Les cases
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«Cette jeunesse est pourrie depuis le fond du cœur. Les jeunes sont malfaisants et paresseux. Ils ne seront jamais comme la jeunesse d’autrefois. Ceux d’aujourd’hui ne seront pas capables de maintenir notre culture.»
Inscription babylonienne (plus de 3000 av.J-C)
«T’es courageux!» «Je sais pas comment tu fais!» «T’es bon, tsé, les jeunes d’aujourd’hui!»
Je ne compte plus les commentaires de la sorte quand je rencontre quelqu’un et que je lui révèle que j’enseigne le français à des adolescents.
Comme s’il s’agissait de monstres.
Comme si j’étais un soldat désarmé devant une horde de barbares sans morale ni respect.
Ce qui me console, c’est que je sais aussi que de tels préjugés viennent toujours avec une méconnaissance du milieu. Connaître, c’est rassurant. Ignorer, ça provoque la peur. Bien sûr, il y a des étudiants paresseux, des étudiantes rebelles. Bien sûr, il y en a qui ont de la difficulté à écrire ou à respecter les règles de classe.
Toutefois, il s’agit de la minorité et non l’inverse.
Or, cette minorité nourrit la bête. Elle alimente notre cynisme, justifie notre point de vue sur une jeunesse que l’on trouve bien pire que «la nôtre».
Nous avons la mémoire bien courte.
Nous étions (et je m’inclus!) pareils. Certains pires, d’autres mieux.
Et c’est ce qui m’amène à vous parler de ce qui me choque le plus: les cases.
C’est rassurant, ça simplifie, mais c’est surtout la preuve d’une extrême paresse intellectuelle. Une sorte de raccourci malhonnête que plusieurs adoptent pour se conforter dans leurs préjugés.
Comme si la vie et ceux qui la composent pouvaient être réduits à de simples cases.
C’est sûr que dans un monde inondé de publicités, il est facile de développer un tel réflexe: celui d’apposer une étiquette sur les gens qui nous entourent, les réduisant du même coup à une couleur, une seule saveur. Comme une marque de barre chocolatée.
C’est loin d’être aussi simple.
Et le jour où vous vous levez et que vous vous dites que «les jeunes» sont comme ci ou comme ça, vous êtes tombés dans le piège. Celui de croire que la jeunesse est bien pire que vous l’étiez au même âge.
Cette suffisance, ce nez en l’air, ce mépris des plus jeunes me troublent profondément.
À l’école, les étudiants auxquels j’enseigne depuis près de vingt ans ne sont pas différents de ceux que je côtoyais quand j’étais moi-même un adolescent. Oui, bien sûr, il y a des différences, mais elles se trouvent en surface.
La base, elle, elle est la même.
Un enfant de 16 ans, c’est un enfant de 16 ans. Il quitte l’adolescence pour entrer dans l’âge adulte.
Comme vous et moi l’avions fait il y a quelques années.
Les cases, c’est à l’opposé de ce qu’est la vie. C’est même une insulte à notre intelligence. Il y a des adultes empathiques, d’autres égoïstes. Il y a des personnes âgées sympathiques, d’autres sans manières. Et il y a des jeunes travaillants et d’autres paresseux.
Un trait de personnalité n’appartient pas à un groupe d’âge en particulier.
Être un adulte, c’est accepter que ceux après nous seront meilleurs.
L’adulte est orgueilleux. Il n’aime pas reconnaître qu’il se fera dépasser. Pourtant, c’est là l’essentiel de sa mission : léguer pour laisser sa place à mieux que lui.
Alors quand nous sommes cyniques envers nos jeunes, nous confirmons une sorte d’échec.
Notre perception de la jeunesse, de son potentiel, de son avenir, se doit d’être plus nuancée.
Pour leur bien comme pour le nôtre.
La vie n’est pas un formulaire à remplir.