne souffre pas d’Alzheimer précoce. Ou que je n’ai pas froissé l’ego d’un ancien amant...