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Notre bouillant ministre de la Santé, Gaétan Barrette, grand humoriste — pour ceux qui l’ignorent — a eu l’appétissante idée d’inviter collègues et journalistes à déguster un repas du genre servi dans les CHSLD du Québec.
Cette opération de relations publiques s’inspire à la fois de la dernière Cène et du Dîner de cons, mais il serait malséant de désigner les convives qui jouaient Judas et le con.
L’initiative du docteur se veut pédagogique. Le ministre a trouvé là une façon d’expliquer au peuple, représenté par ses élus et les médias, ses chiens de garde, que nos gouvernements assurent le bien-être des citoyens.
Des cobayes
L’on se demande si l’imagination féconde du ministre ne va pas l’amener à soumettre ses invités à d’autres expériences. Devant le tollé de protestations autour des vieux qu’on oblige à vivre dans une couche souillée à 80 %, le ministre proposera-t-il cette fois aux cobayes de porter une couche en notant par étapes le degré d’inconfort? La limite du tolérable est-elle franchie à 60 %, voire à 70 %? Si oui, il est légitime de croire que la norme de 80 %, fixée par les gestionnaires, est carrément scandaleuse.
Dans une entrevue qui serait surréaliste dans certains pays et qu’il a accordée à Radio X au Saguenay, le ministre a cité un sondage sur les bonnes pratiques en CHSLD. Il nous a appris que 84 % des malades préfèrent dormir dans une couche souillée plutôt que d’être réveillés pendant la nuit pour qu’on les change. À l’écoute de ses citoyens, le ministre se demande au nom de quel principe l’on doit juger ces personnes. Pour nous convaincre, le bon docteur Barrette nous proposera peut-être de porter une couche afin de lui donner raison.
Assistons-nous à une révolution dans l’art de faire de la politique et qui consisterait à expérimenter nous-mêmes les conséquences des politiques gouvernementales?
L’angoisse des vieux
La clientèle des CHSLD est composée de personnes affaiblies par l’âge et la maladie. Des personnes dont la capacité d’indignation est altérée par l’angoisse d’être abandonnées. Des gens qui sont incapables de se battre, de refuser de se conformer aux contraintes et qui ont plutôt tendance par besoin d’attention à ne pas déplaire à ceux qui s’occupent d’eux. C’est l’âge où, à l’instar des enfants, les vieux n’aiment pas souvent se laver et préfèrent rester souillés plutôt que de subir les manipulations qui les dérangent, les épuisent et brisent la routine de ce qui leur reste de vie à vivre.
Ce n’est pas en invitant la population à vivre dans les mêmes conditions qu’on peut justifier les traitements indignes que subissent les vieux, même en y consentant.
La dégradation des services publics ne se justifie pas, elle se constate. Nous n’avons plus les moyens de maintenir la qualité de nos services dans les domaines de la santé, de l’éducation et des services sociaux. Tenter, comme le fait le ministre Barrette, de relativiser les dommages est une insulte à l’intelligence.
Il y a quelque chose d’odieux à faire croire que les «usagers» des CHSLD sont satisfaits alors que nous avons affaire à des personnes fragilisées, diminuées physiquement et souvent mentalement. C’est aux bien portants et aux privilégiés d’imposer des valeurs pour empêcher que s’installe au cœur même de nos institutions une forme de barbarie qu’on appelle les normes honteuses.