Accidentés privés de droits
Dumont

Le Journal détaillait hier l’histoire de Nancy Leblond, cette femme défigurée par un coussin gonflable défectueux et qui en garde des séquelles permanentes. Elle a remis le projecteur sur une aberration typiquement québécoise: le no fault absolu et universel dans la Loi de l’assurance automobile.
Madame Leblond n’a aucun recours devant les tribunaux contre le fabricant GM ou contre le manufacturier du coussin gonflable. Pourquoi? Parce que l’accident est survenu au Québec. Et tout événement qui survient sur les routes du Québec se trouve couvert par le principe du no fault.
Celui-ci date des réformes instituées par Lise Payette après l’élection du PQ en 1976. Le principe est excellent en ce qui a trait aux accidents qui surviennent entre automobilistes. Auparavant, les poursuites au civil prenaient beaucoup de temps, les moyens financiers des personnes impliquées pouvaient jouer sur le résultat du procès et les avocats ramassaient souvent le magot plus que les victimes.
Généralisation abusive
Sauf que les législateurs de l’époque sont allés trop loin. En englobant tout ce qui survient sur les routes, on y a inclus indûment un grand nombre d’entreprises, principalement des multinationales, qui se retrouvent protégées de toute poursuite au Québec.
Un fabricant de pneus négligent causant un accident ne peut pas être poursuivi au Québec. Même chose pour tous les constructeurs automobiles, quelle que soit la défaillance.
Cette immunité s’applique aussi à une compagnie de construction ou une firme de génie dont la négligence provoquerait la chute d’un viaduc sur la tête d’automobilistes impuissants. Les familles des victimes du viaduc du Souvenir l’ont appris avec stupéfaction.
Dans les débats parlementaires qui ont suivi la chute de ce viaduc à Laval, le député beauceron Janvier Grondin avait résumé si clairement l’aberration: «Je croyais que le no fault avait été implanté pour les cas où un automobiliste frappe un viaduc, pas pour un cas où un viaduc vient frapper un automobiliste.»
La misère
Aujourd’hui, Sylvie Leblond vit dans la pauvreté avec une prestation minimale de la SAAQ. Elle prend 30 pilules par jour. Elle rage contre les lois du Québec qui la privent de son droit fondamental de s’adresser aux tribunaux pour établir la responsabilité des fabricants et obtenir une compensation financière.
L’avocat Marc Bellemare conteste cet abus du no fault depuis des années. En prévision de l’élection de 2003, il avait même fait un pacte avec Jean Charest. Le Parti libéral incluait cette réforme dans son programme et Marc Bellemare se présentait pour le PLQ. Cela fut fait, Bellemare a gagné et est devenu ministre de la Justice.
Or l’année suivante, il s’est rendu compte que ni Jean Charest ni son parti n’avaient l’intention de bouger. On avait simplement inséré une ligne dans le programme pour l’attirer comme candidat-vedette. Furieux, il a claqué la porte.
Depuis ce temps, le dossier est au point mort. Des entreprises parfaitement solvables sont protégées de tout recours de leurs victimes, empêchant la réparation intégrale des dommages causés par leur négligence ou leurs erreurs.
Une aberration durable!