Accrochés à l’école grâce à un jardin
Deux adolescents dysphasiques ont planté 1200 végétaux pour nourrir leur quartier
À 15 ans, ils n’ont pas atteint l’équivalent d’une sixième année du primaire. Tout les destinait à décrocher de l’école. Mais grâce à un jardin, deux adolescents souffrant de sévères troubles du langage ont trouvé leur voie, en plus de nourrir tout un quartier cet été.
«Tout juste avant ce projet, j’allais quitter l’école. J’aurais continué à être baveuse et délinquante. Dans un quartier comme le nôtre, il faut se garder occupé pour éviter les gangs de rue. Je suis contente de ne pas m’être retrouvée là-dedans, finalement», lance Karolane Joseph.
« Avec la dysphasie, nous ne sommes pas autonomes. On a peur de parler, de poser des questions. On a peur des autres. Et on oublie beaucoup de choses. » – Sébastien Charles
L’élève de l’école secondaire Louis-Joseph-Papineau, dans Saint-Michel, à Montréal, a accompli dans les derniers mois un travail dont elle ne se serait jamais crue capable.
Avec un autre élève, Sébastien Charles, elle a planté 1200 plants dans un jardin communautaire aménagé dans la cour de son école. Un jardin qui, cet été, contribue à nourrir une partie de la population de Saint-Michel.
C’est leur enseignante, Karine Lévesque, qui a eu l’idée de ce projet pour «occuper les jeunes» de sa classe de formation préparatoire au travail. Cette classe regroupe des adolescents qui souffrent de sévères troubles du langage et que l’on oriente vers le marché du travail en raison de leurs lacunes scolaires.
Karolane et Sébastien ont travaillé sans relâche sur ce projet, roulant eux-mêmes, sous la pluie, les 300 m2 de tourbe qui ont servi à accueillir fleurs, fines herbes, légumes et fruits ce printemps.
Depuis le 30 juin, les deux adolescents vendent les fruits de leur récolte à un marché solidaire situé près du métro Saint-Michel, dans un quartier considéré comme un désert alimentaire.
Selon la direction de la Santé publique, il s’agit d’une zone exempte de commerces de proximité offrant des fruits et légumes frais.
«C’est bon pour les gens de la communauté. C’est naturel, en plus, et sans produits chimiques. Je suis content de donner un coup de main», se réjouit Sébastien.
Une vie difficile
Karine Lévesque ne s’en cache pas: ce jardin communautaire est une véritable porte de sortie pour ses élèves qui ne savaient quoi faire de leur vie.
«Plein d’options de métiers s’offrent maintenant à eux: manœuvre agricole, préposé dans une jardinerie, etc. L’aide sociale ne devient plus la seule option», lance-t-elle.
En plus de souffrir de dysphasie (un trouble qui affecte l’expression et la compréhension du langage), Karolane et Sébastien proviennent d’un milieu difficile.
«J’ai longtemps pensé que je ferais la même chose que ma grande sœur. “Foxer” l’école pour traîner dans la rue. Dans mon coin, c’est dur de rester éloigné des mauvaises influences», dit Karolane.
Sébastien, lui, reste discret sur l’événement qui l’a forcé à changer d’école l’an dernier, lorsqu’il s’en est pris à des élèves qui l’intimidaient.
«J’étais pas mal plus tannant avant le jardin. Je me mettais dans le trouble à l’école. Je ne vois pas beaucoup mon père. C’est difficile, parfois», avoue-t-il.
Aujourd’hui, ces adolescents se disent transformés, essentiellement en raison d’une chose: la fierté.
«Ça ne m’est pas arrivé souvent d’être fière de moi, admet Karolane. J’aime ça, me sentir comme ça. C’est nouveau.»
La dysphasie en bref
La dysphasie, ou trouble primaire du langage, est une atteinte neurologique qui persiste tout au long de la vie. Ce trouble affecte l’expression et/ou la compréhension du langage. La dysphasie touche de façon variable plus d’une composante du langage, comme la communication ou la syntaxe.
Source: Dysphasie Québec