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300 peaux d’ours polaires invendues

Même s’ils sont menacés par les changements climatiques, on continue à les chasser pour leur peau

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Même si l’animal est menacé par les changements climatiques, des centaines de peaux d’ours polaire sont conservées dans un entrepôt réfrigéré en Ontario, faute d’acheteurs. On en compte présentement près de 300, du jamais vu.

Plusieurs de ces peaux d’ours proviennent du Grand Nord québécois.

La situation est telle que l’encanteur Fur Harvesters Auctions (FHA), basé à North Bay, envisage d’en renvoyer un certain nombre au Nunavut plutôt que d’avoir à les jeter à la poubelle. On pourrait ainsi en récupérer certaines pour faire des vêtements.

«Les temps sont durs, mais je veux que ce soit clair: détruire les peaux n’est pas une option», dit Ed Ferguson, spécialiste de l’ours polaire à FHA.

Au Canada, l’ours polaire est protégé depuis 1973, mais les communautés inuites continuent d’avoir le droit de les chasser.

Le réchauffement climatique menace toutefois l’espèce, ce qui a poussé plusieurs pays à demander l’interdiction de commerce.

Moins d’acheteurs chinois

Le Canada est le seul à permet­tre l’exportation de peaux d’ours polai­re, véritable emblème du Grand Nord. La baisse spectaculaire de la demande chinoise a toutefois provoqué un important surplus de peaux.

De plus, environ 90 peaux invendues sont non exportables puisqu’elles ont été prélevées dans la région de la baie de Baffin. Le gouvernement fédéral a interdit le commerce hors frontière en 2010 en raison d’une population en déclin dans cette région.

Il faut savoir que les Inuits chassent l’ours blanc depuis très longtemps. Dans certaines communautés, tuer son premier ours blanc est un rite de passage de l’enfance à l’âge adulte. C’est également une source de revenus non négligeable. Une seule peau d’ours peut se vendre entre 4000 $ et 6000 $. Le gouvernement du Nunavut offre même des avances aux chasseurs pour chaque peau qui est acheminée à l’encan.

Jusqu’à 12 000 $ la peau

Il y a quelques années, les prix se sont envolés. Une peau a même atteint le prix record de 12 000 $.

Depuis 2010, les Chinois ont littéralement accaparé le marché de l’exportation des peaux d’ours. En 2014, 85 % des peaux exportées l’ont été en Chine. En 2013, une peau pouvait facilement se vendre 1000 $ le pied, alors qu’elle oscille maintenant autour de 500 $.

Le prix peut varier en fonction de la brillance de la peau et de sa grosseur. Des peaux plus petites et dont la couleur tire sur le jaune sont plus difficiles à écouler.

«Il y a encore un marché pour les belles peaux», insiste Ed Ferguson.

Selon lui, l’obtention des permis d’exportation pose aussi un problème.

Délais pour l’exportation

Les longs délais et les enquêtes faites par les autorités de la faune en exaspèrent certains.

Le ralentissement économique chinois est aussi en cause. «C’est du luxe extrême. On s’entend que les gens n’achètent pas une peau par besoin, mais parce qu’ils veulent en avoir une», indique Ernest Cooper, un consultant qui a déposé un rapport sur le sujet en décembre dernier.

Selon lui, la crise actuelle pourrait avoir des impacts importants. «Ce n’est pas bon pour les communautés inuites. L’argent n’est pas facile à faire», dit celui qui ne croit pas que la chasse ait un impact sur les chances de survie de l’espèce.

L’organisation Humane Society Inter­national croit, au contraire, qu’il faut conserver le plus de spécimens vivants pour prévenir l’extinction.

«Cette récolte canadienne insoutenable doit être arrêtée et retirer les incitatifs commerciaux serait un pas dans la bonne direction», soutient une porte-parole, Masha Kalinina.

* La majeure partie des prises se font dans les portions québécoises du détroit de Davis et dans Baie-d’Hudson sud.

Sources: Ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs du Québec et Review and Analysis of Canadian Trade in Polar Bears from 2015-2014, auteur: Ernest W. T. Cooper

Des peaux vendues 25 ans plus tard

Il faut parfois plusieurs années pour vendre une peau. Sur les quelque 400 peaux vendues en 2013, certaines provenaient d’ours tués aussi loin qu’à la saison de chasse 1985-86. Entre un quart et un tiers des peaux vendues chaque année proviennent d’ours tués dans la saison de chasse précédente.

Conservation

Selon Ed Ferguson, les peaux conservées dans les entrepôts réfrigérés peuvent rester en bonne condition durant cinq ou six ans. Dans certains cas, la peau peut jaunir légèrement. Pour être gardées au-delà de ces dates, il faut que les peaux soient tannées.

Pas de quotas au Québec

Contrairement à d’autres provinces, il n’y a pas de quotas pour le nombre d’ours polaires récoltés par les Inuits du Québec. Le Québec est la province qui exporte le plus d’ours après le Nunavut.

Selon la Convention de la baie James, les communautés du Nord ont droit à au moins 62 ours par année. Une grande partie des ours tués chaque année le sont dans la région d’Inukjuak, située sur les rives de la baie d’Hudson.

En 2010 et 2011, un nombre record de 101 ours a été déclaré, dont 74 dans la région du sud de la baie d’Hudson. Ce nombre avait provoqué un tollé. Par la suite, les communautés qui partagent ce territoire ont établi un «quota volontaire» pour mieux préserver cette sous-popu­lation.

En 2014-2015, le nombre d’ours abattus dans cette région était passé à 22. Il faut dire que ces données ne tiennent pas compte des ours qui doivent être tués parce qu’ils s’approchent trop près des villages. Ces énormes bêtes peuvent repré­senter un danger intolérable s’ils s’invitent trop près des habitations.

Les gaz à effet de serre plus dangereux que la chasse

L’ours polaire risque de voir sa population diminuer de 50 % d’ici la moitié du siècle si rien n’est fait pour contrôler les gaz à effet de serre.

La fonte de la calotte polaire a un impact beaucoup plus grand que la chasse ciblée, s’entendent pour dire les experts. C’est d’ailleurs ce qui a poussé beaucoup de pays à ne pas interdire le commerce des peaux d’ours polaires en 2013.

Les États-Unis et d’autres pays, dont la Russie, ont tenté de faire interdire le commerce, en vain. Il s’agit d’un non-sens, selon Masha Kalanina, de la Huma­ne Society qui milite pour une telle interdiction. «Oui, les changements climatiques sont une menace pour l’ours polaire, c’est pourquoi on doit tout faire pour en garder le plus de vivants possible.»

Selon Ernest Cooper, les gens ne savent pas que certaines populations d’ours polaires sont en très bonne santé alors qu’on enregistre des baisses ailleurs. Pour Masha Kalanina, il est toutefois incon­cevable que le gouvernement permette la chasse dans des territoires où les données sont peu précises, comme Lancaster Sound ou Norwegian Bay.

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