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Le nombre d’automobilistes très âgés a doublé en cinq ans au Québec

Barbara Auclair, 86 ans, se dit encore très à l’aise lorsqu’elle est au volant. La titulaire d’un permis de conduire depuis 1960 verrait cependant d’un bon œil qu’on impose des examens pratiques de conduite après un certain âge.
Photo Le Journal de Montréal, Christopher Nardi Barbara Auclair, 86 ans, se dit encore très à l’aise lorsqu’elle est au volant. La titulaire d’un permis de conduire depuis 1960 verrait cependant d’un bon œil qu’on impose des examens pratiques de conduite après un certain âge.

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Le nombre de conducteurs très âgés augmente sans cesse sur les routes du Québec, à tel point que les trois plus vieux ont maintenant 101 ans.

En cinq ans, le nombre de personnes de 90 ans et plus détenant un permis de conduire valide a doublé, selon les données obtenues par Le Journal auprès de la Société d’assurance automobile du Québec (SAAQ).

Les experts de la sécurité routière prennent cette situation au sérieux, car ces conducteurs très âgés sont impliqués dans plus d’accidents que la moyenne des automobilistes.

La tendance des conducteurs âgés est loin de s’estomper, croit le directeur général de la Fédération de l’âge d’or du Québec (FADOQ).

«Les Québécois vieillissent et vivent plus longtemps en bonne santé, alors je pense que ce nombre va continuer à augmenter, estime Danis Prud’homme. De plus, les personnes âgées de la nouvelle génération ont grandi entourées de la voiture, alors ça a toujours fait partie de leur vie et ils veulent la garder.»

Plus d’accidents

En plus des trois conducteurs de 101 ans, on en retrouve cinq ayant atteint l’âge vénérable de 100 ans.

L’augmentation du nombre d’aînés au volant (voir tableau) est très remarquée auprès des compagnies d’assurance canadiennes, qui ont vu un bond important dans le nombre d’accidents causés par des personnes de l’âge d’or depuis 10 ans.

En effet, la fréquence des sinistres causés par des personnes de plus de 75 ans a bondi de 10 % chez les hommes et de 17 % chez les femmes entre 2004 et 2014, alors que celle des jeunes de 16 à 20 ans a chuté de 27 % durant la même période.

«Les jeunes sont toujours les plus impliqués dans les collisions, mais ils s’améliorent beaucoup, ce qui n’est pas le cas chez les personnes âgées. Celles-ci conduisent plus longtemps et, sur 10 ans, on a remarqué une augmentation du nombre d’accidents», analyse Anne Morin, porte-parole du Bureau d’assurance du Canada.

Réapprendre à conduire

Les experts consultés croient que les membres de l’âge d’or devraient suivre un cours spécialisé pour réapprendre à conduire avec leurs facultés physiques vieillissantes.

«Avec l’âge, nos réflexes deviennent moins rapides et nos mouvements aussi. Un cours permet donc d’apprendre à observer ce qui se passe autour de nous, d’adapter notre conduite aux conditions routières, surtout l’hiver, et de bien partager la route, particulièrement avec les camions», explique Gabriel Pinard, directeur général de l’Association québécoise des retraité(e)s des secteurs public et parapublic (AQRP), qui offre un cours de conduite spécialisé à ses membres.

Perdre son permis serait un drame

Qu’on leur enlève leur permis de conduire signifierait isolement, solitude et, pour certains, une mort à petit feu, témoignent plusieurs aînés rencontrés par Le Journal.

«Si on m’enlevait mon permis du jour au lendemain à cause de mon âge, ce serait dramatique. On est tellement dépendants de l’automobile, surtout en région, que pour moi ce serait une perte de liberté totale. Je deviendrais dépendant des autres et ça mènerait à mon isolement», déclare Marcel Michaud, un homme de 79 ans qui réside à Rimouski.

C’est une réaction très commune parmi les aînés qui se font subitement enlever leur permis de conduire après avoir échoué à un examen médical ou visuel après 80 ans, souligne le directeur général de l’AQRP, Gabriel Pinard.

«Il y a des gens qui perdent ou qui se font enlever leur permis de conduire et ils en meurent. Un membre de ma famille a perdu 60 livres et est mort peu de temps après avoir perdu son permis pour des raisons de santé», raconte M. Pinard.

Conduite difficile

Deux conductrices âgées ont confié au Journal que tout va très vite autour d’elles sur la route, et que les autres automobilistes manquent souvent de respect à leur égard.

«Ils ne me klaxonnent pas souvent, mais ils vont souvent me couper sur la route. C’est beaucoup plus traître et dangereux! Les jeunes qui conduisent aujourd’hui sont plus rapides et beaucoup moins attentionnés qu’ils l’étaient avant», déplore Raymonde Lapierre, 80 ans.

Selon Barbara Auclair, une dame âgée de 86 ans, les cellulaires et autres appareils mobiles rendent la conduite encore plus dangereuse comparativement à il y a 10 ans.

«Je remarque qu’il y a de plus en plus de gens qui me coupent en regardant leur tablette ou en parlant au cellulaire. Je suis constamment sur la défensive au volant et j’essaye de choisir les moments où je prends la route pour qu’il y ait moins de gens autour de moi», raconte-t-elle.

Examens plus fréquents?

Plusieurs aînés reconnaissent qu’on devrait surveiller de plus près les détenteurs d’un permis de conduire quand les cent ans approchent.

Une conductrice âgée se serait trompée entre le frein et l’accélérateur, en juin 2015, à Châteauguay. Une de ses passagères, une femme de 80 ans, est décédée. Les personnes âgées sont tout de même moins sujettes à avoir des accidents que les jeunes.
Photo d'archives
Une conductrice âgée se serait trompée entre le frein et l’accélérateur, en juin 2015, à Châteauguay. Une de ses passagères, une femme de 80 ans, est décédée. Les personnes âgées sont tout de même moins sujettes à avoir des accidents que les jeunes.

Actuellement, la SAAQ n’impose aucun âge limite pour conduire. Elle exige seulement un rapport d’examen médical et visuel tous les deux ans dès l’âge de 80 ans (voir ci-contre).

Devrait-elle exiger un bilan médical tous les ans à partir de 90 ans, ou bien exiger un examen pratique, par exemple?

Barbara Auclair, 86 ans, croit que ce ne serait pas une mauvaise idée.

«Je connais plusieurs personnes de mon âge avec lesquelles je n’oserais jamais embarquer dans une voiture s’ils sont au volant. Je suis très à l’aise en conduisant, alors ça ne me dérangerait pas de passer un nouvel examen pratique», juge-t-elle.

Système engorgé

Même son de cloche chez l’octogénaire Raymonde Lapierre, qui souligne que l’état d’une personne aînée peut se détériorer gravement en quelques mois seulement.

«Il ne faut certainement pas faire de l’âgisme et exclure tout le monde dès qu’ils atteignent l’âge d’or», nuance-t-elle toutefois.

La gériatre Lucie Boucher est d’avis que le gouvernement pourrait en faire plus pour vérifier les aptitudes de conduite des personnes âgées, mais que le système est trop engorgé pour accueillir la demande additionnelle.

«On devrait trouver une façon de faire des contrôles plus efficaces, sinon on va embourber le système. Pour la majorité, un examen routier à 75 ans ne serait pas pertinent et prendrait beaucoup trop de ressources humaines à la SAAQ», analyse la Dre Boucher.


Des facultés qui diminuent

  • On observe un ralentissement des mouvements qui affecte la vitesse de réaction.
  • On observe un ralentissement intellectuel qui affecte le traitement de plusieurs informations simultanément, comme la signalisation et les changements de voie.
  • Les maladies chroniques, comme l’arthrose et l’arthrite, peuvent rendre difficiles de simples mouvements comme tourner sa tête pour vérifier les angles morts et les miroirs.
  • Des maladies visuelles, telles que des cataractes ou des problèmes de rétine, peuvent diminuer la vision de façon importante, notamment durant la nuit ou les tempêtes.
  • Des troubles de mémoire affectent le comportement sur la route.
  • Ces effets se font souvent ressentir à partir de 75 ans.

Plus exigeant pour les aînés

  • Dès 75 ans, la SAAQ exige un rapport d’examen médical et un rapport d’examen visuel signés par un médecin qui seront valides pendant 5 ans.
  • Dès 80 ans, le détenteur de permis doit refaire ces deux examens tous les deux ans et les soumettre pour évaluation à la SAAQ.
  • Pour les conducteurs de camions, autobus et taxis, il faut faire un examen médical à 45, 55, 60 et 65 ans et tous les deux ans par la suite.
  • La SAAQ se réserve le droit d’exiger un examen médical ou de la vue si les autorités jugent que le comportement routier du chauffeur est dangereux.

 

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