Frédéric Lenoir: il faut que nos enfants apprennent à débattre
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L’élection de Donald Trump à la tête des États-Unis a été motivée par la peur et la colère, croit le philosophe français Frédéric Lenoir, de passage au Québec ces jours-ci pour faire la promotion de son plus récent ouvrage, Philosopher et méditer avec les enfants.
«Les gens ont voté avec leurs émotions et non avec leur raison», fait-il valoir. Le programme du nouveau président américain n’est pas réaliste selon lui. «On ne peut pas prendre au sérieux un homme politique qui affirme que le réchauffement climatique est une invention des Chinois pour détruire l’économie américaine», souligne-t-il. Cela démontre bien, à son avis, la nécessité de stimuler la capacité de réflexion de nos enfants le plus tôt possible pour éviter qu’ils ne cèdent à leurs émotions plus tard lorsqu’ils devront se prononcer sur des enjeux importants.
Depuis un moment déjà, il s’est fait l’apôtre de l’enseignement des bases de la philosophie dès le primaire. Les résultats surprenants des présidentielles américaines ne pouvaient mieux tomber pour apporter de l’eau à son moulin. «Comme le dit si bien Montaigne, on devrait proposer aux enfants, dès leur plus jeune âge, d’avoir une tête bien faite et non pas une tête bien pleine», se plait-il à répéter.
Développer l’esprit critique
M. Lenoir n’est pas contre l’accumulation de savoir, bien au contraire, mais il croit que dans un monde de plus en plus «complexe et opaque», nos jeunes gagneraient à développer un esprit critique face à toutes ces connaissances qu’on leur inculque. «Les enfants pourraient apprendre à débattre, à écouter les autres, à faire preuve de plus de discernement, à dépasser les apparences et les rumeurs pour se forger leur propre opinion», fait-il valoir. Et pour lui, il est beaucoup plus facile de commencer avec des enfants du primaire, parce qu’ils sont plus intuitifs, plus spontanés.
Il en fait d’ailleurs la démonstration dans son dernier ouvrage, en racontant l’aventure qu’il a menée avec des centaines d’enfants d’écoles primaires à travers le monde. De janvier à juin 2016, il a animé une cinquantaine d’ateliers dans dix écoles et dix-huit classes différentes. De Paris à Montréal, en passant par Molenbeek, Abidjan, Pézenas, Genève, la Corse et la Guadeloupe, il a rencontré des enfants de quatre à onze ans issus de toutes les classes sociales.
Ensemble, ils ont discuté de grandes questions existentielles. Ils ont parlé d’amour, de respect, de bonheur, du sens de la vie, d’émotions, etc. Chaque fois, il a été agréablement surpris de la profondeur des réflexions des enfants. «Certains sont plus avancés dans leurs réflexions», a-t-il observé.
À titre d’exemple, à la question, «qu’est-ce qu’une vie réussie ?», les plus jeunes répondent généralement, «être heureux». «Or, un enfant de neuf ans a fait remarquer un jour que des terroristes se disaient heureux malgré les gestes horribles posés», raconte M. Lenoir. Après discussions, toute la classe s’est entendue pour dire qu’être heureux sans avoir fait de mal aux autres correspondait davantage à la définition d’une vie réussie.
Répandre la pratique
Si l’expérience s’est avérée enrichissante à tout point de vue, M. Lenoir rêve maintenant de répandre la pratique de ces ateliers dans toutes les écoles du monde francophone.
Afin de rassembler toutes ces forces vives, M. Lenoir a mis sur pied la Fondation SEVE (savoir être et vivre ensemble) qui servira à financer la formation de formateurs. Ces derniers feront la tournée des écoles primaires pour outiller les enseignants qui souhaitent offrir à leur tour des ateliers de philo à leurs élèves. Une journée d’information à ce sujet aura lieu ce dimanche au Centre Saint-Pierre à Montréal. Les personnes intéressées peuvent s’inscrire sur le site de la fondation ici: fondationseve.org.
Un enfant calme réfléchit mieux
«L’émotion nous égare, c’est son principal mérite», a écrit Oscar Wilde, mais c’est aussi sa grande faiblesse lorsque la colère, l’humiliation ou l’agitation s’emparent de nous et nous empêchent d’entendre la sagesse de notre raison.
Lorsqu’il a commencé à animer ses ateliers de philo pour enfants, le philosophe français, Frédéric Lenoir, a vite constaté les avantages de faire précéder ses ateliers de courtes séances de méditation. «Des études démontrent que la capacité d’attention des enfants d’aujourd’hui n’excède guère plus de huit secondes», souligne-t-il. Les enfants qu’il a rencontrés un peu partout sur la planète lui ont confirmé que ces études disaient vrai.
«La méditation permet aux jeunes de calmer l’agitation de leurs pensées, d’être davantage présents et concentrés pour mieux réfléchir par la suite, a-t-il remarqué au fil du temps. Elle nous permet de nous mettre à l’écoute de ce qui se passe en nous et ainsi d’apprendre à mieux nous connaître», ajoute celui qui pratique la méditation de pleine conscience depuis plus de 30 ans.
Voilà qui explique peut-être pourquoi de plus en plus d’enseignants décident d’intégrer la méditation à leur enseignement. Un ami de M. Lenoir, Jacques de Coulon, a instauré cette pratique il y a déjà 20 ans avec les adolescents d’un collège qu’il a longtemps dirigé à Fribourg. Selon M. Lenoir cette pratique quotidienne a transformé la vie des élèves et des enseignants.
Séances de méditation
Sur la Rive-Sud de Montréal, Line Lampron, enseignante de yoga et copropriétaire du studio Le Yoga du coin à Longueuil, a mené une expérience tout aussi concluante à l’école primaire de ses enfants en décembre 2014. Pendant quatre semaines, les élèves de l’école primaire Armand Racicot ont eu droit à deux séances de yoga par semaine de 20 à 45 minutes selon leur âge. Chaque séance était précédée d’une courte méditation.
«J’invitais les élèves à respirer en mettant leurs mains sur leurs côtes puis à prendre conscience de ce qui se passait dans leur corps», explique Mme Lampron. Pour les plus jeunes, elle évoquait l’image d’un vaisseau spatial équipé d’une lampe qui descendait en eux pour explorer les moindres replis de leur corps.
«Une élève m’a dit un jour qu’elle avait trouvé une tristesse accrochée à sa jambe droite. Elle m’a expliqué qu’elle l’avait envoyé promener et qu’elle se sentait beaucoup mieux», raconte Mme Lampron.
Elle leur a aussi appris à respirer trois fois avant de réagir en cas de conflit. Une consigne que plusieurs ont mise en application avec succès.
Pendant toute la durée des ateliers, les enseignants ont constaté des résultats encourageants en classe. Des élèves plus calmes, plus concentrés et de meilleurs résultats scolaires dans certains cas.
Cinq minutes par jour
À la fin de l’expérience, des parents ont demandé un prolongement de l’activité. Plusieurs étaient prêts à payer pour que leurs enfants continuent à s’entraîner au yoga et à la méditation un midi par semaine. «Je m’attendais à une dizaine d’inscriptions. J’en ai eu 52», se souvient Mme Lampron.
L’activité a pris fin après dix semaines, mais plusieurs enseignants lui ont rapporté avoir continué à faire méditer leurs élèves en classe, surtout avant les examens. D’autres jeunes lui ont raconté avoir commencé à méditer à la maison pour se calmer ou pour améliorer leurs performances dans leurs activités sportives.
Les enfants ont besoin d’à peine cinq minutes par jour pour profiter pleinement des bienfaits de la méditation, soutient Mme Lampron, mais encore faut-il que les commissions scolaires acceptent de prendre le temps de former les enseignants à cette pratique.
«L’humanité commence à se rendre compte qu’on a besoin de s’arrêter, de ralentir le rythme, croit-elle. Les grands athlètes méditent, les chirurgiens aussi, alors pourquoi pas nos enfants ? Peu importe la façon de le faire, l’important c’est de prendre le temps de s’arrêter pour prendre conscience de ce cœur qui bat en chacun de nous.»