/misc
Publicité

L’IRIS et la SAQ : une contribution limitée

vins SAQ


La semaine passée, l’Institut de Recherche et d’Information Socio-Économique (IRIS) a sorti une étude sur la Société des Alcools du Québec et la possibilité de privatiser cette société d’État. Il s’agit probablement de l’étude la plus étrange de l’IRIS aie jamais publié. En conséquent, je ne sais pas comment la décortiquer pour vous autrement que par la décortication de chacune des affirmations prises séparément. Voici le résumé de mon argument :

1.      L’IRIS présente l’Alberta comme un régime privé et libéralisé sans porter attention à l’importance aux failles dans la réglementation gouvernementale qui pourrait générer les résultats qu’ils découvrent.

2.      L’IRIS tire ses conclusions quant à l’évolution des prix à partir de données qui montrent davantage l’effet des hausses de taxe en Alberta que la baisse des prix avant taxes grâce à la concurrence.

3.      L’IRIS ne tient pas compte de la comparabilité des consommateurs pour effectuer son étude.

4.      L’IRIS utilise un échantillon trop petit pour comparer le niveau des prix. Il est difficile d’expliquer le choix d’un échantillon si petit. D’ailleurs, même en acceptant cet échantillon dont la taille est inférieure à celle préconisée au minimum dans les manuels de statistiques, la correction pour la parité des pouvoirs d’achat place quand même le Québec avec des prix plus élevés.

Tout d’abord, il convient de faire une mise en contexte importante. L’Alberta n’a pas privatisée et libéralisée le marché de l’alcool au complet. En Alberta, le gouvernement impose une restriction considérable : un prix de gros unique. Il est impossible pour les distributeurs d’effectuer des rabais pour les acquisitions de gros volumes – une limitation importante sur l’émergence des détaillants à grande surface. Non seulement cela, mais la théorie économique est très claire (et les preuves empiriques aussi), une telle approche a tendance à créer des opportunités de collusion. En effet, une réglementation de ce genre crée une information unique pour tous les acteurs de l’industrie qui peuvent plus facilement surveiller le comportement des autres. Une telle facilité de surveillance facilite la collusion et la fixation des prix pour les consommateurs (voir cet article  LIEN 1). En plus, le gouvernement albertain opère les entrepôts des alcools importés et impose un frais fixe et uniforme pour le transport des alcools sans égard à la distance. En fait, il y a seulement ... un entrepôt. Il s’agit d’une taxe indirecte pour les détaillants à proximité de l’entrepôt. À toutes fins pratiques, si l’Alberta a un problème avec son marché semi-libéralisé de l’alcool, c’est parce qu’elle est passée d’un monopole public inefficace à un oligopole privé protégé indirectement par des réglementations

Avant de lancer les pots, lançons les fleurs. L’IRIS contribue au débat en étudiant la valeur de la SAQ au trésor québécois. Même si il est peu ridicule de crier triomphe en voyant les rendements de la SAQ relativement aux grandes entreprises privées du Québec (après tout, on parle d’un monopole, est-ce surprenant de voir des marges bénéficiaires si importantes?), l’étude comptable de l’IRIS permet de bien identifier ce qui résulterait pour le trésor québécois advenant la privatisation. Toutefois, au-delà de cette contribution, l'étude de l'IRIS possède des failles importantes. 

Les prix du vin et des spiritueux

La pièce de résistance de l’étude de l’IRIS se trouve à mi-chemin de la lecture de celle-ci. L’IRIS se sert de l’Indice des Prix à la Consommation (IPC) pour mesurer l’évolution du prix des spiritueux et des vins et conclut que le Québec a des prix qui augmentent moins vite et qui sont plus bas.

L’IPC est conçu en collectant une large quantité de prix qui sont ensuite exprimé en chiffres indexés et chacun de ces chiffres indexés obtient un poids dans un plus grand panier qui est celui auquel nous faisons référence lorsqu’on parle de « l’inflation ».  On pourrait penser qu’il s’agit donc d’une bonne base de comparaison pour comparer les niveaux des prix. Ce n’est pas le cas.

Puisqu’il est conçu pour mesurer l’évolution des prix, l’IPC inclut les taxes dans la mesure des prix. Les taxes de ventes en général (TVQ, TPS) sont donc inclues dans les indices (voir la note méthodologique de Statistique Canada ici).  En conséquent, si le gouvernement devait – demain matin – décider d’augmenter sa taxe de vente sur l’essence, l’indice pour le prix de l’essence augmenterait également. Comme cette taxe affecte seulement un bien, et non pas l’ensemble des biens, l’évolution du prix réel (en utilisant l’IPC) sera mal-estimée.  Le prix réel avant taxe n’aurait pas changé, mais le prix rapporté par Statistique Canada (qui inclut les taxes) fait augmenter l’indice des prix à la consommation. Depuis 1994, le gouvernement albertain a augmenté plusieurs fois le « markup » du distributeur provincial (qui appartient encore à l’État).  

Par exemple, en 2009 il y a eu une augmentation importante du « markup » de 0.75$ à 3.34$ par bouteille de 750 ml. Le même mois de la mise en vigueur de la hausse, le prix réel de l’alcool a augmenté de près de 13%.  Ces changements du « markup » sont rares, mais ils expliquent dramatiquement les effets sur les prix en Alberta en 1994 et 2009.

Avec les données de Statistique Canada, on peut obtenir l’évolution du prix réel avec taxes des vins et spiritueux au Québec et en Alberta depuis 1992 (en prenant la première dérivée du changement nominal des alcools relativement au niveau général des). Le graphique ci-bas illustre bien cette réalité. Remarquez que les deux endroits voient leurs prix évoluer de la même manière! La tendance est à la baisse dans les deux cas.  C’est un peu normal, l’alcool est un marché international dans lequel le prix avant taxe s’égalise. C’est un peu normal considérant que le Québec tout comme l’Alberta sont des petites économies dont la consommation n’affecte pas le niveau des prix à l’international. C’est d’ailleurs bien connu que depuis les années 1990, les prix des produits alcooliques ont diminué à l’international. Ainsi, les mouvements sont similaires.

vins SAQ
Vincent Geloso

Toutefois, regardez les deux pics qui apparaissent et disparaissent en 1994 et 2009. Ce sont là que les hausses de taxes spécifiques à l'alcool en Alberta se produisent! Pour bien voir l’ampleur de ces problèmes, imaginons qu’en 1992, les prix étaient égaux au Québec et en Alberta et voyons comment ils ont évolué en ajustant pour l’inflation (on peut mieux déceler le cumul de la réduction des prix ainsi). Le second graphique ici illustre ceci. Remarquez que le prix réel des spiritueux et des vins ont diminué selon des tendances très similaires dans les deux provinces. Toutefois, l’Alberta a eu deux augmentations importantes de taxes en 1994 et 2009 (avec le « markup »). À ces deux moments, le niveau du prix avec taxes mesuré par Statistique Canada a grimpé, ce qui nous laisse avec l’impression que l’Alberta a eu une augmentation plus importante des prix de l’alcool. Cette augmentation, même si les consommateurs paient, résulte des décisions gouvernementales de taxer davantage. Si on prend la moyenne des taux de changements du prix réel en omettant les mois (mai 2009 et février 1994) lorsque les hausses de taxes ont eues lieu, la tendance des prix est de 0.15% à la baisse en Alberta depuis janvier 1992 et de 0.07% à la baisse au Québec au cours de la même période

Normalement, pour comparer la performance de deux marchés, il faudrait prendre le prix avant taxes. Malheureusement ces données ne sont pas  disponibles. Il est donc impossible d'établir la conclusion que l'IRIS essaie d'établir de manière satisfaisante.  La présence des taxes dans les indices de prix faussent considérablement la comparaison entre les marchés albertains et québécois (l'exemple ici montre bien qu'il est impossible de tirer une conclusion fiable d'un côté comme de l'autre avec ces données). Depuis plusieurs années maintenant, je m’époumone à expliquer que les indices de prix produits par Statistique Canada (de son propre aveu) ne sont pas conçus pour des comparaisons inter-régionales mais plutôt pour des comparaisons inter-temporelles. L’exemple ici démontre bien pourquoi les inférences tirées d’un tel indice peuvent être trompeuses.  

vins SAQ
Vincent Geloso

Il y a toutefois un problème encore plus massif dans l’utilisation de l’IPC. Statistique Canada rapporte le prix des produits achetés en magasin (définition de Statistique Canada : Boissons alcoolisées achetées en magasin). Mais que se passe-t’il si les consommateurs changent leurs préférences? Si le revenu moyen de l’Albertain a augmenté suffisamment pour qu’il décide de remplacer sa bouteille de Canadian Club 3 ans pour une bouteille de Glenlivet 12 ans, les magasins vendront la seconde bouteille et la première ne sera plus vendue. Est-ce une baisse de prix? Et que se passe-t-il si les prix relatifs des différents produits changent? Par exemple, si je perçois le Canadian Club 3 ans et le Glenlivet 12 ans comme des produits substituts mais que le prix du Glenlivet dimunue alors que celui du Canadian Club demeure le même, je vais simplement déplacer ma consommation vers le Glenlivet. Si le prix du Canadian Club diminue, ce sera l’inverse. Les données de Statistique Canada ne permettent pas de réfleter de tels changements dans les comportements des consommateurs ni l’effet des différences de revenu dans le comportement des consommateurs. Il est difficile de connaître l’ampleur de ce phénomène pour le cas de l’alcool puisqu’il faudrait des études importantes qui suivent des millions de ventes individuelles (par exemple avec des bases de données crées avec les « bar code scanners »). Toutefois, on peut obtenir une idée approximative de l’ampleur de ce phénomène en regardant la valeur des ventes d’alcool en Alberta et au Québec par litre d’alcool vendu (tableau 183-0015).  Tant pour le vin que pour les spiritueux, le Québec a vu une diminution nettement moins importante de la valeur des ventes par litre vendus. L’IRIS a donc probablement un problème de comparabilité des consommateurs ici. En conséquent, le résultat qu'ils ont est fragile puisqu'il repose sur des présomptions défaillantes. Il est difficile de savoir si cela joue en faveur ou en défaveur de leur hypothèse, mais force est d’admettre qu’il est difficile de tirer une conclusion solide sans répondre à ce problème! 

vins SAQ
Vincent Geloso

Après avoir présenté ces résultats avec l’IPC, l’IRIS dévoile le résultat d’un échantillon de douze produits ainsi que leurs prix comparés au Québec et en Alberta.  Il s'agit là d'une méthode plus fiable, mais la fiabilité dépend de la taille de l'échantillon. Le résultat est que le prix moyen du vin au Québec est de 26,29$ contre ...26.42$ en Alberta. Un tel résultat provient probablement de l’échantillon limité qu’ils ont conçu (12 bouteilles alors que le manuel le plus élémentaire de statistiques recommande de toujours avoir un échantillon où n=30). À des fins heuristiques, admettons pour une seconde que ce problème d’échantillonnage n’est pas important l’IRIS est tout de même relativement incohérent. Généralement, l’IRIS affirme qu’il faut tenir compte des différences du coût de la vie dans la mesure des différences de niveau (je n’accepte que partiellement cet argument – voir ici). Ceci implique qu’il faut comparer les prix en tenant compte de la parité des pouvoirs d’achat (PPA). Logiquement, l’IRIS (qui tient à cet argument de la PPA pour minimiser l’ampleur du retard économique québécois) devrait faire l’effort de cohérence intellectuelle qui nécessite la correction des prix pour la PPA. Puisque le niveau des prix semble être environ 5% à 10% plus élevé en Alberta qu’au Québec, les prix égaux que trouve l’IRIS avec son échantillon signifie que le prix réel ajusté en Alberta est plus bas qu’au Québec. Ajoutons au passage que le salaire horaire médian des Albertains étant considérablement plus élevé que celui des Québécois, le pouvoir d’achat des Albertains est plus élevé. Au salaire horaire médian de 25,00$ (tableau 282-0070), une heure travaillée en Alberta achète 94,3% de la bouteille moyenne de l’IRIS. Pour une heure de travail (salaire horaire médian de 20,00$), le travailleur québécois obtient 76% de la bouteille moyenne de l’IRIS.

Le seul qui a tenté une comparaison plus vaste des prix en Alberta (avec la Colombie-Britannique seulement) c’est Mark Milke de l’Institut Fraser. Malheureusement, son étude possède bien des limitations aussi qui ne répondent pas mieux à plusieurs critiques que je fais ici de l’étude de l’IRIS. Toutefois, l’étude de Milke est nettement supérieure à celle de l’IRIS grâce aux désagrégations des données qui sont effectuées. Milke a cherché partout les prix les plus bas disponibles aux consommateurs, a tenu compte du prix avant taxe et a sélectionné un échantillon de 1,845 produits et a découvert que dans 83% des cas, les prix étaient plus bas en Alberta qu’en Colombie-Britannique.

Conclusion

Malheureusement, des études plus larges, plus rigoureuses et mieux méthodologiquement construites qui incluent le Québec ainsi qu’une perspective temporelle ne sont pas disponibles. L’étude de l’IRIS ne résout pas ce problème. En fait, cela fait plusieurs années que j'affirme qu'il est nécessaire de concevoir une étude rigoureuse en utilisant des nouvelles technologies de collection de données afin de bien comparer les marchés albertains et québécois. Il ne s'agit pas d'une tâche si difficile après tout. Il suffit de choisir un large nombre de magasins à travers les deux provinces, choisir une période de temps assez longue pendant laquelle se produira et ensuite installer les lecteurs de codes à barre pour enregistrer les achats. Ainsi, nous saurons les prix des produits, les produits que les gens achètent véritablement ainsi que le volume des achats par personne moyenne. Ces statistiques permettront des contrôles rigoureux pour bien évaluer les différences inter-provinciales. J'aimerai beaucoup voir ce genre d'enquête. En fait, ce genre d'enquêtre représenterait l'idéal d'une étude sérieuse sur le sujet. Le "minimum minimal" consiste à comparer des prix pour un grand nombre de produits (sans en connaître la popularité). Ce n'est pas l'idéal, mais c'est mieux que rien. Il est impossible de se fier à l'IPC pour effectuer des comparaisons viables des différences ni même à des échantillons contenant une douzaine de produits. Sans un tel niveau, la contribution est limitée. 

 


Vous désirez réagir à ce texte dans nos pages Opinions?

Écrivez-nous une courte lettre de 100 à 250 mots maximum à l'adresse suivante:







Commentaires

Vous devez être connecté pour commenter. Se connecter

Bienvenue dans la section commentaires! Notre objectif est de créer un espace pour un discours réfléchi et productif. En publiant un commentaire, vous acceptez de vous conformer aux Conditions d'utilisation.