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Marcel Aubut: les grands perdants

Marcel Aubut se retrouve emporté par un tsunami médiatique qui l’a forcé à démissionner de son poste de président du Comité olympique canadien.
Marcel Aubut se retrouve emporté par un tsunami médiatique qui l’a forcé à démissionner de son poste de président du Comité olympique canadien. photo d’archives


C’est peut-être la chronique la plus difficile à écrire de ma ­carrière. Parce que ce n’est pas un secret, Marcel Aubut est mon ami depuis 40 ans.

On s’est retrouvés à des Jeux ­olympiques, à des Grands Prix de ­Formule 1, à des séries de hockey, dans des fêtes de famille et, évidemment, dans des rides de moto aux ­quatre coins de l’Amérique.

Je connais Francine, sa femme, ses filles et ses petits-enfants. Ils sont ­dévastés.

Marcel Aubut se retrouve emporté par un tsunami médiatique qui l’a forcé à démissionner de son poste de président du Comité olympique canadien et qui va l’obliger, avec sa famille, à vivre un enfer dans l’opinion publi­que pendant des mois. Peut-être des années. Le sketch au prochain Bye Bye va viser pour tuer. Les humoristes vont récupérer cette vague écrasante, que Marcel Aubut et ses proches s’y attendent.

Et s’il a eu un comportement d’ado grossier avec des femmes, que ce soit en paroles ou autrement, et même s’il n’a jamais eu l’intention de blesser qui que ce soit, cet ouragan est maintenant le prix à payer en 2015.

J’espère que toutes les femmes concernées se sont mieux senties en ­lisant ses excuses publiées dans les journaux. Tout le monde a droit au respect.

Talon d’Achille

Mais il y a beaucoup de perdants dans cette triste histoire. Tout d’abord, ces femmes qui ont vécu des situations malaisées. Ce n’est jamais agréable. Aussi, la famille et les proches de Me Aubut. Ces gens sont atteints en plein cœur.

Par ailleurs, c’est sûr que Marcel ­Aubut ne faisait pas dans la dentelle. On ne parvient pas à la présidence du COC sans écraser des orteils au passage. Et Me Aubut a bousculé beaucoup de gens dans son ascension vers les sommets qu’il voulait atteindre. Que ce soit les Nordiques ou le COC.

De plus, sa nature et son exubérance l’ont amené à une familiarité et à une façon d’aborder les femmes qui ont déplu à plusieurs. Au fil des années, les cas s’accumulent et quand il y a une fissure dans le barrage, c’est un torrent qui noie tout. On l’a vu ces derniers jours. D’ailleurs, il avait été prévenu de modifier son attitude. Ce fut le talon d’Achille de cet homme doué et énergique.

Dans la tempête, on oublie cependant les réussites colossales de l’individu. On oublie qu’il a consacré des milliers d’heures à améliorer les conditions des athlètes amateurs au Canada. Soyons réalistes, le COC était un club fermé de faux aristocrates anglo-saxons et de quelques valets francophones qui se servaient de leur titre pour voyager dans le monde et assister aux Jeux olympiques. Les exceptions étant Richard Pound, Kevin Gilmore et Walter Sieber.

Il a complètement transformé le COC et implanté à Montréal la Maison olympique et les dizaines d’emplois qui l’accompagnent en plein boulevard René-Lévesque. Il était fou des athlètes et se dépensait sans compter pour qu’ils reçoivent une partie de ce qu’ils auraient mérité.

Toronto reprend le pouvoir

De plus, avec l’arrivée de Marcel ­Aubut, le mouvement olympique et le sport canadien avaient retrouvé le respect pour les athlètes et les intervenants francophones. Plusieurs avaient progressé comme jamais dans cette structure discriminatoire. Le ressac sera terrible.

D’ailleurs, ceux qui vont mener le mouvement olympique à l’avenir seront Chris Overholt, le PDG à 500 000 $ qui voulait la tête de Marcel Aubut depuis plusieurs années, et ­Tricia Smith, celle qu’il avait battue aux élections à la présidence avant les Jeux de ­Vancouver.

Toronto et le reste du pays reprennent donc le pouvoir.

Le cas de Marcel Aubut va au moins servir à une nouvelle cause. Qu’il se soit comporté en «mononcle colon», c’est de cette façon que certaines femmes l’ont perçu. Que dans sa truculence rabelaisienne il n’ait pas vu l’évolution de la société et le malaise de nombreuses femmes devant ses ­approches, on le voit, c’est considéré comme inadmissible.

Mais quand la tempête va se calmer, on pourra sans doute mieux réfléchir à la situation. Pour l’instant, c’est la curée. Je pense à cette avocate, Amélia Salehabadi-Fouques, qui a raconté qu’elle s’était sentie «violée» lors d’un souper à la Queue de Cheval. Pendant tout ce temps au cours des dernières années, jusqu’en 2015 en fait, elle a ­envoyé des piles de courriels qui font 19 pages, tous adressés à «Mon beau Marcel» et signés «Gros bisous, bises, je t’embrasse bien fort». Au lendemain d’un souper, elle le remercie en quelques lignes pour «cette soirée ­géniale» et avec gros bisous évidemment. On peut au moins croire que les signaux étaient pour le moins ­ambigus.

Un nouveau monde

On assiste à une formidable remise en question des relations entre les femmes et les hommes dans le monde du travail et des institutions. Les femmes n’ont rien à tolérer de sexiste et de discriminatoire. C’est un droit strict. Les hommes devront maintenant apprendre à trouver leurs marques dans ce nouvel univers. Les grosses farces et les comportements douteux ne sont plus tolérés.

Il y a 50 ans, les Noirs américains n’avaient pas le droit de prendre le même autobus que les Blancs. Ils se faisaient traiter de nègres et c’était la normalité. Pire, certains bien-pensants trouvaient que c’était de l’humour inoffensif. Aujourd’hui, la moindre allu­sion raciste entraîne démission ou congédiement aux États-Unis.

C’est quelque chose de similaire qui se vit au Québec dans les rapports entre les hommes et les femmes au travail. Et les limites ne sont pas encore claires. On va devoir mieux définir des termes comme flirt, agression, drague, compliment, séduction, flatterie, harcèlement et approche. Ça ne suffit pas de dire que le consentement de la femme fait toute la différence. Il y a des joueurs de hockey qui vont devoir apprendre la subtilité.

Le cas Marcel Aubut et ce qui va ­suivre vont sans doute contribuer à éveiller les consciences et à établir de nouvelles normes.

Ce sera au moins ça de gagné.

 



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