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Le dernier des Mohicans

Ces valeurs dont on parle si peu<br />
Jacques Grand’Maison<br />
Éditions Carte blanche
Photo courtoisie Ces valeurs dont on parle si peu
Jacques Grand’Maison
Éditions Carte blanche

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D’entrée de jeu, Jacques Grand’Maison, le dernier des Mohicans pourrait-on dire, dresse un bilan rapide des soixante dernières années, qu’il décline en quatre grandes périodes : les années 1950 ont été celles de la croissance économique sans limites, avec la fin de la Seconde Guerre mondiale, et tous les espoirs étaient permis.

Dix ans plus tard, l’État-Providence apparaît et commence une nouvelle ère, celle des services tous azimuts. Les années 1970 s’ouvrent sur la libéralisation des mœurs. C’est Jean-Pierre Ferland chantant, dans Swingnez votre compagnie: «Quelle vie d’orgie, quel monde de sexe, y’a plus rien à l’index...» Ou Pierre Bourgault écrivant ses textes cochons dans la revue Nous sous le pseudonyme de Chantal Bissonnette. Puis les années 1980 jusqu’à aujourd’hui, qui exigent ni plus ni moins que tout le monde soit jeune, beau, riche et libre de toute contrainte, alors que, drôle de paradoxe, la population est de plus en plus vieillissante et de moins en moins libre.

Jusque-là, ça va. Mais là où ça se gâte un peu, c’est lorsque Jacques Grand’Maison, l’humaniste chrétien et le prêtre, devient nostalgique du passé, une époque où il fallait passer absolument par le même moule et où les moutons noirs se comptaient sur les dix doigts de la main et étaient faciles à stigmatiser. Selon moi, on oublie trop facilement d’où on vient. Avec la défaite de 1760, que plusieurs appellent la «conquête», terme utilisé par l’ennemi anglais, on a loupé la Révolution française et sa guillotine. On a loupé la séparation de l’Église et de l’État, décrétée le 21 février 1795.

Valeurs de partage et d’entraide

Je suis pourtant de ceux qui croient, comme je le disais dans ma dernière chronique, que les Québécois ont su prendre de la religion catholique, dans laquelle nous avons baigné pendant trois cent cinquante ans, ce qu’il y avait de meilleur, les valeurs de partage et d’entraide. Mais de là à affirmer qu’aujourd’hui, nous avons perdu la boussole, là, je ne marche pas.

Pour Jacques Grand’Maison, l’époque actuelle est de plus démobilisatrice, parce qu’il y aurait perte des valeurs morales. Il n’y voit aucun progrès par rapport au passé, comme si les comportements des jeunes, des étudiants et de la population en général étaient viciés par cette société moderne et ultramatérialiste, selon lui. On croirait entendre un père Fouettard fustiger ses ouailles.

Il parle de «la culture narcissique du Moi, Moi, Moi»; dans les téléromans, «les dialogues sont de plus en plus courts», les humoristes doivent «faire rire toutes les quinze secondes, sinon tu perds ton monde». Il parle de «bordel», qu’il associe à l’anarchie; il dénonce la «scolarité de plus en plus étroite» dans la formation des étudiants, «l’anti-intellectualisme du Québec» et «la langue déstructurée».

En matière de scolarisation, «le Québec traîne derrière le Canada et ses jeunes traînent derrière ses aînés», tandis qu’«on s’enferme dans le présent le plus immédiat», et que «les discours sur les valeurs sont souvent superficiels. Du prêt-à-penser. Des clichés. Du peu réfléchi et mûri.»

Déresponsabilisation

Il parle de «crise actuelle de la déresponsabilisation» qui ne serait pas «étrangère aux libertés folles». Mais il se garde bien de nommer ces dites libertés folles. Il fustige ceux qui en veulent pour leur argent et qui «surfent sur la médiocrité». N’en jetez plus, la coupe est pleine.

La solution serait un retour aux «valeurs morales et spirituelles [...] trop peu intégrées dans les pratiques individuelles et collectives d’aujourd’hui». Étrangement, il parle d’une humanité qui serait «une» pour la première fois de l’histoire, alors que nous n’avons jamais été aussi près du déclenchement d’une nouvelle guerre mondiale. Je serais porté à dire qu’ici la foi rend aveugle.

 

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Je me souviens avoir publié trois pamphlets de Georges Dor sur la piètre qualité du français que nous parlons. Selon Georges Dor, les intellectuels pouvaient se permettre, eux, de parler le bon français et le joual, mais les classes populaires moins scolarisées, elles, n’avaient pas vraiment le choix et s’exprimaient en joual (aujourd’hui on dit « franglais »), de sorte qu’elles ne réussissaient pas toujours à se faire bien comprendre. Melançon essaie de relativiser nos perceptions sur la dégradation de la langue, avec humour, moult exemples et brio. Selon lui, la langue au Québec ne serait pas en voie de créolisation. Pourvu qu’on puisse continuer à dire «joual» plutôt que «horse»... Le débat linguistique est de nouveau lancé.

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Nous avons tous un ami disparu qui nous manque. Comment réussir à se souvenir de lui, de ce qu’il a fait, de ce qu’il a écrit, dessiné, construit? À l’approche de la mort qui arrivera inévitablement, l’écrivain sent le besoin de revisiter son jardin secret et de revoir-relire ses vieux amis disparus, pour leur donner peut-être une seconde existence. Parlant de Pierre Vadeboncœur, il dit : «Tout être humain, écrivain ou non, doit créer le monde dans lequel il va vivre, dans lequel il veut vivre, et créer, cela veut dire aller de l’avant, vers l’inconnu...» Ces exercices d’amitié ne requièrent aucun entraîneur, il suffit d’être curieux, patient, et de vouloir voyager en compagnie des œuvres choisies par l’auteur.

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Un autre ouvrage écrit par un professeur de littérature amoureux des livres. La littérature n’est pas une science, nous dit l’auteur, mais elle nous en apprend beaucoup sur l’époque où elle est produite. Ainsi, nous apprenons que «la vérité ne se dit jamais, elle se fait. La seule chose qui a besoin d’être dite est le mensonge». Philip Roth, Victor-Lévy Beaulieu René Lapierre, Don DeLillo et plusieurs autres sont appelés à la barre des témoins

 

 

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