J’ai perdu 120 livres et j’ai réalisé mon rêve
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Je venais d’avoir 35 ans. Après des années à me battre contre mon corps trop lourd, j’avais finalement baissé les bras, jeté ma balance et fait la paix avec mon anatomie. Obèse ou pas, j’allais trouver le moyen de m’aimer suffisamment pour réaliser tous mes rêves. Et j’y arrivais très bien jusqu'à cette visite chez mon médecin, en décembre 2012.
Ma hanche droite me faisait terriblement souffrir. Qu’on le veuille ou non, 300 livres à supporter quotidiennement, c’est dur sur le corps d’un petit bout de femme de 5 pieds 4 pouces. Marcher et me tenir debout sans bouger devenait insupportable. Je voulais aller mieux.
Il m’a écoutée sans rien dire, examinée de tout bord tout côté, puis m’a regardée droit dans les yeux pour s’assurer de bien me faire entrevoir l’avenir peu reluisant qui m’attendait.
«Là, ma belle Cynthia, si tu ne fais pas quelque chose maintenant pour perdre du poids, il va falloir penser à une canne dans pas long et, bientôt, à un remplacement de la hanche.»
J’ai figé sur place. En une fraction de seconde, je me suis vue dans la peau d’une grosse madame, clouée à son triporteur dans une allée du Walmart. En sortant de son bureau, j’ai eu l’impression qu’on venait de m’annoncer qu’il me restait six mois à vivre. J’avais encore des rêves plein la tête et il n’était pas question de les laisser tomber. J’allais voyager et faire de la musique, peu importe le prix à payer. Après 25 ans de régimes infructueux, j’ai compris que la chirurgie bariatrique serait mon dernier recours pour renverser le cours des choses.
Le poids des émotions
Je suis une hyperactive et une éternelle optimiste. J’ai toujours choisi le côté de la lumière malgré les drames qui ont parsemé ma vie. Mes parents ont divorcé quand j’avais 10 ans. Ça m’a dévastée. Quand ils m’ont demandé avec qui je voulais vivre, j’ai joué «safe» pour ne pas achever mon père, déjà anéanti par le départ de ma mère. «Je vais rester avec celui qui gardera la maison, ai-je répondu à l’époque. C’est ainsi que je me suis retrouvée seule avec mon frère et mon père, privée de ma mère, alors que j’étais en pleine puberté.
Quand j’ai eu 18 ans, mon frère de 22 ans s’est jeté en bas du pont Pierre-Laporte à Québec. Il souffrait de schizophrénie paranoïde. Plus tard, j’ai été victime de violence conjugale et je me suis retrouvée à la rue avec deux bébés. Chaque fois, je me suis relevée courageusement pour mieux honorer le moment présent.
Depuis la mort tragique de mon frère, j’ai compris que la vie est un cadeau précieux qu’on peut nous retirer à tout moment. Alors je vis à fond la caisse, en traînant derrière moi un énorme poids émotif que j’ai longtemps essayé d’ignorer. La bouffe a toujours été mon rempart contre la souffrance. Elle était mon refuge, mon alliée, mais avec le temps, elle est devenue mon ennemie. Je mangeais comme d’autres se droguent ou prennent un coup et il fallait que ça cesse, mais j’avais beau m’affamer de toutes les façons possibles, j’avais atteint un point de non-retour. Quand on a plus de 100 livres à perdre depuis plus de cinq ans, on a beau tout essayer, il n’y a plus rien à faire.
Virage à 180 degrés
L’opération qu’on m’a proposée pour régler mon problème m’a obligée à changer complètement mon alimentation et mes habitudes de vie. On ne prend pas une décision de cette importance sans mettre toutes les chances de notre côté pour que ça fonctionne à long terme.
J’ai commencé à marcher tous les jours. J’ai téléchargé sur mon cellulaire une application où je note tout ce que je mange pour mieux équilibrer mon alimentation. Ça m’a permis de réaliser que je mangeais beaucoup trop de gras. J’ai filmé mes démarches et les ai publiées sur YouTube pour inspirer des gens comme moi, mais aussi pour m’obliger à ne jamais m’abandonner. Avant de prendre ma décision, j’ai fouillé le web à la recherche de témoignages et de toutes les informations possibles sur la chirurgie bariatrique. Je savais à quoi m’attendre.
Le jour de l’opération est finalement arrivé. J’avais déjà perdu 40 livres, j’étais prête, mais d’autres défis m’attendaient. Quand on vous rapetisse l’estomac de la sorte, la faim s’envole comme par magie. Mais la lune de miel ne dure pas. L’appétit revient, et, avec lui, l’habitude de manger plus qu’à sa faim. Je ne peux plus boire en mangeant pour éviter d’étirer mon estomac et de liquéfier ma nourriture sans quoi elle passerait tout droit. J’ai dû mettre une croix sur l’alcool et toutes les boissons gazéifiées pour les mêmes raisons. Mon alimentation est devenue une préoccupation de chaque instant.
Un an et demi plus tard, j’avais réussi à atteindre mon objectif de 158 livres, mais encore fallait-il que j’apprenne à vivre avec mon nouveau corps transformé en sac de peau. Mon poids est remonté depuis à 182 livres, mais je ne baisse plus les bras. Ma vie et mes rêves ont besoin d’une femme en santé pour les porter. Mon combat est perpétuel et le sera jusqu’à la fin de mes jours.
Mon grand rêve devenu réalité
Depuis, je me suis lancée à la poursuite de mon plus grand rêve: étudier en musique et devenir musicienne professionnelle. En 2013, j’ai perdu ma job et mon chum en même temps. J’avais besoin de changer d’air. Je suis partie pour Rimouski en mars 2014 avec mon chômage pour seul revenu. Là-bas, j’ai occupé des petits boulots jusqu’à ce que je découvre, un peu par hasard, l’existence du programme jazz pop du cégep de Rimouski. À 44 ans, mon rêve me tendait enfin les bras.
Depuis quelques années, je jouais des percussions africaines. J’avais même passé deux ans en Afrique pour me perfectionner, mais au cégep de Rimouski, aucun professeur n’était spécialisé en doundoun africain. On m’a proposé la batterie même si je n’avais jamais touché cet instrument de ma vie. Je n’ai pas hésité une seconde.
Pour être admise, je devais passer une audition et il me restait 10 jours pour apprendre un swing et une bossa nova. J’ai eu droit à un cours privé et je me suis débrouillée pour le reste. Au bout d’une cinquantaine d’heures de répétitions, j’ai réussi mon audition haut la main. Dans la salle, les gens présents savaient d’où je venais. J’ai eu droit à une ovation. J’avais réussi l’impossible!
En septembre dernier, à l’âge de 46 ans, j’ai débuté un baccalauréat en interprétation jazz à l’université Concordia. Je n’y arriverais jamais, m’avait-on dit. C’était pour les jeunes virtuoses, un programme ultra contingenté. Eh bien! j’y suis arrivée, envers et contre tous. Le talent est une chose, mais lorsqu’on veut vraiment réaliser ses rêves, c’est le travail et la persévérance qui font toute la différence. Je vis sur la corde raide, mon compte en banque est souvent à zéro, mais je sais que je suis à ma place et je n’ai jamais été aussi heureuse de ma vie!
♦ Cynthia Morneau anime une fois par mois des groupes de soutien pour les personnes ayant subi une chirurgie bariatrique au Centre hospitalier Pierre-Boucher à Longueuil. Pour plus d’information, vous pouvez la joindre par écrit à groupesoutien@outlook.com ou par téléphone au 514 586-5953.