Un géographe hors des sentiers battus
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Je me souviens des Voyages avec Hérodote, de Ryszard Kapuscinski. Le célèbre reporter polonais nous présentait, à travers ses pérégrinations asiatiques, celui qu’on considère comme le premier géographe, Hérodote, un historien grec préoccupé par le sort des hommes, qui cherche à comprendre pourquoi les guerres, pourquoi les migrations, pourquoi les frontières. Ces questions l’entraînent sur de nombreux sentiers, non pas en touriste, mais en enquêteur, dans cette Afrique d’avant Jésus-Christ.
La géographie, c’est une question d’organisation de l’espace. Cette géographie se fait, à la manière d’Hérodote et de Kapuscinski, «avec les pieds», de l’intérieur, avec les gens qui habitent les quartiers populaires où ils ont leurs habitudes de vie ou de mort. Un dénominateur commun, ou plusieurs, disons: la présence d’une mer Atlantique et d’une mer des Caraïbes, ces deux mers baignant des îles et des kilomètres de côtes et de plages, une végétation luxuriante, des populations mixtes, une rencontre entre deux continents, l’africain et l’européen, où se côtoient la plus grande pauvreté et la richesse la plus tape-à-l’œil pour vacanciers d’occasion ou millionnaires à la recherche de paradis fiscaux.
Bien sûr, les Québécois que nous sommes se sentent interpelés par cet univers, à première vue paradisiaque. D’abord parce que nous faisons partie de ces Amériques. Aussi, parce que le froid du nord nous pousse vers l’aventure du sud, à la recherche de chaleur. «Los tabarnacos», qui fréquentent les tout-inclus n’ont qu’une connaissance bien sommaire des idiosyncrasies caribéennes et de la réalité où ils viennent se reposer en toute légitimité, soit dit en passant.
Vraie découverte
Voici donc l’occasion de découvrir ces Caraïbes, ces «isles-à-sucre», comme les appelle l’écrivain Patrick Chamoiseau, qui ne sont pas faites uniquement de «cocotiers inclinés au bord d’une mer d’un bleu intense, de volcans éteints verdoyants, de bateaux de croisière» qui nous emmènent faire de la plongée sous-marine ou de la pêche à l’espadon.
On ne s’entend pas sur l’origine du mot «caraïbe». Les premiers Européens succombèrent aux rumeurs concernant les Caribes, des autochtones qui auraient été des mangeurs de chair humaine. «Le nom restera et désignera la mer, puis, par extension, l’ensemble de la région et ses habitants.» Cuba semble faire figure à part, ses habitants se définissant avant tout comme des Latinos et s’identifiant davantage à cette Amérique latine du sud et du centre.
Étant donné la grande diversité des populations autochtones qui vécurent dans l’archipel des Antilles, et de l’immigration, majoritairement européenne, mais aussi indienne et chinoise, survenue vers les XVe et XVIe siècles, il est impossible de tracer un portrait uniforme du Caribéen type. Tout au plus, peut-on avancer que venus avec la colonisation européenne, ces nouveaux insulaires s’établirent sur des plantations sucrières qui nécessitaient «la déportation et la mise en esclavage de travailleurs africains», entraînant bien souvent la décimation des populations amérindiennes.
De ce brassage des genres résulte une mixité indéniable, qui me ramène à nos origines à nous, descendants de colons français, mais qui se sont mélangés forcément avec les Amérindiens, pour survivre à la défaite de 1760. D’ailleurs, l’auteur nous apprend qu’une étude universitaire en cours «basée sur le prélèvement de sang des Cubains dans toutes les régions du pays est en voie de montrer que, derrière l’hermétisme des catégories ethniques, chaque Cubain possède à la fois des gènes amérindiens (8%), africains (20%) et européens (72%)».
Et dire qu’ici certains nous accusent d’être trop préoccupés par nos origines!
Un ouvrage qui donne le goût de voyager en bonne compagnie.