Un autre monde est possible
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Cette fin de semaine, deux bonnes nouvelles, et une autre très inquiétante.
D’abord, la Palme d’Or décernée à Ken Loach à Cannes. Et, la victoire par un nez de l’écologiste Alexander Van der Bellen aux élections présidentielles autrichiennes. La nouvelle inquiétante: le nez en question. Il s’en fallut de très peu pour que le candidat de l’extrême droite, Norbert Hefer, soit élu président: 0,01%.
Ken Loach a gagné ses épaulettes à Cannes avec un film engagé qui porte sur la vie d’un menuisier qui perd son emploi et, maladie aidant, est réduit à demander l’aide de dernier recours. I, Daniel Blake montre comment la machine administrative dont la mission est officiellement d’aider les plus vulnérables d’entre nous ne fait que les enfoncer davantage. Daniel Blake qui ne demande qu’une aide nécessaire à sa survie est broyé par un système tatillon qui applique aveuglément mille et une règles.
Ce système conduit des centaines sinon des milliers de personnes au seuil du découragement, pour certains à la détresse et ultimement pour d’autres au suicide. Une recherche britannique récente (ici) illustre comment ce système animé d’une suspicion constante envers les demandeurs d’aide les rend malades et impuissants devant ce qui leur arrive. Ken Loach s’est inspiré de ces vies brisées (voir une entrevue du réalisateur à ce sujet ici).
François Blais, ministre de la Solidarité sociale, prépare une loi qui ajoutera à l’accablement des personnes qui s’inscrivent à l’aide sociale. Le projet de loi 70 prévoit des sanctions pour les primo-demandeurs, en majorité des jeunes, qui refuseraient de participer à une démarche offerte par le programme d’aide sociale.
Le ministre Blais serait bien avisé de voir le film de Loach et de lire la recherche britannique. Le rôle du ministre de la Solidarité sociale n’est pas d’accabler les plus vulnérables, mais de les soutenir.
La victoire à l’arraché du candidat des verts en Autriche n’aura été possible que grâce à un système d’élections au suffrage universel à deux tours. Sans l’appui des autres partis écartés au premier tour et sans le vote des expatriés, le candidat de l’extrême droite, largement appuyé au premier tour, l’aurait emporté. Cette courte victoire gomme pour un temps seulement ce qui est en train d’advenir en Europe. Alors que Marine Le Pen et sa formation d’extrême droite font des scores jamais vus en France et aux élections européennes, l’Autriche a failli devenir le premier pays de l’Union européenne à confier le pouvoir présidentiel à un candidat de l’extrême droite.
Le sentiment d’injustice et d’impuissance des populations devant les inégalités de revenus, devant ces écarts toujours plus grands et toujours plus intolérables entre ceux qui possèdent presque tout et les victimes des prédateurs et de l’austérité conduit les électeurs à se jeter dans les bras du premier démagogue venu.
En Autriche, ce sont les petits salariés qui ont soutenu à 71% le candidat de l’extrême droite. Aux É.-U., Donald Trump est désormais au nez à nez avec Hillary Clinton dans les sondages. Trump fait des grimaces à l’establishment et insuffle aux électeurs de la classe ouvrière et des petits épargnants cette impression naïve qu’avec lui ils vont gagner. Et cette démagogie fonctionne à plein d’autant plus que Clinton est lourdement associée à l’establishment.
À ce propos, voici ce que disait Loach dans son discours d’acceptation de la Palme d’Or:
«Nous sommes au bord d’un projet d’austérité, qui est conduit par des idées que nous appelons néolibérales, et qui risquent de nous mener à la catastrophe. Ces pratiques ont entraîné dans la misère des millions de personnes, de la Grèce au Portugal, avec une petite minorité qui s’enrichit de manière honteuse. Nous approchons de périodes de désespoir, dont l’extrême droite peut profiter. Certains d’entre nous sont assez âgés pour se rappeler ce que cela a pu donner.»
Loach fait ici évidemment allusion à la montée du nazisme en Allemagne et en Autriche dans les années 1930-1945. Ne pouvons-nous pas éviter de reproduire la même erreur, la même horreur? Ne pouvons-nous pas construire un autre monde que celui-là?