Un portrait surprenant de Van Gogh
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Après Le Club des incorrigibles optimistes ou La vie rêvée d’Ernesto G., l’écrivain français Jean-Michel Guenassia raconte les derniers jours du peintre Vincent van Gogh. Une histoire haute en couleur dont on se souviendra longtemps.
On sait tous au moins trois choses sur la vie du grand peintre d’origine néerlandaise Vincent van Gogh: il souffrait d’une mystérieuse maladie mentale que les médecins de l’époque ne savaient pas trop comment traiter, il s’est coupé un petit bout d’oreille dans un accès de folie et, le 29 juillet 1890, il a succombé à un coup de revolver... qu’il se serait lui-même tiré en pleine poitrine.
«Au départ, je ne pensais pas écrire un livre dont Vincent van Gogh serait le sujet», explique Jean-Michel Guenassia qui, depuis qu’il a délaissé la scénarisation pour devenir écrivain, a déjà réussi à nous emballer trois fois avec Le Club des incorrigibles optimistes (Goncourt des lycéens 2009), La vie rêvée d’Ernesto G. et Trompe-la-mort (l’un de nos gros coups de cœur 2015!). «Mais j’ai lu l’article de deux professeurs très célèbres qui, après avoir fait beaucoup de recherches, sont arrivés à la conclusion que van Gogh ne s’était pas suicidé. Peu après, j’ai également découvert que l’un des deux plus grands experts de van Gogh au monde soutenait qu’il y avait énormément de faux van Gogh toujours en circulation – surtout au musée d’Orsay! – et que la plupart d’entre eux provenaient de la collection du docteur Paul Gachet.»
Habitant à Auvers-sur-Oise, non loin de Paris, ce médecin a en effet soigné plusieurs artistes sans le sou en acceptant de se faire payer en toiles. Parmi eux, Pissaro. Et c’est ce dernier qui demandera au Dr Gachet de recueillir un jeune peintre «un peu trouble», van Gogh s’apprêtant à quitter l’asile d’aliénés où il a été interné pendant près d’un an.
«Dans La vie rêvée d’Ernesto G., je suis parti de la présence de Guevara à Prague pour proposer une fiction racontant un moment de la vie du Che dont on ne savait presque rien, précise Jean-Michel Guenassia. Avec La valse des arbres et du ciel, j’ai fait la même chose pour van Gogh lorsqu’il s’est installé à Auvers-sur-Oise.»
Un patient en pleine forme
Dans ce coin de France où les champs de blé et les toits de chaume sont légion, van Gogh peindra pas moins de 75 toiles entre le 20 mai et le 29 juillet 1890, jour de sa mort. «Van Gogh écrivant énormément, je me suis mis à lire la correspondance de ses deux derniers mois et à ma grande surprise, j’ai pu constater qu’il était tout sauf déprimé, souligne Jean-Michel Guenassia. Il avait arrêté de boire, il était en bonne santé et surtout, il était sûr que tôt ou tard, il allait finir par percer: certains critiques du Mercure de France s’étaient montrés dithyrambiques à son égard et les peintres qu’il admirait (notamment Cézanne et Monet) s’extasiaient devant ses tableaux. Dans le roman, j’ai donc adopté le point de vue d’un type qui s’appelait Vincent ayant rencontré une fille, Marguerite.»
Une Marguerite qui ne tardera pas à effeuiller la fleur dont elle porte le nom afin de savoir si l’homme qui vient régulièrement consulter son père pour des raisons médicales l’aime un peu, beaucoup, à la folie, pas du tout.
«De son vivant, Marguerite Gachet n’a jamais accordé d’interview, ajoute Jean-Michel Guenassia. Mais trois témoins de l’époque ont affirmé qu’elle fréquentait régulièrement van Gogh et l’un d’eux a même laissé entendre que leur relation n’était pas strictement platonique. La seule chose qu’on sait avec certitude, c’est que Van Gogh l’a peinte deux fois durant son séjour à Auvers-sur-Oise. Et moi, j’ai imaginé l’histoire qu’il y avait peut-être eu entre eux.»
Alors promise au fils aîné d’un riche pharmacien des environs, Marguerite rêve d’un avenir meilleur. Car contrairement à la grande majorité des femmes de son temps, elle ne voit pas le mariage comme une fin en soi. À l’instar de Vincent, elle veut consacrer l’essentiel de sa vie à la peinture, même si le beau sexe n’a pas le droit d’entrer aux beaux-arts...
Situer dans le cadre
«En 1890, les femmes étaient encore des citoyennes de seconde zone et j’ai voulu le rappeler dans les sous-textes [essentiellement des extraits de journaux ou de lettres entre van Gogh et son frère glissés ça et là dans le roman] parce que je me suis rendu compte que l’on connaissait mal cette époque et que l’on comprendrait mal van Gogh si, par exemple, on ne savait pas que les impressionnistes étaient alors insultés par les critiques, que la haine des Allemands était très forte ou que bien des personnalités de ce temps affichaient sans aucune gêne un antisémitisme frénétique.»
Jean-Michel Guenassia réussissant ainsi à dépeindre parfaitement le contexte de cette fin de siècle, on découvrira peu à peu ce qui a vraiment animé van Gogh durant les deux derniers mois de sa vie et, surtout, ce qui a permis à Marguerite de surmonter la mort du seul homme qu’elle ait jamais aimé.