Renseignements personnels: quitter Facebook
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J’ai pris cette semaine la décision de quitter Facebook.
Je me retire du réseau pour crier haut et fort que Mark Zuckerberg ne mérite plus notre confiance, mais aussi qu’il est urgent que nos gouvernements interviennent pour protéger nos renseignements personnels.
Le problème, c’est que la classe politique n’a peut-être pas tant intérêt à intervenir parce qu’elle est de plus en plus dépendante des renseignements que Facebook met à sa disposition. La situation est dangereuse.
Pas une surprise
On ne peut évidemment pas plaider la surprise en prenant connaissance des révélations du lanceur d’alerte Christopher Wylie. Facebook a été conçu pour extraire des renseignements personnels de tout ce qu’on fait et pour les commercialiser ensuite auprès de ceux qui veulent influencer nos comportements : nous vendre quelque chose ou nous faire voter pour quelqu’un. On le savait déjà, c’est ça Facebook !
Quand on clique sur « j’aime », quand on écrit, quand on publie une photo, quand on ajoute un ami, quand on s’abonne à une page... on se prête à un striptease, un clic à la fois. Les algorithmes interprètent nos moindres gestes dans le but de découvrir ce qu’on croit possible de leur cacher.
C’est comme ça que Facebook arrive à savoir ce qu’on aime, ce qui nous fait peur, ce qui nous met en colère, nos loisirs, nos préférences politiques, nos croyances religieuses, notre âge, notre sexe, notre lieu de résidence, notre niveau de scolarité, nos revenus aussi. Une expérience a même montré que Facebook pouvait prévoir avec un fort taux de succès qu’une femme était enceinte... avant qu’elle-même le sache !
Le génie de Mark Zuckerberg, le fondateur de Facebook, ç’a été de nous offrir un outil de communication tellement extraordinaire qu’on allait être prêt à accepter de lui révéler tout ça juste pour avoir le droit de l’utiliser. J’ai retrouvé un article que j’avais publié sur mon blogue en juillet 2007, dans lequel je m’inquiétais déjà de tout ça... et pourtant, j’ai continué à utiliser Facebook pendant 10 ans. Il est fort, le Zuck ! Trop fort...
J’ai cru que Facebook ferait un usage responsable de ces informations. J’ai eu tort. J’ai pensé que des lois allaient encadrer l’utilisation de ces énormes banques de données. Je me suis trompé. Tous les gouvernements qui se sont succédé depuis 10 ans n’ont pas jugé prioritaire de le faire.
Résister à la tentation ?
Le résultat de tout ça, c’est qu’aujourd’hui Facebook dispose d’un portrait incroyablement détaillé de plus de 75 % des électeurs – et pratiquement aucune contrainte pour les commercialiser. Facebook vous dira qu’il ne vend pas les données, c’est vrai : il commercialise plutôt des services qui exploitent ces données. Le résultat est le même.
Vous pensez que les organisateurs des partis politiques peuvent résister à la tentation d’utiliser une telle base de données ? Évidemment pas ! Ils le font tous, avec des outils plus ou moins sophistiqués. Ils vous diront qu’ils n’achètent pas de renseignements personnels, c’est vrai : ils paient pour des services qui leur donnent accès à ces données.
Ce n’est pas un hasard si les partis politiques multiplient les pages web de mobilisation autour de toutes sortes de thèmes. C’est parce que les courriels ainsi recueillis permettent ensuite d’identifier des centaines de profils Facebook semblables à celui des signataires (look alike) à qui il devient possible adresser des messages hyperciblés (ou des fake news). Des messages qui peuvent notamment servir à polariser des débats à des fins partisanes.
Certains chefs politiques ont juré cette semaine que leur parti ne ferait jamais ça. Ça m’a fait sourire. Je ne crois pas qu’ils ont menti. C’est bien pire : je pense qu’ils ne comprennent pas comment Facebook est utilisé par leurs propres organisations et le détournement de la démocratie qui en résulte. Justin Trudeau a été encore plus cynique : il a dit que le Parti libéral ne se priverait pas de cibler les citoyens de cette façon, mais qu’il allait le faire « de façon responsable ».
Je quitte Facebook parce que je ne peux plus être complice d’un système dans lequel les partis politiques tirent avantage de leur négligence à protéger nos renseignements personnels.
II faut briser ce cercle vicieux en forçant les gouvernements à agir sans tarder. Ce doit être un enjeu des prochaines élections.
– Clément Laberge est consultant dans le domaine de la culture et des technologies