Rapport Charbonneau: 1741 pages, mais 0 blâme
Le rapport de la commission Charbonneau décrit les infractions mais ne formule presque pas de reproches
Il y a eu de la corruption et de la collusion à grande échelle dans l’industrie de la construction et l’appareil politique au Québec, mais la juge Charbonneau ne blâme officiellement personne, ce qui laisse de nombreux observateurs sur leur appétit.
- Consultez le rapport, ici.
Dans son très volumineux rapport produit au terme de 4 ans de travaux qui ont coûté presque 45 M$ aux contribuables, la Commission (CEIC) écorche principalement l’ex-maire de Montréal Gérald Tremblay, estimant qu’il aurait dû savoir ce qui se passait sous son nez à titre de maire et chef de parti.
Jean Charest a toujours dit n’avoir rien vu, lui non plus. Mais l’ex-premier ministre et ex-chef du PLQ est épargné par le rapport. Tout comme ceux qui dirigeaient le PQ et de l’ADQ, des partis qui ont aussi violé les lois électorales. Au provincial, ce sont les formations politiques, et non les individus, qui sont blâmés.
«On a l’impression qu’ils vont tous sabrer le champagne ce soir», a laissé tomber le député de Québec solidaire Amir Khadir, mardi.
Son opinion trouve écho chez le syndicaliste Ken Pereira, l’un des témoins-vedettes de la Commission.
«Je voulais plus. Je pense qu’ils ne sont pas allés assez loin. Je me suis vidé, j’ai tout dit ce que j’avais à dire, et finalement, il n’y a même pas de tapes sur les doigts», a-t-il affirmé au Journal.
Le rapport et ses annexes, d’un total de plus de 1700 pages, ne contiennent que deux fois le mot «blâme», et il est utilisé en référence à deux autres documents.
Le rôle d’acteurs-clés, comme Nicolo Milioto (l’entrepreneur qui remettait de l’argent à la mafia), ou Marc Bibeau (qui organisait le financement sectoriel du PLQ), est décrit, mais les commissaires se gardent bien de le qualifier ou de le dénoncer.
«Ce rapport va être sûrement décevant pour plusieurs personnes, car il y a eu peu de blâmes. Ce n’est pas un rapport très mordant», a estimé Bernard Motulsky, professeur à l’Université du Québec à Montréal. «On ne pointe pas spécifiquement d’hommes ou de femmes politiques. C’est assez vague», a renchéri Emmanuel Choquette, de l’École de politique appliquée de l’Université de Sherbrooke.
En ce qui concerne l’ex-maire de Laval Gilles Vaillancourt, accusé de gangstérisme, il est presque invisible. Les passages qui le concernent ont été caviardés parce que son dossier est devant les tribunaux.
Pas dans le mandat
L’ex-entrepreneur Lino Zambito, qui a beaucoup collaboré à l’enquête, est déçu que la CEIC n’ait pu établir de lien entre le financement illégal et les firmes de génie-conseil.
«À un moment donné, il faut lire entre les lignes. [Les firmes] ne faisaient pas juste du financement pour le plaisir de le faire», reproche-t-il à la CEIC.
«La juge avait déjà mentionné que son but n’était pas de trouver des personnes coupables, mais d’identifier les stratagèmes et des solutions», tempère de son côté Danielle Pilette, professeure en gestion municipale à l’UQAM.
Ni les commissaires France Charbonneau et Renaud Lachance, ni les procureurs de la CEIC n’ont répondu aux questions mardi.
7 choses à savoir
1. L’enquête menée par la commission Charbonneau a confirmé l’existence d’un problème de corruption et de collusion au Québec «beaucoup plus étendu et enraciné qu’on pouvait le penser».
2. Le blanchiment d’argent provenant de la drogue est la principale motivation du crime organisé, notamment de la mafia, pour infiltrer les entreprises de construction. Des cartels empêchent d’autres entrepreneurs de soumissionner sur des contrats publics. Certains ont été́ victimes de menaces, d’intimidation et de voies de fait.
3. Les liens ont clairement été établis entre le financement politique des partis et l’octroi et la gestion de contrats publics. Ces liens sont différents sur les scènes municipale et provinciale.
4. Les apparences de conflits d’intérêts de certains dirigeants de la FTQ et de la FTQ-Construction ont été révélées par les témoignages. N’empêche que d’ex-hauts dirigeants – comme Jean Lavallée et Michel Arsenault – ne sont pas directement blâmés.
5. Plusieurs des acteurs dont les actions – parfois douteuses – sont décrites dans le rapport Charbonneau n’y sont pas blâmés. C’est notamment le cas de l’ex-président du comité exécutif Frank Zampino, du syndicaliste Bernard «Rambo» Gauthier, de l’argentier d’Union Montréal Bernard Trépanier et de l’ex-entrepreneur Tony Accurso.
6. La faiblesse des actions posé́es par des organismes de contrôle et de surveillance a créé un climat d’impunité.
7. Quelques pépins sont survenus mardi. Le site web de la commission a été non fonctionnel pendant de longues minutes suivant la mise en ligne du rapport tant attendu. C’est sans compter qu’on a oublié de caviarder un extrait sous le coup d’une ordonnance de non-publication. La commission a dû se raviser en après-midi.
COÛT TOTAL
- 44 779 775 $*
- Rémunération: 18 153 643 $
- Honoraires: 13 903 435 $
- Loyer: 3 564 929 $
- Fonctionnement: 9 157 768 $ soit 25 720,72 $ par page du rapport
- 1741 pages de rapport
- 263 jours d’audience
- 300 personnes entendues
- 3600 documents déposés
- 7500 communications du public reçues
- 70 000 pages de transcription
*Coûts de la CEIC du 19 octobre 2011 au 19 novembre 2015