Quand la réalité rencontre la fiction
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François Rozon détourne parfois le regard durant les séances de visionnement de Pour Sarah. Et pour cause. Comme Sarah, sa fille Justine a passé plusieurs mois dans le coma après avoir subi un grave accident d’auto. «Par moments, c’est troublant», admet le producteur en entrevue.
L’affaire avait fait couler beaucoup dans les journaux en 2010. Après une fête, un jeune conducteur de 18 ans avait multiplié les manœuvres dangereuses au volant d’un véhicule à bord duquel se trouvaient Justine et deux autres passagères, toutes âgées de 16 ans. Sa course folle avait pris fin de façon violente : en frappant un arbre de plein fouet. L’accident a fracturé le bassin de Justine, causant de sévères dommages à ses organes internes. Nourrie par intraveineuse et hospitalisée, elle reçoit des traitements à Toronto depuis février dernier.
Portée par François Rozon, la série Pour Sarah est inspirée du drame vécu par Justine. L’auteure Michelle Allen (Vertige, Destinées) a toutefois pris plusieurs libertés en écrivant son scénario. Au moment de notre entrevue, François Rozon était rendu au sixième épisode. «C’est quand même loin de moi, insiste le président d’Encore Télévision, qui produit la série avec Anne Boyer et Michel d’Astous de Duo Productions. C’est une fiction, je peux avoir un certain détachement, mais je reconnais parfois des moments que j’avais évoqués avec Michelle (Allen). Quand le père reçoit le fameux coup de téléphone, ce n’est pas pareil, mais les souvenirs me sont revenus assez vite. Quand je vois Sylvain (Marcel, qui joue le rôle du père) chercher un coupable, une raison, être fâché contre la vie... Ce n’est pas exactement pareil, mais ça me rappelle beaucoup de choses.»
Éprouvant
François Rozon dit avoir trouvé le tournage de Pour Sarah beaucoup plus éprouvant. «Je n’aimais pas être présent pour les scènes d’hôpital, reconnaît-il. Nos décors étaient vraiment fidèles. Puis j’ai passé tellement de temps dans les hôpitaux... Je n’avais pas envie de voir ça... Je trouvais ça trop tough, d’autant plus que j’étais constamment de retour de Toronto, où ma fille est hospitalisée.»
Faire la paix
Donner vie à Pour Sarah était un projet qui tenait à cœur à François Rozon. «Ça m’a aidé à faire la paix avec tout ce qui s’est passé, dit-il. C’est difficile à expliquer, mais tu te sens tellement isolé quand tu vis quelque chose comme ça... Ça fait cinq ans que j’ai l’impression de vivre dans un monde parallèle. Tu passes des jours et des jours à l’hôpital. Tu n’as pas une vie comme le reste du monde. Les beaux moments, tu veux les partager.»
Malgré son sujet dramatique, Pour Sarah n’est pas une série glauque, insiste François Rozon. Au contraire, elle contient plusieurs zones lumineuses.
«Ma fille a vu quelques épisodes... Elle aime bien ça. Elle trouve que certaines choses sont moins pires dans la série. Mais c’est normal. Tu dois faire des coupes dans le récit. Tu ne veux pas rester 10 épisodes dans une chambre d’hôpital. Sinon, tout le monde va vouloir se tirer une balle dans la tête. Tu guéris plus vite en fiction qu’en réalité. Tu ne peux pas montrer comme c’était long et pénible, parce que ça peut véritablement devenir long et pénible.»
Œuvre utile
François Rozon, qui avait visité le plateau de Tout le monde en parle en 2010 pour sensibiliser les adolescentes aux dangers d’une conduite dangereuse au volant, souhaite non seulement que Pour Sarah touche les téléspectateurs, mais fasse aussi œuvre utile.
«Ça serait bien qu’il reste quelque chose de tout ça... Ça serait bien qu’on aille chercher les jeunes d’une manière différente, parce que personne n’aime se faire faire la morale. Mais s’ils embarquent dans l’histoire, ça va peut-être provoquer une prise de conscience quand ils vont voir tous les ravages que ça fait.»
- TVA présente Pour Sarah le lundi à 21 h. À compter du 21 septembre.
Des vies qui basculent
Questions aux acteurs
Pour Sarah, c’est avant tout l’histoire d’une famille dont la vie bascule du jour au lendemain. Nous avons discuté avec les trois acteurs au cœur du drame, Marianne Fortier (Sarah), Hélène Florent (Judith) et Sylvain Marcel (Luc).
Pour Sarah est inspirée d’une histoire vraie. Est-ce difficile de jouer des événements aussi tragiques quand on sait qu’ils sont réellement survenus?
Sylvain Marcel : Ce n’est pas exactement ce qui s’est passé. Beaucoup de portions ont été romancées. Ma seule référence, c’était en tant que père. Comment est-ce que je réagirais si ça arrivait à mes fils? Je tomberais en mode survie, tout comme mon personnage. Luc laisse tout tomber pour Sarah : son travail, ses obligations, tout... Il est surprotecteur. Ça devient maladif. Mais c’est une belle démonstration d’amour d’un parent pour son enfant.
Avez-vous contacté les personnes desquelles vos rôles sont inspirés?
Marianne : Non. Par pudeur, peut-être... Mais je n’avais pas envie de baser mon personnage sur quelqu’un qui existe. Pour Sarah est une fiction. On fait quelque chose de différent. J’ai construit mon personnage moi-même.
Hélène : C’était aussi par respect pour cette famille... On s’éloigne quand même beaucoup de leur histoire. Grâce aux textes de Michelle Allen, les personnages étaient très clairs, très définis. On n’avait pas besoin d’aller chercher des informations ailleurs. On n’avait pas besoin d’aller gratter dans le vécu de quelqu’un.
Sylvain : J’ai quand même discuté avec le père (le producteur François Rozon), mais on n’est jamais rentré dans les détails. Ça n’aurait rien donné de faire ça...
Hélène : François avait raconté quelques éléments clés à Michelle Allen, qui s’en est ensuite servi dans son scénario. C’est tout ce qu’on avait besoin de savoir.
Croyez-vous que Pour Sarah provoquera des discussions entre parents et adolescents sur les thèmes soulevés dans la série, comme la conduite dangereuse avec facultés affaiblies?
Marianne Fortier : Oui. J’étais au secondaire il y a quelques années. Je sais comment c’est. On nous parlait souvent de trucs du genre. Et souvent, ça nous passait 10 pieds par-dessus la tête parce que c’était fait de façon moralisatrice. On nous disait : «Ne faites pas ça. Soyez responsables.» Mais quand tu te fais dire quoi faire quand tu es jeune, tu as envie de faire exactement le contraire. Pour Sarah montre de vrais jeunes, de vraies gens, de vraies familles. Ça montre la vraie vie. Je pense qu’ils vont pouvoir se mettre dans la peau des personnages. Ils vont se poser des questions.
Hélène Florent : C’est du moins ce qu’on souhaite.
Sylvain Marcel : Cela dit, il faut que jeunesse se passe. J’ai plusieurs fils. Je sais de quoi je parle. J’en ai qui ont fait des niaiseries. Heureusement, il ne leur est jamais arrivé quelque chose d’aussi grave. Pour Sarah, c’est l’histoire d’un accident qui n’aurait pas dû arriver. Ça montre comment on vit avec après... Comment on survit...
Comment décririez-vous vos personnages respectifs?
Hélène Florent : Judith est très proche de Sarah. C’est quelqu’un qui a un emploi qui ne l’excite pas. Elle vit des frustrations dans son couple. Les événements vont faire ressortir tout ça. Quand tu es fatigué et quand tu es à fleur de peau, tu n’as plus de filtre. Judith et Luc vont s’accuser l’un et l’autre. Ils formaient un couple qui battait déjà de l’aile... L’accident de Sarah va fragiliser leur union.
Sylvain Marcel : Mais ils sont solidaires dans leur bataille juridique.
On décrit Sarah comme une fille lumineuse de 17 ans qui respire la joie de vivre. Cache-t-elle des choses à ses parents?
Marianne Fortier : Oui, mais c’est tout à fait normal. Il y a des choses qu’on ne veut pas partager avec nos parents. C’est notre jardin secret. C’est bien qu’on le montre à l’écran. Beaucoup de jeunes de mon âge vont se reconnaître.
Hélène Florent : Sarah cachait des choses à ses parents, mais c’est parce que c’était sa vie personnelle, sa vie privée... pas parce que c’était une dévergondée.
Comment le tournage s’est-il déroulé?
Marianne Fortier : Le début du tournage a été plus houleux pour moi parce que j’étais en fin de session à l’université. Je terminais ma journée de tournage, j’arrivais chez moi, j’étudiais jusqu’à minuit, puis ça recommençait le lendemain matin. J’arrivais sur le plateau hyper fatiguée et dans les premiers temps, j’avais essentiellement des scènes de coma où je devais être inerte pendant des heures, sans trop bouger les yeux, sans respirer fort... C’était physiquement difficile, parce qu’il ne fallait pas que je m’endorme... ce qui m’est arrivé une fois!
Sylvain Marcel : C’est vrai! Durant la scène, Marianne devait avoir une réaction. Elle devait faire quelque chose avec ses lèvres, mais rien! Elle était vraiment partie! Je voyais qu’elle ne bougeait pas, alors j’ai juste pris son pied, puis elle s’est réveillée.
Marianne Fortier : J’en avais perdu un bout!
Savais-tu que jouer une personne dans le coma était un aussi grand défi?
Marianne Fortier : Je m’y attendais un peu, parce que ma sœur avait fait quelque chose de semblable dans la série Trauma. Elle m’avait avertie. Elle m’avait dit : «Passer 12 heures couchée sur une table d’opération, ce n’est pas l’idéal.»
Croyez-vous qu’il pourrait y avoir une suite?
Hélène Florent : On nous a présenté Pour Sarah comme une série fermée. Mais le personnage de Sarah est tellement attachant. On ne sait jamais...