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Grandir avec deux mamans

Témoignage d’un enfant de couple homoparental

François Ricard-Sheard
Photo Le Journal de Montréal, Chantal Poirier

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Depuis l’âge de deux ans et demi, François Ricard-Sheard vit avec deux mamans: sa mère biologique, Nathalie Ricard, et sa mère adoptive, Eminé Piyale-Sheard, qui forment un couple depuis 25 ans. Aujourd’hui âgé de 27 ans, celui qui a grandi au sein d’une famille homoparentale s’en porte très bien et ne garde aucun souvenir amer de son modèle familial non traditionnel, ni aucune carence paternelle.

 

François Ricard-Sheard
Photo courtoisie

 

Le fait d’avoir été élevé par deux mamans a-t-il eu un impact sur votre développement?

Je pense que oui, mais c’est difficile de l’analyser objectivement. Ç’a probablement ouvert des horizons. Je suis une personne très ouverte. Je sens même que je suis une personne assez spéciale, assez unique, mais je ne sais pas à quel point ç’a rapport avec le fait que j’ai deux mères. Je pense qu’elles m’ont vraiment encouragé à explorer certains aspects de moi, elles m’ont ouvert les yeux, mais ça, c’est le résultat des valeurs qu’elles m’ont transmises, bien au-delà du fait qu’elles soient deux mères.

Avez-vous été victime d’intimidation durant votre jeunesse?

Non, mais si j’avais été un garçon ­timide, introverti, qui n’a pas les compétences sociales que j’avais, ça aurait pu être l’enfer. Les enfants ont tendance à être cruels. Ils vont stigmatiser l’enfant différent et l’orientation sexuelle des parents est une arme à utiliser contre eux. Je pense aussi que d’être élevé par deux pères, c’est beaucoup plus difficile, parce qu’il y a plus de stigmates. Les garçons vont être plus taquins si tu as deux pères et vont faire référence à la sexualité entre deux hommes, de façon vulgaire, on ne se le ­cachera pas. Mais beaucoup de ­garçons entretiennent un fantasme lesbien, alors avoir deux mamans, dans leur tête, c’est moins «grave».

D’avoir été constamment entouré de femmes fait-il de vous un ­meilleur homme, aujourd’hui?

Je pense que ç’a eu ses effets sur moi. Ça m’a permis de mieux côtoyer la gent féminine et de mieux comprendre la réalité des femmes. Aujourd’hui, j’ai beaucoup de ­respect pour elles, je considère que je suis féministe et je suis très en contact avec mon côté féminin moi-même.

Un grand préjugé envers les enfants de couples homoparentaux concerne l’orientation sexuelle. Les gens vous posent-ils souvent la question?

Non. Ce n’est pas une question que les gens me posent, surtout rendu à mon âge. Personne ne m’a jamais dit que j’étais gai parce que je vivais avec deux mères. Du moins, pas en pleine face. D’ailleurs, les études démontrent que, inversement à ce qu’on peut croire, il n’y a pas plus d’enfants homosexuels dans les familles homoparentales qu’ailleurs. Ça n’a aucun lien. Mais moi, je me suis posé cette question très jeune. J’avais 7 ou 8 ans et je me suis demandé si j’étais gai ou hétéro. J’avais alors avoué à mes mères, un soir, en soupant, que j’aimais les filles. Elles ont trouvé ça très drôle.

Quels sont les plus grands préjugés ­auxquels vous faites face?

Moi, j’ai été très chanceux. J’avais plein d’amis et je n’ai pas vraiment eu de gens qui m’ont ­attaqué à ce sujet. J’avais des peurs, par contre, donc ça m’est déjà arrivé de mentir sur ma situation familiale quand j’étais dans des environnements nouveaux. J’avais peur de ne pas être normal. Mais je n’ai pas ressenti les préjugés et les stéréotypes de la société.

Vos parents vous avaient-ils outillé pour faire face aux préjugés?

C’est arrivé quelques fois, lors de soupers, que mes parents mettent l’accent sur le fait qu’on avait une famille différente. Elles ne m’ont pas dit comment répondre ou quoi répliquer aux préjugés. Elles m’ont seulement fait savoir qu’on était différents, mais que ce n’était pas grave, parce qu’on s’aimait. C’est avec cette idée-là que je me promenais et c’était ça mon outillage.

Pour quelle raison votre mère non biologique a-t-elle décidé de vous adopter à l’âge de 12 ans?

La raison pour laquelle ç’a pris aussi longtemps avant qu’elle m’adopte, c’est qu’avant ça, c’était illégal, la loi l’en empêchait. Mais pendant ces années-là, elle m’élevait comme si j’étais son fils et on vivait une vie de famille aussi normale que faire se peut.

Qu’est-ce que l’adoption officielle représentait pour vous?

Je sentais qu’elle faisait enfin partie de ma vie officiellement et légalement. Mais pour ce qui touche à notre relation, ça n’a rien changé. Je l’ai toujours considérée comme ma mère, donc c’est vraiment pour la ­bureaucratie que ç’a eu un impact. Après ça, je me sentais plus à l’aise de dire que j’avais deux mamans et de l’écrire dans les ­documents officiels. En fait, c’est le fait de transformer mon nom de famille qui a eu le plus gros impact sur moi.

Avez-vous souffert du manque de figure paternelle durant votre enfance?

J’avais beaucoup de figures masculines autour de moi, dont un parrain, un oncle et mes grands-pères aussi. Je les voyais souvent, alors ç’a comblé mes attentes, mais je n’ai jamais ressenti de manque. Je ne veux rien dénigrer, mais je ne vois pas ce qu’un père aurait pu m’apprendre de plus. On pourrait avoir une vision ­stéréotypée de la chose et se dire que j’aurais peut-être été meilleur en mécanique automobile si j’avais eu un père, mais je ne le sais pas. Outre ça, ma mère pouvait très bien me lancer la balle de baseball. Je suis prêt à concevoir qu’il y a probablement certaines choses que j’aurais apprises, si j’avais eu un père, mais je ne parle aucunement de carence ou de manque.

Vos mamans étaient très engagées dans le respect des droits des ­couples de même sexe. L’êtes-vous autant?

Oui. Je pense que l’ouverture sur autrui est très importante et j’ai été confronté à cette réalité très rapidement. Ma ­situation familiale a encouragé mon ­ouverture d’esprit... par défaut. Mais tant mieux, car c’est un côté positif. Ça m’a permis de comprendre que l’amour n’est pas attribuable à un genre. Ça va même plus loin que ça, car la notion de couleur disparaît, de race et de religion.

Les hommes et les femmes ont souvent des façons de penser et d’agir bien différentes, mais avec deux mamans, était-ce différent?

C’est sûr que mes deux mères ont leurs différences, mais elles m’ont vraiment élevé en écho. Elles étaient toutes les deux sur la même longueur d’onde, donc j’avais l’effet stéréo. Je demandais à l’une et elle me répondait exactement la même chose que l’autre. Elles allaient toujours dans la même direction et elles sont hyper mères poules. Ça peut être lourd, deux mères poules, de temps en temps. Quand j’arrivais en retard, mettons, j’en avais deux qui m’attendaient dans le salon. Et quand je dis qu’elles étaient en stéréo, c’est que j’avais droit à deux discours identiques.

Vous êtes-vous déjà rebellé contre vos parents?

L’adolescence a été rock and roll chez nous, parce que j’ai fait mon rebelle, comme plusieurs adolescents. J’avais honte de mes parents à une certaine époque et je ne voulais pas rentrer dans les restos avec elles. Je suis passé par là. Mes mères ne m’ont jamais lâché, mais elles condamnaient les choses que je faisais qui n’étaient pas correctes. ­Finalement, elles m’ont mis sur le droit chemin et ma vie va super bien. J’ai démarré ma boîte de production cinématographique, Wandering Clown, et c’est en partie grâce à elles. Mais pas au fait qu’elles soient deux mères, juste au fait qu’elles soient de bons parents.

L’égalité juridique des couples homoparentaux est là, mais va-t-on arriver à l’égalité sociale un jour, selon vous?

Je suis très idéaliste dans la vie, donc ce petit côté de ma personne crie «oui!», mais mon côté réaliste prend malheureusement le dessus. Il y aura toujours du racisme et de l’homophobie, mais je pense par contre qu’il va y en avoir de moins en moins.

Quelles seraient les solutions pour que la diversité parentale soit mieux reflétée socialement?

De médiatiser la chose. Tout ce qui est médiatisé devient empreint dans la ­rétine comme un univers normal. Les gens en entendent parler, voient ça dans des téléséries comme Modern Family, où un couple homosexuel élève un enfant, et ça aide à abolir les stigmates. Ça normalise les choses. Au niveau de la recherche aussi, il faut que les études démentent les préjugés. Sinon, pour que les choses continuent de changer, il faut que les gens ouverts d’esprit continuent à être opiniâtres, à partager leur opinion sur les médias sociaux et à attaquer l’homophobie. Il faut s’y opposer. Mais au moins, au Québec, les choses avancent dans la bonne direction.

L’homoparentalité en chiffres

  • En 2002, le Québec devient la première province canadienne à autoriser l’union civile pour les couples ­homosexuels et à leur accorder les mêmes droits parentaux que les couples hétérosexuels
  • La loi sur le mariage gai est entrée en vigueur au Québec en 2004 et au Canada en 2005
  • Entre 2001 et 2011, le nombre de personnes ayant déclaré vivre avec un conjoint de même sexe a augmenté de 78 % au Québec
  • Au Québec, 8 % des couples homosexuels vivent avec au moins un enfant
  • Au Québec, 77 % des familles homoparentales sont dirigées par un couple féminin, 22 % par un ­couple masculin
  • Les familles homoparentales ne représentent que 0,2 % des familles québécoises dirigées par un couple
  • 27 % des couples de même sexe avec enfants sont mariés
  • 26 % des familles homoparentales vivent dans la région de Montréal, 10 % dans la région de Québec et 64 % dans les autres régions de la province
  • Le revenu familial total après impôt moyen des familles homoparentales québécoises est de 66 000$

Source : ministère de la Famille

 

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