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Séparés dans deux CHSLD après 60 ans de mariage

La famille des aînés est même prête à payer plus cher pour qu’ils soient réunis

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Photo courtoisie Sylvie Cloutier (au centre) dénonce le fait que ses parents Lucien Cloutier (à gauche) et Marcia Fillion (à droite) vivent dans des résidences séparées. M. Cloutier avait l’habitude de jouer tous les jours de l’harmonica à sa femme souffrant d’Alzheimer.

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Lucien Cloutier jouait de l’harmonica tous les jours pour rappeler à sa femme souffrant d’Alzheimer ses chansons préférées. Mais le couple de Lanaudière, marié depuis 60 ans, est forcé de vivre dans des résidences différentes depuis plus d’un an et peine à se voir.

«Maman ne reconnaît plus que papa, leurs derniers moments sont comptés et je trouve ça inhumain de les en priver», dénonce leur fille Sylvie Cloutier, qui demande que ses parents puissent vivre dans le même CHSLD de Rawdon.

Quand sa mère de 88 ans, Marcia Fillion, a dû être placée au Centre d’hébergement Heather en 2014, son père allait la voir tous les jours. Mais quand il a commencé à son tour à montrer des signes de la maladie d’Alzheimer l’an passé, le Centre intégré de santé et de services sociaux de Lanaudière a refusé qu’il soit hébergé au même endroit, même si la famille était prête à payer plus cher.

Malgré la maladie, M. Cloutier est encore autonome, contrairement à son épouse qui est confinée à un fauteuil roulant.

Il n’avait donc pas d’autre choix que d’aller dans un centre dit intermédiaire, à moins de trois minutes de son épouse. Mais sans une voiture, il ne la voyait qu’une fois par semaine, quand ses enfants venaient le chercher.

Puis, Sylvie Cloutier a trouvé une entreprise de transport adapté pour permettre à son père d’aller voir sa mère une deuxième fois par semaine. C’était mieux que rien, dit-elle, jusqu’à ce que son père tombe sur la glace et se brise une hanche.

« Tout pour moi »

C’était il y a plus d’un mois et, depuis, les amoureux n’ont pas pu se voir.

«Elle est tout pour moi, je ne comprends pas pourquoi c’est impossible qu’on soit à la même place», lance l’aîné de 90 ans, qui s’ennuie de son épouse.

Pour sa part, Sylvie Cloutier a eu le cœur brisé quand sa mère malade lui a candidement demandé si son mari ne venait plus la voir parce qu’il avait rencontré une autre femme.

«C’est une forme de maltraitance, il faut que ça change», décrit la femme de 57 ans, qui a écrit à son député et au ministre Gaétan Barrette pour aider ses parents à enfin se retrouver.

Quand c’est possible

De son côté, la directrice des programmes de soutien à l’autonomie des aînés au CISSS de Lanaudière, Hélène Boisvert, assure que des solutions sont habituellement trouvées pour rapprocher les couples quand c’est possible.

Elle invite la famille à formuler une nouvelle demande, ce que Mme Cloutier a pourtant fait plusieurs fois auprès du travailleur social qui a évalué son père.

Quant au président du Centre d’hébergement Heather, Paul Arbec, il dit avoir les mains liées, puisque, même si son centre est privé, les patients doivent tous être recommandés par le CISSS.

Selon lui, les couples sont seulement réunis en CHSLD s’ils ont tous les deux les mêmes besoins, sinon, il n’y a pas d’obligation de les garder ensemble.

Au ministère de la Santé, la porte-parole Noémie Vanheuverzwijn écrit que «les établissements doivent faire tout ce qui est possible pour maintenir les couples ensemble».

 

De plus en plus de cas à prévoir

<b>Dr Fadi Massoud</b><br />
Gériatre
Photo Chantal Poirier
Dr Fadi Massoud
Gériatre

Le vieillissement de la population mènera inévitablement à plus de couples qui chercheront à rester ensemble dans les CHSLD de la province, croient des experts.

«Un projet de loi [pour empêcher les couples d’être séparés] serait intéressant, mais ça va prendre des députés prêts à aller contre la machine administrative», lance l’intervenante Jessica Violette de la Société Alzheimer de Lanaudière.

Même si les couples comme Lucien Cloutier et Marcia Fillion, mariés depuis 60 ans, sont rares, il ne faudra pas se surprendre que des aînés qui partagent leur vie depuis 10 ou 15 ans ne voudront pas plus être séparés, dit-elle. Selon l’intervenante, le système de santé gagnerait à s’humaniser davantage.

Bien-être

Pour le gériatre Fadi Massoud, il ne fait aucun doute que des patients atteints de l’Alzheimer ont une meilleure qualité de vie s’ils peuvent rester près de leurs proches.

«C’est déchirant autant pour les patients que les proches [...], mais c’est quasiment tout le temps une bataille quand on demande de réunir des couples», déplore le médecin de Longueuil.

Selon lui, la province gagnerait à créer des centres qui n’offrent pas seulement le même niveau de soins, mais adapté pour des malades autonomes ou pas du tout.

Bémol

Sa collègue de Québec, Manon Chevalier, croit aussi que, «dans un monde idéal», ce genre de centres, qui existe au privé ou dans les petits villages, aiderait à réduire les problèmes des couples séparés.

Toutefois, cette gériatre ajoute que même s’il est normal de vouloir retrouver un être cher, déplacer un malade autonome en CHSLD peut s’avérer plus déprimant pour l’aîné.

«Il m’est aussi arrivé de séparer des couples, car si l’un d’eux est moins malade et ne peut pas s’empêcher d’agir comme aidant, il finit par s’épuiser», soutient la médecin.

 
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