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Le repos du guerrier

Devenu homme d’affaires, l’ex-défenseur du Canadien veut donner tout son temps à sa famille



Ça bouillonne chez les Bouillon. La page est raide et lourde à tourner. À quatre mois de ses 40 ans, Francis n’a pas d’illusions et, déjà, il fonce dans sa nouvelle vie. La porte est entrouverte en vue d’un retour sur la glace à l’automne, mais, même s’il est dans une forme exemplaire, les fesses et les cuisses dures comme de la roche, il y a de nouvelles réalités qui n’ont rien à voir avec une rondelle et un bâton de hockey.

Mikaël et Anthony, ses jumeaux de 12 ans, ne vivront plus le chamboulement que la carrière de leur père leur a imposé la saison dernière. Ginette et Francis se sont déchiré le cœur tout l’hiver à cause d’un manque de communication. On avait compris qu’en Suisse, les garçons commenceraient leur secondaire en français, mais ils se sont retrouvés dans une école italienne.

Aujourd’hui, c’est le père de famille qui parle: «Ça va faire. Ils ont été assez trimbalés. Ils sont la priorité et ils vont étudier en français.»

Si Francis appose son nom au bas d’un autre contrat, pas loin, il y aura un environnement idéal pour ses fils.

Ses condos

Sans qu’on le réalise trop, au cours de ses dernières années avec le Canadien, Francis a pris le pli d’un homme d’affaires. Présentement, s’il ne sait pas trop où il s’en va avec ses patins, il sait très bien d’où il vient.

Il y a trois ans, lorsque les dirigeants des Jeunes Sportifs d’Hochelaga, dans l’Est de Montréal, ont fait savoir à leur ancien protégé qu’ils étaient sur le bord de la faillite, Francis Bouillon a été spontané, parce qu’il y a des moments de notre existence qu’on n’oublie jamais.

« Je savais que je sortais du vestiaire le plus merveilleux du monde pour ne plus y revenir. » – Francis Bouillon

Francis a sorti son chéquier. À perte, d’abord, il a acheté la vieille bâtisse des JSH pour leur éviter la banqueroute. Ensuite, il s’est investi dans la grande aventure. En douce, il a tout jeté par terre et, audacieusement, il a fait bâtir 75 condos angle Préfontaine et Ontario. Plus de la moitié ont déjà été vendus.

Celui qui a porté les numéros 51 et 55 avec le CH a nommé sa compagnie «Usine 51.com». «Cet été, je veux m’approcher de mes clients. Ceux qui sont là et ceux qui désirent acheter ou louer. Être sur place, les faire visiter et leur montrer qu’on est bien là où j’ai grandi. Je ne cherche pas le grand coup d’argent, je veux juste que tout le monde soit gagnant.»

Des larmes

Le mot retraite donne des frissons inconnus, étranges, mais il laisse aussi poindre une palpitante aventure après une carrière de 19 ans chez les pros, 776 matches dans la Ligue nationale.

La dernière année a été éreintante et chargée d’émotions. Coupé à la toute fin du camp d’entraînement du Canadien, il a amèrement vidé son casier et il est rentré chez lui en pleurant réalisant soudainement que la page venait de tourner et que ce n’est pas lui qui l’avait tournée.

«Je savais que je sortais du vestiaire le plus merveilleux du monde pour ne plus y revenir. Ce fut la plus douloureuse blessure de ma carrière.»

Séjour difficile en Suisse

Photo courtoisie

Le passage en Suisse a été contrariant, choquant. Pour les enfants qui, en plus de l’école italienne, n’ont pu jouer au hockey de l’hiver, mais également pour Francis dont l’équipe, Ambri-Piota,était parmi les plus faibles de la Ligue. Enrégimenté dans le concept un pour tous, tous pour un, il a été déçu. Pour l’esprit d’équipe, on repassera.

Le couple qui est amoureusement soudé depuis les Citadelles de Québec, il y a 15 ans, est retourné au Centre Bell à la mi-mai pour assister à un des derniers matches du CH contre le Lightning. Francis, comme un vrai ancien, a téléphoné à Réjean Houle pour obtenir des billets et il s’est senti tout drôle quand, après le match, il a pris le chemin du Salon des Anciens avec les Carbo, Quintal et autres.

Bouillon est à un cheveu du changement, mais il se dit encore incapable d’affirmer qu’il prend sa retraite. Il a peur de se tromper mais, sur la terrasse du Houston au Dix30, et après quelques petites coupes d’un bon vin français, il ne réalisait pas qu’il parlait de hockey beaucoup plus souvent au passé qu’au futur.

Il y a un livre à écrire sur la vie de cet homme, né à New York de Claude Bouillon, un père haïtien qu’il a plus ou moins perdu de vue à l’âge de 5 ans après sa rupture avec maman Murielle qui, elle, est toujours très près de son fils.

Le père de Francis, dans la vraie vie, c’est encore Michel Dépatie qui travaille chez POM. Un homme qui a été merveilleux pour sa mère, pour lui, pour son frère Éric (électricien et véritable boute-en-train), et sa petite sœur Marilyne qui est enceinte.

Le rêve de la nature

Après plus de 20 ans à s’arracher le cœur afin de démontrer qu’un gars de 5 pi 8 po peut devenir un défenseur robuste, solide et fiable dans la Ligue nationale, Francis change à vue d’œil et, dans son Ford F-150, d’autres passions font surface. Il rêve à la pêche, à la forêt et à une activité que le hockey lui a interdite pendant des années: la chasse.

« Je suis allé à l’orignal une seule fois dans ma vie. C’était pendant le lock-out de 2004 et j’ai capoté. Je suis revenu bredouille, mais je n’ai pas dit mon dernier mot. »

 

La taloche de Simmonds

Photo d'archives

Au fil de la conversation, je n’ai pu m’empêcher de lui parler du 3 février 2008. Quand, du haut de ses 5 pi 8 po, il a engagé un impossible combat contre Colton Orr, un craqué de 6 pi 3 po, il n’a pas réalisé que le matamore qui voulait assommer n’importe quel joueur du Canadien avait les bras deux fois plus longs que les siens. «La guerre, c’est la guerre et je ne voulais pas que les Rangers croient qu’on avait peur.» Après le furieux combat, au banc des punitions, Orr regardait Bouillon et n’en revenait tout simplement pas et il lui a dit, d’ailleurs. Il venait de faire connaissance avec un petit gars de l’Est de Montréal. Un enfant d’Hochelaga-Maisonneuve qui devait sortir ses poings contre les plus costauds s’il voulait se baigner en paix au Bain St-Mathieu. La peur? Connaît pas. La taille? On verra après.

Humblement et en riant, il m’a ensuite raconté. «Un jour, j’ai rencontré mon homme. Wayne Simmonds des Flyers. Je jouais pour Nashville. Je me suis approché trop vite et il m’a connecté en plein milieu du visage. Quelle sensation bizarre de sentir que le bout de ton nez peut toucher ta joue. J’ai été deux semaines sans me moucher.»

 

Une carrière bien remplie

Photo d'archives

1996 | Prédateurs de Granby | Remporte la coupe Memorial | 46 pts | 68 matchs

1998 | Canadien | Jamais repêché, le Canadien lui offre un contrat

1999 à 2009 | Canadien | 102 pts | 481 matchs | Ses efforts lui méritent un contrat de 3 ans de 5,6 M$ en 2006

2009 à 2012 | Predators de Nashville | 31 pts | 191 matchs

2012 à 2014 | Canadien | le retour du guerrier | 15 pts | 100 matchs

2014-2015 | HC Ambri-Piotta | 11 pts | 31 matchs

 

Ce que Francis en pense

Francis savait depuis l’an passé que le Canadien n’aurait pas de capitaine, cette année. Pourquoi? Parce que personne n’était prêt. Il croit maintenant que Pacioretty aura le «C» en octobre prochain.

Lui, le meilleur capitaine qu’il ait connu est Shea Weber même s’il était très jeune. Le meilleur coach? Michel Therrien, évidemment. Le meilleur ami rencontré dans le hockey? Le gardien Mathieu Garon. L’adversaire qu’il a le plus détesté ? Darcy Tucker et je ne vous écrirai pas ce qu’il a dit. Pas très joli.

Et P.K. Subban? Il rit: «Ça, c’est un phénomène. Au début, Subban tapait sur les nerfs de tout le monde, mais on a vite compris que c’est un gars qui a besoin d’attention. De tous. Du public, des journalistes, des coaches, de ses coéquipiers et même du gars de la Zamboni. Il veut être aimé et, t’as pas le choix, tu finis par l’aimer. «P.K., c’est comme un p’tit frère fatiguant. Mais c’est ton frère.»

«Quand P.K. entre dans le vestiaire à côté d’un Markov qui a un visage de plâtre et d’un Plekanec concentré à l’os, ça donne un coup.» Et si les caméras de «24 heures CH» sont là, le plancher va vous glisser en dessous des pieds. Il ratisse large et adore les kodaks. Vous avez pas fini de l’aimer et il vous fera gagner.»

Où sera Francis, cet automne? Il ne le sait pas encore, mais une chose est sûre, quand on a grandi angle Bercy et Rouen, on sait très bien que jamais rien n’est gagné d’avance. Les bottes de travail, qu’elles aient des lames ou pas, sont toujours au pied du lit et il faut les enfiler tous les jours.

 

Francis Bouillon, glissez ce nom dans la filière des vrais de vrais.

 







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