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La prostitution et la série Fugueuse: sans clients, pas de proxénète

Une scène de la série Fugueuse récemment diffusée à TVA. On y voit les personnages de Damien  (Jean-François Ruel) et Fanny 
(Ludivine Reding).
Une scène de la série Fugueuse récemment diffusée à TVA. On y voit les personnages de Damien (Jean-François Ruel) et Fanny (Ludivine Reding). Photo courtoisie Marlene Gelineau-Payett


La série Fugueuse a bien des mérites. Notamment celui d’avoir suscité une discussion collective sur l’exploitation sexuelle. La série a ouvert une discussion sur la prostitution dans les familles, les écoles et les maisons des jeunes.

Il faut dire que la série de Michelle Allen regorge de qualités. Le réalisme du parcours de Fanny est troublant, même pour nous qui travaillons aux côtés des femmes qui sont ou qui ont été dans l’industrie du sexe. Des femmes qui ont réussi à sortir de l’industrie nous parlent de leurs flash-back et des traumatismes ravivés par la série.

Les limites du consentement

L’auteure a eu l’intelligence de montrer que l’entrée dans la prostitution n’est pas seulement l’apanage des jeunes femmes en difficulté. Un grand nombre de femmes ayant un vécu en lien avec la prostitution ont été victimes d’abus avant leur entrée dans l’industrie du sexe, mais une partie d’entre elles sont aussi des « Fanny », adolescentes typiques au parcours ordinaire. En ce sens, la série a exposé les limites du consentement.

Une scène de la série Fugueuse récemment diffusée à TVA. On y voit les personnages de Damien  (Jean-François Ruel) et Fanny 
(Ludivine Reding).
Martine B. Côté Photo courtoisie

Oui, Fanny est entrée dans ce monde de son plein gré, en a tiré une certaine satisfaction, mais rapidement, nous avons été à même de constater que la sortie lui était difficile, voire impossible. Quand certaines personnes clament que nous ne devons pas intervenir en matière de prostitution puisqu’il s’agit de relations entre personnes consentantes, elles oublient que le consentement se construit et s’achète ; que bien des femmes prostituées ont peut-être à un certain moment fait le choix d’entrer dans ce milieu, mais que c’est par absence d’autres choix qu’elles ne peuvent en sortir.

La série a également contribué à démystifier la figure du proxénète en montrant que ce ne sont pas seulement des individus associés à de gros réseaux du crime organisé. Certes, une grande partie de l’industrie du sexe gonfle les coffres de diverses bandes criminelles, mais le proxénète, c’est aussi le gars qui vend sa « blonde », qui entretient l’illusion d’une relation amoureuse, question de récolter les profits. Fugueuse montre bien comment l’industrie s’adapte, trouve toujours de nouvelles méthodes pour recruter des femmes et pour les maintenir dans la prostitution (vidéos envoyées aux proches et menaces de toutes sortes).

La demande des hommes

Maintenant, nous devons poursuivre la discussion et aborder le cœur du problème de l’exploitation sexuelle : la demande des hommes pour acheter le corps des femmes. Jamais, dans notre société, le fait que des hommes exigent toute une sélection de femmes à acheter et de lieux pour les consommer n’est remis en question. Sans acheteurs, pas de Damien. Et pas de Fanny. C’est parce que des hommes demandent toujours de nouvelles femmes, plus jeunes, pas trop « maganées » que plus de 300 salons de massage ont pignon sur rue dans le Grand Montréal, que les annonces d’escortes pullulent et que des femmes sont victimes de traite vers Toronto ou l’Ouest canadien. C’est parce que des hommes veulent acheter que des Damien s’affairent à trouver de nouvelles victimes.

La série Fugueuse aura réuni beaucoup de familles autour de la question de la prévention. Un flot d’articles sur la supposée façon de prévenir l’exploitation sexuelle des filles est paru. Mais a-t-on seulement parlé aux garçons de leur responsabilité à ne pas devenir des clients ? Nous assistons, dans la foulée du mouvement #MoiAussi, à une conscientisation du changement de « focus » nécessaire en matière d’agression sexuelle : ce n’est pas aux femmes à apprendre à ne pas être agressées, mais aux hommes à apprendre à ne pas devenir agresseurs. Vivement le jour où nous appliquerons cette logique en matière de prostitution...

En regardant Fugueuse, les hommes ont-ils pris conscience des conséquences de leur consommation de l’industrie du sexe ? Réaliseront-ils que la danseuse payée pour l’anniversaire de leur ami était ou a probablement été une Fanny ? Ce sont les hommes qui, à 90 %, achètent des actes sexuels. Et dans 80 % des cas, ils achètent des femmes : ils ont donc un rôle majeur à jouer dans l’éradication de l’exploitation sexuelle. À quand un slogan comme #MoiNonPlus pour les hommes qui refusent de contribuer à cette industrie dévastatrice pour les femmes ?

Martine B. Côté agit au sein de la Concertation des luttes contre l’exploitation sexuelle (CLES)

 







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