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Plus important encore... : 'It's the people, stupid'

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Photo Rainier Ehrhardt

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Par delà de bonnes informations ainsi que de bons logiciel, machines et adaptations, il faut avant toute chose comprendre les réalités des citoyens et des entreprises afin d’éviter de « mettre le bordel » dans leurs vies.

Dans mon billet précédent, je faisais écho à la mise en garde de Josée Plamondon, consultante en exploitation de contenu numérique, à propos d’un oubli majeur du présent débat public sur le « bordel informatique ». En effet, l’attention du débat portait presque exclusivement sur l’informatique ainsi que sur la conception, l’exécution et la gestion des applications numériques. Or avant même le dispositif informatique, il y a les informations. Celles qu’on choisit de produire ou non, leur qualité, leur pertinence, leur gestion. Les négligences à l’égard des informations sont donc tout aussi source d’échec ou d’enlisement de projets numériques.

La réussite d’un bon nombre de projets informatiques est impossible sans un bon « embrayage » entre l’information, la technique et le social

Aujourd’hui, je veux insister sur un autre grand oubli dans ce même débat sur le « bordel informatique ». Cet élément majeur se situe après la mise en marche d’un dispositif informatique : les gens. Car il y a des individus ou des organisations qui devront vivre avec le système tel qu’il fonctionne... ou pas.

La réussite d’un bon nombre de projets informatiques est impossible sans un bon « embrayage » entre l’information, la technique et le social.

L’incompréhension des réalités des vies des individus et organisations concernées s’est avérée souvent le talon d’Achille de bien des projets alors que, pourtant, des informations de qualité sont maniées par des machines roulant irréprochablement.

Technologie fiable et éprouvée, mais inadéquate

Il faut se désoler que le Québec n’ait pas tiré les nombreuses leçons du projet Carte Accès Santé Québec du début des années 2000. Cela avait pourtant été un échec réussi.

Premièrement, nous étions parvenus à constater l’inadéquation du projet suffisamment tôt pour n’avoir flambé qu’une quarantaine de millions sur les 328 millions du budget prévu (un demi-milliard, réalistement, estimé par plusieurs).

Deuxièmement, cette prise de conscience avant qu’il ne soit trop tard avait été possible parce que le projet avait été largement développé, discuté et documenté sur la place publique plutôt qu’en quasi secret au sein de quelques officines gouvernementales.

Si tout aussi publiquement nous avions tenté de tirer les leçons de l’échec constaté en 2002, nous aurions probablement pu éviter un certain nombre de naufrages, dérives et scandales survenus par la suite.

Pour l’instant, rappelons que l’une des raisons majeures de l’abandon du projet était que le dispositif proposé n’était utile que tant que le patient n’était pas... malade !

En effet, il s’agissait essentiellement d’un système de carte bancaire à microprocesseur. Une technologie déjà implantée avec succès par les banques européennes depuis les années 1980. Et pour laquelle, la Régie d’assurance-maladie (RAMQ) avait réalisé deux études sur le marché nord-américain potentiel pour le vendre au secteur... bancaire!

Et combien d’études la RAMQ avait-elle commandées sur les besoins des médecins et patients ici au Québec, demandez-vous? Aucune étude. Rien. Nothing. Nada. L’exposition de cette invraisemblable lacune en commission parlementaire marqua le coup de grâce d’un projet dont de nombreuses autres failles avaient déjà été décriées de toutes parts.

L'informatique est souvent affaire trop importante pour être abandonnée aux seuls informaticiens.

Or justement, le désign des cartes bancaires exige que la cliente se présente elle-même avec sa carte à tous et à chacun des points de services. La cliente doit chaque fois elle-même insérer sa carte et composer le mot de passe afin d’ouvrir sécuritairement la session qui met le point de service en communication avec la banque.

Le même désign en santé aurait donc entrainé que la malade qui se fait livrer ses médicaments n’aurait pas pu faire mettre à jour son profil pharmacologique. Ni permettre la communication d’éléments de son dossier médical vers un spécialiste consultant. Car il aurait fallu que sa carte et elle-même se présentent physiquement sur place à chaque fois pour ouvrir la session qui aurait mis tout professionnel, clinique ou établissement en communication avec la RAMQ.

Bref, nous avions une technologie fiable, sécuritaire et éprouvée. Mais le désign particulier retenu par la RAMQ avait, entre autres défauts, celui que plus les besoins des êtres humains censés être desservis auraient été grands, moins le dispositif se serait avéré utile.

Décisions efficaces, mais désastreuses

Restons dans le domaine bancaire. À la fin des années 1980, un grand établissement met en marche un nouveau système visant à offrir à ses clients un accès immédiat aux montants déposés par chèque au guichet automatique ou entre succursales.

Ce système prend donc automatiquement la décision de ne pas « geler » l’argent déposé pour les trois ou cinq jours nécessaires au virement entre les établissements émetteur et récepteur du chèque.

Sauf que le jour de la mise en marche, c’est la catastrophe. Au lieu de recevoir la reconnaissance de ses clients, l’établissement fut totalement submergé de plaintes. Un grand nombre de clients fermèrent même aussitôt leurs comptes en claquant la porte pour aller en ouvrir un chez le concurrent le plus proche.

La qualité des informations traitées n’était pas en cause. La technologie non plus : le système prenait des milliers de décisions à la seconde de manière totalement fiable et instantanée.

Le problème était plutôt que ces décisions étaient souvent aberrantes par rapport aux réalités concrètes des clients.

En caricaturant à peine, on peut dire que les informaticiens de l’établissement imaginaient qu’il n’existait qu’une seule sorte de client : l’informaticien faisant un très bon salaire qui reçoit tous ses services financiers (paie, épargnes, chèques, prêts, hypothèques, etc.) d’un seul établissement. Le système de pointage alimentant la décision automatique de « gel » ou non d’un dépôt était basé sur ce profil idéal. Plus la réalité du client en différait, plus celui-ci risquait de se faire « geler » son dépôt.

Le débat public doit aussi porter grande attention aux questions relatives à l’embrayage de l’informatique avec nos vies.

Ce fut évidemment le cas des entreprises qui n’ont manifestement pas le profil d’un être humain. Sans préavis, de nombreuses entreprises se virent soudain dans l’impossibilité de payer leurs fournisseurs ou leurs employés.

Le nouveau système gelait même pour plusieurs jours des dépôts par chèque effectués en personne par des clients humains au comptoir de leur propre succursale. Comme ces gens qui, depuis toujours, encaissaient sans problème leur chèque de paie au comptoir.

Comme les profils de ces clients étaient éloignés de celui de l’informaticien-employé-de-l’établissement, une large portion des personnes affectées était à faible revenu. En pleine période de réception des chèques de remboursement d’impôts, on peut dire l’établissement avait choisi le pire moment pour lancer un système qui, contrairement à son intention, souvent « gelait » plutôt que « dégelait » les chèques.

Encore une fois : nous sommes en présence de bonnes informations maniées par des machines qui fonctionnent bien. C’est plutôt l’embrayage avec la réalité sociale concrète qui est détraqué.

Pourquoi est-ce que je vous raconte cette histoire vieille de trois décennies, demandez-vous? Parce que de nos jours encore, les informaticiens de ce même établissement se débattent avec leurs difficultés à composer avec l’immense variété des besoins, contraintes et demandes de clients aux profils très divers.

Embrayages avec nos vies

À lire la série « Le bordel informatique » produite par le bureau d’enquête du Journal, on pourrait croire que ses révélations touchent des affaires, couteuses certes, mais éloignées de nos vies quotidiennes. Des scandales internes aux appareils bureaucratiques des organisations.

Or, c’est souvent tout le contraire. Les projets et systèmes informatiques dont on parle supportent dans bien des cas les services mêmes que nous recevons directement de ces organisations.

Il s’ensuit que l’informatique est souvent affaire trop importante pour être abandonnée aux seuls informaticiens.

Ainsi, le débat public doit aussi porter grande attention aux questions relatives à l’embrayage de l’informatique avec nos vies, notamment :

C-03

Identifie-t-on correctement la diversité des situations sociales individuelles des personnes dont traiteront les systèmes informatiques?

 

C-04

Adapte-t-on correctement les systèmes informatiques à la diversité des situations sociales individuelles des personnes concernées?

 

C-06

Comment s’assurer l’adéquation du projet informatique et de sa conception aux fins et objectifs identifiés?

 

C-07

Comment assurer la participation des utilisateurs, personnes et communautés à la conception des projets informatiques qui les concernent?

Entrées apparaissant déjà au Tableau des questions

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