Justin Trudeau, premier ministre?

Au fil de cette très longue campa­gne, les certitudes ont explosé les unes après les autres. On a cru que le NPD était à la veille de former son premier gouvernement à Ottawa. Ce ne sera manifestement pas le cas.

On a cru que les conservateurs ne parviendraient pas à renverser la tendance. L’enjeu du niqab les a relancés. Il en est de même pour le Bloc, passé d’une disparition certaine à une renaissance probable. La politique n’est pas le royaume de la fatalité.

Mais c’est autre chose qui frappe ces jours-ci: on envisage de plus en plus sérieusement la possibilité d’un gouvernement libéral formé par Justin Trudeau. Il y a quelques semaines, on se demandait pourtant si le NPD ne surclasserait pas définitivement le PLC comme représentant du progressisme pancanadien.

Il semble que ce ne sera pas le cas. On devine le désespoir des militants néo-dém­ocrates qui croyaient enfin leur heure arrivée.

Une remontée constante

Jean-Marc Léger l’avait pourtant noté avant les autres: le Parti libéral progressait à son rythme, qui n’était pas fulgurant, mais constant. Certains expliquent cela par la performance qu’on aime dire surprenante de son chef. En un mot, les électeurs l’auraient découvert moins nul que prévu.

On le prenait pour un farceur, il aurait révélé une étonnante profondeur politique. Justin Trudeau aurait témoigné de qualités politiques inattendues.

À tout le moins, cela nous force à revoir notre jugement sur lui. Justin Trudeau est un personnage singulier. Il représente bien un certain Canada moderne, façonné par l’œuvre de son père.

Officiellement, Justin Trudeau est bilingue. Dans les faits, c’est un Canadien anglophone qui parle aussi le français, à la manière de la langue de ses ancêtres, qu’il pratique encore sans la vivre ni la maîtriser vraiment. Il incarne le sort qui attend la langue française au Canada.

Alors pourquoi plaît-il? Il y a un côté superstar chez Justin Trudeau. Peut-être cela plaît-il à l’heure de la politique-spectacle? Il semblait terriblement superficiel. Mais le gendre idéal a décidé de se montrer résolu au combat.

Alors que Thomas Mulcair cherchait à faire la preuve de sa rigueur politique en se rapprochant du centre, tout en s’accrochant à une position pro-niqab, Justin Trudeau l’a doublé sur sa gauche et s’est présenté comme le chantre du Cana­dian dream.

Le poids de l’histoire

C’était bien joué. La course au centre plaît aux technocrates qui aimeraient que tous les partis soient interchangeables et qui voudraient que chacun ne se distingue de l’autre qu’à quelques virgules près.

Mais les électeurs veulent aussi voter sur des valeurs. Ils préfèrent une alternative vibrante à une alternative tiède. Le PLC a laissé de côté son discours traditionnel et voulu exciter les déçus du NPD. Il est devenu le vecteur principal du vote anti-Harper.

On constate enfin le poids de l’histoire. Les partis ne sont pas des réalités strictement médiatiques. Ils ont des militants, ils s’appuient sur des traditions et des réseaux, comme on l’a vu quand La Presse, qui représente l’establishment fédéralis­te de Montréal, a soutenu le PLC.

On n’efface pas des décennies d’existence politique aussi facilement. Peut-être pas lundi prochain, mais plus tôt que tard, le Canada pourrait bien avoir un autre Trudeau à sa tête.