Le nombre d'omnipraticiens qui choisissent le privé continue d'augmenter
En un an, 45 médecins de famille, dont plusieurs jeunes, ont quitté le régime public
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La réforme du réseau de la santé, décriée comme contraignante et menaçante par plusieurs médecins, a incité 45 omnipraticiens à partir pour le secteur privé en un an. Une hausse de 70 % depuis 2012.
«Je suis convaincu que les médecins qui partent, c’est pour les conditions de travail», réagit le Dr Louis Godin, président de la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ).
«Ils préfèrent un environnement où ils ont le contrôle et où ils ne vivront pas dans la menace», ajoute-t-il.
Depuis mars 2015, 45 médecins de famille de plus ont quitté le régime public de la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ), pour un total de 272 (voir tableau).
Considérant que chaque omnipraticien suit en moyenne 1000 patients, ce sont 45 000 Québécois qui ont été privés d’un médecin depuis un an, ou qui ont dû payer pour continuer à être suivis.
Bien que le nombre d’omnipraticiens désaffiliés soit faible – il y a plus de 9400 médecins de famille au Québec –, la part du privé est en plein essor.
«Ça nous inquiète énormément depuis un an, avoue la Dre Isabelle Leblanc, présidente du regroupement Médecins québécois pour un régime public. Les chiffres sont encore petits, mais quand on regarde la progression, c’est exponentiel.»
Climat malsain
En entrevue au Journal, le ministre de la Santé, Gaétan Barrette, a répondu que le choix du privé demeure marginal et n’a rien à voir avec la réforme.
Une analyse bien différente de celle de la FMOQ, qui est convaincue que ces départs au privé sont directement liés à la réforme en santé.
«Le climat général de la médecine familiale est pour le moins malsain, dit le Dr Godin. La seule chose que j’entends, c’est qu’on va les pénaliser et les obliger.»
Parmi les récents irritants majeurs, les omnipraticiens ont dénoncé la menace d’un quota de patients et de pénalités financières pour ceux qui ne l’atteindraient pas, ainsi que la fin des postes dans les hôpitaux pour assurer une plus grande prise en charge dans les cliniques.
«La loi 20 a entraîné un climat de peur, dit la Dre Leblanc. Les médecins ont peur et, de la façon dont le Dr Barrette fonctionne, on ne sait pas ce qui va nous tomber dessus.»
Formation de 500 000 $
La formation d’un médecin de famille au Québec coûte près de 500 000 $ aux contribuables. Selon plusieurs, il est impératif que le gouvernement réagisse à l’essor du privé.
«Il faut qu’il y ait une réflexion sérieuse. Les médecins lancent un message, et ce n’est pas le bon», souligne le Dr Godin.
Du côté des spécialistes, seulement sept médecins de plus ont choisi le privé depuis un an.
Les jeunes attirés par le privé
Une quinzaine de jeunes médecins ont choisi le régime privé en 2015 alors qu’ils sont sur le marché du travail depuis moins de cinq ans, selon des données compilées par Le Journal. Une tendance qui, selon plusieurs, prend de l’ampleur.
«Avec tous les changements dans le réseau, même les plus puristes et pro-public sont désabusés, confie le Dr Pierre-Olivier Jacques, jeune médecin de 27 ans qui travaille au privé. La tendance est frappante. Le privé est attrayant.»
« Génération sacrifiée »
Pionnier des cliniques privées à Québec, le Dr Marc Lacroix constate aussi le phénomène. Au cours des prochains mois, il compte embaucher cinq médecins finissants.
«Les jeunes sont choqués, il n’y a pas de dialogue avec le ministre. Ils ont l’impression d’être la génération sacrifiée», dit-il.
Contrairement aux apparences, le Dr Jacques n’a pas choisi le privé pour des questions de revenu.
«Personne ne va au privé pour l’argent, ce n’est pas payant, dit celui qui travaille à la clinique Lacroix, à Québec. Je pourrais faire facilement 50 % plus d’argent au public, parce qu’on est payés à l’acte et qu’on voit beaucoup de patients.»
Sans hésiter, il répond que c’est la qualité de la pratique au privé qui a fait pencher la balance.
«Les patients ont des rendez-vous de 30 minutes, des fois une heure. On a le temps de bien les questionner, de faire une bonne prise en charge», dit celui qui travaille entre 40 et 45 heures par semaine. Autre avantage: il a un horaire de semaine, de jour, sans obligation de faire des gardes.
Rester à Québec
Et c’est sans parler du fait qu’il n’a pas à respecter le plan d’effectifs du ministère, qui répartit les médecins sur le territoire, et peut travailler où il veut.
«Au public, je n’aurais pas pu rester à Québec. J’aurais été chanceux de me retrouver à Trois-Rivières ou Shawinigan. Mais ma blonde travaille à Québec, je n’avais pas envie de m’expatrier.»
«Pas très honorable», dit le ministre
Le ministre de la Santé Gaétan Barrette déplore le comportement «pas très honorable» des médecins qui choisissent d’aller exercer au privé, et se dit convaincu que la réforme dans le réseau n’est pas en cause.
«Ce sont des médecins qui recherchent le confort et l’argent en laissant derrière eux les clientèles plus lourdes. Pour moi, c’est un comportement qui n’est pas très honorable», a réagi le Dr Barrette, en entrevue avec Le Journal hier.
« Intolérable »
Questionné au sujet du nombre croissant de médecins qui optent pour le privé, ce dernier réitère que leur proportion demeure marginale dans le réseau, soit environ 1 %.
«Il y a une augmentation nette de médecins supérieure à 3 % par année. [...] Ce n’est pas une augmentation de quelques médecins qui vont au privé qui va déséquilibrer le système.»
Mais il assure qu’il réagirait si nécessaire. Selon la Loi sur l’assurance maladie du Québec, le ministre de la Santé peut interdire temporairement aux médecins de se désaffilier du régime public lorsqu’il considère que la qualité des services publics en serait trop affectée.
«Il serait pour moi intolérable de voir une migration significative vers le privé», a-t-il dit.
Par ailleurs, il assure que la réforme en santé n’a rien à voir avec la décision des médecins de quitter le public.
«Les médecins partent pour avoir de l’argent facile et confortable. Ce n’est pas à cause de la réforme, dit-il. C’est l’appât du gain et l’appât du confort qui vient avec ce gain-là. Ça n’a rien à voir avec la réforme. Si c’est ça, c’est déshonorant pour la profession médicale.»
Nombre de médecins
Omnipraticiens | Spécialistes | Total | |
2016 | 272 (+45) | 89 | 361 |
2015 | 227 (+28) | 82 | 309 |
2014 | 199 (+13) | 79 | 278 |
2013 | 186 (+26) | 77 | 263 |
2012 | 160 | 71 | 231 |