Jutra au tribunal de l’histoire
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Examiner la vie des personnages qui ont marqué l’histoire est une nécessité. C’est à cette tâche que s’est livré le biographe de Claude Jutra.
Cela permet de situer leur œuvre dans le contexte de leur époque et éclairer les multiples facettes de ces personnalités qui, par leur génie ou leur talent, ont marqué notre monde.
La biographie rédigée par Yves Lever qui paraît ces jours-ci révèle au grand public les penchants de l’artiste pour des jeunes hommes. Certains pensent même que des gestes abusifs auraient pu être commis.
Jutra est disparu depuis plusieurs années. Il est une icône de notre histoire, de notre cinéma. Rien de plus normal que l’on examine ce qu’il a été, sa vie, ses côtés lumineux comme ses aspects obscurs.
Mais on ne juge pas un personnage disparu comme on juge un vivant.
Tant qu’ils sont vivants, les humains sont susceptibles de répondre de leurs gestes. Les juges peuvent être appelés à examiner s’ils ont commis des gestes contraires aux lois.
Dans un tel cadre, ils bénéficient de la présomption d’innocence. On doit les considérer comme innocents jusqu’à ce qu’il soit établi, au-delà du doute raisonnable qu’ils sont coupables des gestes reprochés.
Une fois disparues, les personnes passent à l’histoire. La petite histoire pour la plupart, la grande pour les personnages qui ont marqué leur époque.
Alors, un autre type de jugement prévaut: celui de l’histoire.
Par des recoupements, des preuves qui ne sont pas forcément valables devant un tribunal, les personnages historiques sont jugés.
Les personnages historiques sont jugés en fonction des valeurs de l’époque actuelle. Parfois en rappelant celles de l’époque dans laquelle ils ont vécu.
Mais c’est un jugement d’un genre différent de celui qui est appliqué aux vivants.
Il n’y a pas de tribunal pour les personnages historiques. Il y a que des interprétations des situations, des événements.
On n’efface pas l’histoire mais selon les époques on la comprend et l’explique de façon parfois différente.
Selon les valeurs auxquelles on adhère, on évaluera sévèrement ou non les faits et gestes des personnages du passé.
C’est ce qui est en train de se dérouler devant nous: le personnage de Claude Jutra a marqué notre passé. Les errements qui sont désormais portés au grand jour changeront notre vision du personnage.
Certains le honniront, d’autres crieront à l’impertinence. C’est bien là un trait caractéristique de l’analyse du passé. Le passé est jugé en fonction de notre présent.
Mais l’individu n’est plus présent. Il n’est pas, il n’a jamais été dans la posture d’un accusé devant la loi.
C’est plutôt devant l’histoire qu’il comparaît.
Au tribunal de l’histoire, il n’y a plus de présomption d’innocence, les faits sont corroborés uniquement en fonction des traces oubliées par le temps. Chacun tire ses conclusions.
Et plus le temps passe, plus les traces paraîtront insuffisantes à certains.
Il ne reste que des recoupements, parfois bien imparfaits, dont il faut se contenter.
Voilà ce que c’est que de «passer à l’histoire»...