Il n’a pas dépensé assez vite
Un ancien bénéficiaire de la solidarité sociale dénonce une décision «absurde» du ministère de l’Emploi
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Un homme qui a été frappé par un autobus s’est fait couper plus de 3000 $ de solidarité sociale parce qu’il n’a pas dépensé assez vite l’argent reçu de la SAAQ alors qu’il était hospitalisé. Il dénonce la situation «absurde» dans laquelle il se retrouve.
«C’est comme si je m’étais fait frapper deux fois: une fois par l’autobus, et une fois par la décision [du ministère de l’Emploi]», illustre Michel Gagnon, 65 ans. «Je suis victime de ne pas avoir dépensé d’argent. C’est absurde», dit le résident de Dollard-des-Ormeaux.
M. Gagnon souffre d’un cocktail de troubles de santé mentale. Au moment de son accident, il bénéficiait de la solidarité sociale, un programme semblable à l’aide sociale, mais pour les personnes inaptes au travail. Il vit aujourd’hui de sa pension de vieillesse, ayant atteint l’âge de la retraite.
Perte de qualité de vie
En septembre 2014, il a été heurté par un autobus alors qu’il roulait à vélo. Il a donc passé un mois à l’hôpital et deux mois en réadaptation, comme en témoigne son dossier médical, qu’a pu consulter Le Journal.
Pendant ce temps, il a reçu une indemnité de 1326 $ de la Société d’assurance automobile du Québec (SAAQ) pour perte de qualité de vie en raison de son accident.
Informé par la SAAQ, le ministère de l’Emploi lui a demandé d’envoyer ses relevés de banque. Or, il ne répondait plus aux critères de la solidarité sociale parce qu’il avait trop d’argent dans son compte en banque à la fin du mois suivant.
Le ministère lui a donc coupé deux chèques de 833 $ de solidarité sociale, explique M. Gagnon. À cela vient s'ajouter une somme de 1608 $ que le Ministère lui réclame encore. Il n’a pas été possible de connaître le détail du calcul, le Ministère ayant refusé de commenter ce cas précis puisqu’il sera entendu devant le Tribunal administratif du Québec.
« Je me serais senti coupable »
Rien de tout cela ne serait arrivé s’il avait simplement dépensé l’argent, explique son avocat, qui le défend grâce à l'aide juridique. «Il aurait pu s’acheter une télé», ironise Me Jimmy Lambert. Il n’est d’ailleurs pas le seul avocat à dénoncer cette logique (voir autre texte).
M. Gagnon explique qu’il ne pouvait pas dépenser pendant la période où on lui reproche d’avoir eu trop d’argent, puisqu’il était hospitalisé sans possibilité de faire des achats. «De toute façon, je me serais senti coupable de tout dépenser d’un coup, comme si j’avais quelque chose à cacher.»
Le ministère de l’Emploi confirme qu’une indemnité de la SAAQ peut être considérée comme un «avoir excédentaire» si le montant dans le compte dépasse le maximum admis à la fin du mois suivant.
Une logique « aberrante » selon des avocats
Plusieurs avocats qui ont vu des cas semblables à celui de Michel Gagnon trouvent «aberrante» la logique qui empêche les bénéficiaires d’aide sociale d’économiser les sommes reçues en cas d’accident.
«C’est d’autant plus aberrant qu’il n’y a pas de fraude ou de mauvaise foi de la part de [ces gens]», s’indigne Me Jimmy Lambert.
Le cas le plus mémorable dont se souvient Me Lambert est celui d’un homme qui avait reçu 2000 $ de la SAAQ. Le Ministère lui avait demandé d’expliquer comment il avait dépensé cet argent, raconte-t-il. «Il n’a pas pu répondre parce qu’il était atteint de démence. Il a perdu son aide sociale», relate Me Lambert.
Pas de compensation
«Je trouve que c’est une aberration de réclamer des sommes versées pour compenser des séquelles», abonde Me Marc Bellemare, reconnu pour avoir défendu plusieurs victimes d’accident.
L'indemnité pour séquelles de la SAAQ dédommage une personne pour les inconvénients dus à un accident de la route. Elle est basée sur la gravité des blessures, peu importe les revenus de la personne.
Or, une personne qui perdrait un œil et qui obtiendrait une indemnité de 60 000 $ ne serait alors plus admissible à l’aide sociale, illustre Me Bellemare. «Ça n’a pas de bon sens. C’est comme s’il n’y avait aucune compensation pour la perte d’un membre. Mais tu n’as pas gagné à la loto. Tu as perdu un membre!»
«C’est une approche extrêmement technocratique [...] Ça en confine plusieurs à l’extrême pauvreté», abonde pour sa part Me Jean-Pierre Ménard, qui se spécialise dans la défense des droits des patients.