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L’Allier, un homme d’État dans une mairie

L’Allier, un homme d’État dans une mairie


Jean-Paul L’Allier est mort. Avec lui, une certaine idée de Québec s’éteint.

L’homme avait ses détracteurs. Passé la première journée suivant son décès, on ne manquera pas de les entendre. C’est correct.

Cela étant, nul ne pourra contester un fait que Régis Labeaume vient de reconnaître avec beaucoup d’élégance en lui rendant hommage : rien de ce qui se passe de positif présentement à Québec ne serait possible sans la capacité fiscale et le poids politique acquis lors des fusions municipales. Si la Capitale est fière et peut rêver à nouveau, ça part de là. C’est une réalité objective, incontestable.

On n’a pas fini d’en faire l’inventaire, certains peinent encore à avaler ces fusions. N’empêche : il est impensable qu’une agglomération se porte bien quand la ville-centre fournit les services communs et que les municipalités périphériques se réservent les possibilités de développement résidentiel et commercial.

Jean-Paul L’Allier l’avait compris et fut l’un des premiers au Québec à parler de regroupements municipaux. Sans son éloquent militantisme, jamais Lucien Bouchard et Louise Harel ne seraient allés de l’avant. Et jamais Régis Labeaume n’aurait endetté une ville de 185 000 habitants pour plus de 200 millions dans le but de construire un amphithéâtre. Il serait d’ailleurs plutôt maire de Sainte-Foy.

Une vision pour la Ville

Bien avant les chiffres et les rentrées fiscales, toutefois, il y avait chez M. L’Allier une vision de la ville, celle de Québec avec un grand V et celle du quotidien avec un plus petit.

Elle n’était pas aérienne ou ésotérique, cette vision. Dans sa dernière entrevue à Radio-Canada, il l’a résumait ainsi : « La ville est belle : embellis la ville. La ville est sécuritaire : arrange-toi pour qu’elle le soit encore davantage. C’est une ville historique, alors mets-la en valeur. C’étaient mes axes de travail. »

C’est de cette pensée que sont venues des idées, apparemment banales, voire inutiles ou superflues, mais destinées à offrir bien davantage. Du Jardin Saint-Roch a émergé l’un des quartiers les plus branchés en Amérique du Nord. De l’embellissement de la Haute-Ville et de la Colline parlementaire, avec la complicité de Jacques Parizeau, on a mis la table pour refaire de Québec une cité attractive et festive. Du réaménagement des berges de la Rivière Saint-Charles, on peut encore espérer tant de projets de développement immobilier et récréatif.

Jean-Paul L’Allier croyait à l’aménagement urbain. Il savait que tout partait de là, qu’une ville était d’abord et avant tout un écosystème et qu’on créait des occasions et des comportements positifs simplement en l’organisant sur le sens du monde et en la rendant belle.

Fin politique

Venu en politique parce qu’on l’y réclamait, le grand succès de Jean-Paul L’Allier fut de réaliser une alliance surprenante – et par la suite tellement décriée – entre la gauche sociale et populaire de la Basse-Ville et les élites administratives, culturelles et intellectuelles de la Haute-Ville. Dans une cité comme Québec, cela fait presque figure de coup d’État contre les vieux pouvoirs. Ce fut plutôt une chance de redonner le pouvoir aux citoyens en créant les conseils de quartier, une structure aussi jalousée et imitée à l’étranger que mise à mal dans le contexte actuel.

Pourtant, en refondant Québec, 400 ans après Champlain, il a un peu remis son destin entre les mains de « la maudite banlieue », expression malheureuse de son crû. Ses anciens concitoyens le lui rendent d’ailleurs bien mal, ne manquant jamais une occasion de dénigrer son héritage.

Contradiction, chez cet homme qui se disait libéral et souverainiste?

Il faut plutôt y voir une grande générosité. Une volonté d’offrir aux générations futures les aménagements, structurels comme institutionnels, pour se bien gouverner; l’idée que l’unité d’une communauté est toujours préférable sur la longue durée que le souhait de se miner; la reconnaissance qu’on doit parfois oublier sa propre posture idéologique ou partisane et penser à l’intérêt commun. Dans tous les cas, ce sont des gestes rares en politique.

Versé dans la diplomatie, amoureux de langue française et fervent défenseur de notre patrimoine historique, on a envie de voir chez L’Allier un héritier municipal du général de Gaulle, qu’il avait accompagné sur le chemin du Roy.

Ce n’est pas exagéré. Avec Jean-Paul L’Allier, le Québec pouvait assurément compter sur la présence d’un homme d’État dans l’Hôtel de Ville de sa capitale.







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