Le salaire minimum à 15$: comment faire mal aux pauvres (partie 1: les effets sur l'emploi)
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La proposition est lancée: il faut augmenter le salaire minimum à 15$. Plusieurs groupes et même des entrepreneurs politiques ont défendu cette mesure. Est-ce vraiment une bonne idée? Personellement, je dis "non" puisque une telle augmentation risque de faire souffrir gravement ceux qu'on prétend aider. Soyons clairs, je ne propose pas d'abolir le salaire minimum, je dis simplement que la hausse proposée ici est beaucoup trop massive. Je vais donc consacrer les prochaines semaines à démystifier le salaire minimum. La partie d'aujourd'hui concerne les effets sur l'emploi. Au cours des jours à venir, je parlerai des groupes les plus affectés, des effets multiples indirects, des effets non-mesurés, les rares cas d'efficacité du salaire minimum, les effets à long terme sur la croissance de l'emploi, les effets de coordination et l'efficacité du salaire minimum dans la lutte à la pauvreté.
Plusieurs continuent d’affirmer que les hausses du salaire n’auront pas d’effets sur l’emploi. Avec autorité, ceux qui font cette affirmation se basent sur des articles savants qu’ils n’ont pas compris qui démontre des petits effets négatifs sur l’emploi. Ils n’ont pas compris une nuance cruciale de la « nouvelle littérature » sur le salaire minimum. Ce sont les « petites » hausses du salaire minimum qui n’ont pas des effets négatifs larges. Cependant, il semble y avoir un accord que les effets sur l’emploi ne sont pas linéaire. Qu’est-ce-que ça veut dire ?
Imaginez que le salaire minimum est à 10$ et que je l’augmente à 10.10$. Il s’agit d’une augmentation de 1% du salaire minimum (avec un taux d’inflation de zéro). Pour une telle augmentation, l’effet sur l’emploi sera très minime – disons une baisse de 0.1% de l’emploi des travailleurs affectés. Si les effets étaient linéaires, une augmentation du salaire minimum de 10% (à 11$) devrait réduire l’emploi des travailleurs affectés de 1% au total. Cependant, les effets ne sont pas linéaires. Il semble que l’effet négatif sur l’emploi grossit avec le pourcentage d’augmentation du salaire minimum. Ainsi, une augmentation de 10% du salaire minimum pourrait réduire l’emploi pour les gens affectés de 1.5%, une augmentation de 20% pourrait le réduire de 4% et une augmentation de 25% pourrait le réduire de 5%. Ces chiffres sont hypothétiques, mais ils soulignent bien la logique : les effets du salaire minimum ne sont pas linéaires.
Dans une étude récente publiée dans Contemporary Economic Policy, Aspen Gorry et Jeremy Jackson ont tenté de tenir compte de la non-linéarité. Le résultat ? Celui prédit de manière classique par les économistes : des forts effets négatifs sur l’emploi des gens affectés par le salaire minimum.
Et mettons cela en perspective avec le cas québécois, la proposition d’augmenter le salaire minimum revient à une hausse de 39.5%. Même étaler sur quatre ans, la hausse est considérable et les effets seront considérables. Cette hausse ressemble aussi en amplitude à celle documentée par Gorry et Jackson dans leur article. Le résultat ? Des baisses de 5.5%, 3.1%, 1.6% et 1% pour l’emploi des groupes de 15 à 24 ans, 25 à 34 ans, 35 à 44 ans et 45 à 54 ans.
Ainsi, il est faux d’admettre que la hausse massive du salaire minimum proposée au Québec ne fera pas mal aux plus pauvres en les privant d’un emploi. Il en est ainsi puisque les petites hausses ont des petits effets et les effets pervers ne sont pas linéaires, ils grossissent avec la vitesse d’augmentation du salaire minimum.
Sources :
Aspen Gorry et Jeremy Jackson. 2016. “A note on the non-linear effect of minimum wage increases”, Contemporary Economic Policy, Early View Version.
David Neumark et William Wascher. 2010. Minimum Wages. MIT Press.
David Neumark, JM Ian Salas et William Wascher. 2014. “Revisiting the Minimum Wage-Employment Debate: Throwing Out the Baby with the Bathwater?”, Industrial and Labor Relations Review, Vol. 67, no.3, pp.608-648.
Isaac Sorkin. 2015. "Are there long-run effects of the minimum wage?." Review of economic dynamics, Vol.18, no., pp.306-333.