Un échec de l’État : le déclin du travail des hommes
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Le démographe américain Nicholas Eberstadt vient de sonner l’alarme sur un phénomène étrange qui se produit dans les sociétés occidentales : le déclin du taux de participation au marché du travail des hommes dans la force de l’âge (25 à 54 ans).
Dans son livre Men Without Work, Eberstadt documente ce déclin qui semble particulièrement prononcé aux États-Unis. Dans ce pays, moins de 89% des hommes détiennent ou cherchent un emploi. En comparaison, ce taux dépasse les 90% dans la plupart des pays européens et au Canada (voir graphique associé à ce billet), on dépasse le taux de 91%.
Ces quelques points de pourcentage peuvent sembler insignifiants, mais ce n’est pas le cas. Ces quelques points représentent une différence majeure en termes de croissance économique. Bien sûr, la productivité par heure travaillée explique une grande partie des écarts de richesse entre pays. Néanmoins, la possibilité de travailler davantage (si elle est présente) permet d’expliquer une partie appréciable des différences entre pays (voir notamment cet article du Nobeliste Edward Prescott datant de 2004). Le déclin du travail des hommes dans la force de l’âge devrait nous intéresser. En plus, un tel déclin de l’emploi pour les jeunes hommes alimente par définition la montée des inégalités.
Naturellement, il est possible que les travailleurs préfèrent davantage une heure de loisir supplémentaire que le revenu d’une heure additionnelle de travail. Cependant, si on fait cet argument, il faut se poser la question à savoir s’il y a des politiques qui changent les préférences des individus. Réduire les bénéfices d’une heure travaillée peut décourager certaines personnes à chercher un emploi. Ainsi, des impôts trop élevés peuvent réduire l’offre de travail. Je suis assez sympathique à cet argument, mais il n’explique pas pourquoi les États-Unis (avec des impôts bas) ont un taux de participation inférieur à ceux des pays européens (avec des impôts élevés).
Et c’est ici que j’ai été le plus heureux de voir le livre d’Eberstadt puisqu’il met le doigt sur le problème : la surcriminalisation des comportements individuels. Depuis maintenant quelques années, j’explique que les pénalités professionnelles (revenus plus bas, croissance plus faible des revenus, emplois moins fréquents) associées à des séjours en prison sont considérables. Ce sont généralement les jeunes hommes qui vont en prison (la vaste majorité de la population carcérale est du sexe masculin) et ils sont relativement jeunes. Lorsqu’ils sortent de prison, ces pénalités représentent réduisent la valeur du travail relativement aux meilleures alternatives disponibles. Il est peu surprenant de voir l’offre de travail de ces jeunes hommes diminuer.
Une grande portion des gens qui ont des dossiers criminels ont commis des crimes insignifiants : actes subversifs non violents, consommation de drogues, prostitution. Et plusieurs des crimes plus sérieux (vols, homicides) résultent liées à la criminalisation des drogues et de la prostitution. Sans cette criminalisation, ces crimes seraient moins nombreux. Et sans cette criminalisation, moins de gens subiraient la pénalité associée à un passé criminel.
Maintenant que je vous ai dit tout cela, permettez de vous répéter que le gouvernement est bien meilleur à créer des problèmes qu’à les résoudre. Dans le cas américain, j’ai souvent expliqué que la guerre contre la drogue (entre autres) contribue à augmenter les inégalités. En effet, puisque le pourcentage de la population américaine ayant séjourné en prison augmente considérablement, le nombre de personnes qui assument la pénalité de l’incarcération augmente. Cela crée des distances économiques plus grandes entre les individus. La question des inégalités n’était nullement en considération lors de l’implantation des politiques publiques en matière d’incarcération et de lutte contre la drogue. Comment est-ce qu’un politicien ou un bureaucrate aurait pu prévoir qu’il y aurait un déclin du travail des hommes en force de l’âge alors qu’il concevait une politique publique liée au système pénal? Aucun être humain n’aurait pu prévoir adéquatement cette conséquence. Et pourtant, il s’agit clairement d’une conséquence inattendue d’une action de l’État – une conséquence tragique!
Je souligne souvent mon scepticisme à l’égard de la capacité des gouvernements de solutionné des problèmes sans empirer la situation. Voyez-vous pourquoi maintenant?