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«J’ai commencé à vivre à 55 ans»

Claude Bertrand
Photo Chantal Poirier Claude Bertrand

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Presque toute sa vie, la peur a pourri l’existence de Claude Bertrand. L’anxiété sociale qui le rongeait était si forte que le simple fait de parler en public le rendait insomniaque. Après trois dépressions, il a rassemblé tout son courage pour affronter ses craintes. Il a finalement commencé à vivre à l’âge de 55 ans.

En nous ouvrant la porte de son domicile de Brossard, Claude Bertrand, 66 ans, nous réserve un regard direct et une franche poignée de main. Difficile de croire que ce cadre municipal à la retraite a longtemps souffert d’anxiété sociale sévère, de trouble panique et d’agoraphobie. « Les gens conçoivent difficilement que la peur représente un problème puisqu’elle est invisible, mais à l’intérieur, on vit un véritable cauchemar. »

L’anxiété sociale, c’est la crainte d’être jugé négativement par autrui, d’être embarrassé ou humilié*. Dans le cas de Claude Bertrand, ce sentiment s’est aggravé au point de devenir incontrôlable et irrationnel. « La peur du jugement des autres me paralysait. Quand j’entrais dans une pièce où se trouvaient des gens, je sentais tout de suite leur regard sur moi au point de rougir, de trembler et de bégayer. »

La peur étend son emprise

Deuxième d’une famille de huit enfants, il a grandi dans Cartierville à Montréal aux côtés d’une mère débordée et d’un père absent. « J’ai très tôt développé le réflexe de ne déranger personne. » À l’adolescence, le garçon s’est réfugié dans la pratique du hockey. Dans le vestiaire, il demeurait effacé et timide. « Je ne développais aucune amitié, aucune habileté sociale. Encore aujourd’hui, je ne compte aucun ami proche. »

Claude a fait ses études aux HEC pour devenir comptable agréé. À cette époque, il a rencontré Sylvie, la femme qui allait devenir son épouse et la mère de ses trois fils. Poussé par ses coéquipiers, il a surmonté sa timidité coutumière pour l’inviter à danser pendant une fête étudiante.

Après l’université, Claude a effectué un stage tout en se préparant « comme un fou » en vue de l’examen d’entrée de son ordre professionnel. Mais son anxiété a pris le dessus. « Quand j’ai eu la copie sous le nez, j’ai craqué. J’étais tellement stressé que je n’arrivais plus à lire les questions. » Claude a échoué à son examen.

Ce revers ne l’a pas empêché d’occuper les fonctions de trésorier ou de chef comptable dans différentes municipalités. Par contre, s’acquitter de ses tâches au quotidien sans rien laisser paraître était pour lui un combat éprouvant. « Je devais pédaler deux fois plus qu’un autre. Résoudre un conflit, voire répondre au téléphone, me faisait souffrir, même si je ne dérangeais personne. »

La peur du ridicule l’empêchait même de s’ouvrir à ses proches ou de participer à des activités sociales. « Je développais des mécanismes de survie. Je prétextais toujours une surcharge de travail pour voir le moins de gens possible. »

La panique prend le contrôle

À 30 ans, son anxiété a pris une telle ampleur qu’elle a provoqué chez lui une première crise de panique. Claude se trouvait alors dans un cinéma avec son épouse. « J’étais pris de sueurs froides, de tremblements et d’étourdissements. Je me suis précipité à l’extérieur de la salle. » Traumatisé, l’homme n’est plus retourné au cinéma.

Sylvie n’avait jamais vu son mari dans un tel état. « Je ne pouvais plus lui cacher la situation. En même temps, j’étais incapable de mettre les mots dessus. Ma femme a été d’une patience exemplaire pour m’accompagner là-dedans. »

Deux ans plus tard, une nouvelle crise le frappait, cette fois-ci sur le pont Champlain au milieu d’un bouchon de circulation. Claude a donc modifié ses habitudes pour éviter les heures de pointe. Après cet épisode, la fréquence des crises a augmenté. À la fin de la quarantaine, la panique le gagnait chaque jour. Il ne fréquentait plus les cinémas, les théâtres, les restaurants ou les magasins bondés. « Quand j’étais à l’épicerie, je laissais mon panier là et je partais s’il y avait trop de monde. » Bientôt, sa maison devint le seul endroit où il se sentait à l’abri du regard des autres.

À 49 ans, il a été nommé au poste de directeur des finances pour la ville de Saint-Jean-sur-Richelieu. Ses nouvelles fonctions l’ont angoissé encore plus. « Quand j’étais seul dans mon bureau à étudier des dossiers, tout allait bien. Mais l’obligation de devoir intervenir auprès du personnel ou faire une présentation me rendait malade. Je devenais insomniaque. Après la période budgétaire, j’étais complètement brûlé. Il me fallait plusieurs jours pour m’en remettre. »

Frapper un mur

La dépression l’a happé de plein fouet un an plus tard. « Je disais à mes collègues que j’étais en vacances, mais j’étais chez moi sur les antidépresseurs. » Quand il a annoncé à son employeur qu’il voulait jeter l’éponge, celui-ci lui a offert de réduire son horaire de moitié et de lui enlever plusieurs responsabilités. Claude a accepté ce compromis pour éviter de se retrouver sans revenu.

Hélas, l’homme n’était pas au bout de ses peines. De 50 à 55 ans, il a connu deux rechutes brutales, même s’il a consulté différents psychologues. Son état physique se dégradait à vue d’œil. « L’anxiété m’avait usé à la corde et mon corps n’était plus capable de se battre. À la fin, je paniquais tout seul dans mon lit sans raison apparente. » L’homme comprit alors que sa vie était à la croisée des chemins : trouver une solution ou disparaître.

Faire tomber les barrières

Le 27 août 2007, Claude Bertrand s’est présenté pour la première fois à une rencontre de groupe organisée par Phobies-Zéro, un organisme d’entraide. Une énergie plus forte que lui le transportait. « J’ai été incapable de prononcer un seul mot, mais la rencontre m’a fait du bien. Je voyais que je n’étais pas le seul à souffrir ainsi. »

Depuis ce jour, Claude a fréquenté avec assiduité ces rencontres hebdomadaires. Au bout de quelques semaines, il est enfin parvenu à prononcer son nom, puis à terminer ses phrases. Les barrières qu’il avait érigées dans son esprit tombaient peu à peu. Incidemment, les crises se sont espacées. Après deux ans de rencontres hebdomadaires, la peur n’avait plus d’emprise sur lui. Même si Claude éprouve encore de l’anxiété, il est capable de la gérer. « Je me concentre sur ma respiration et je verbalise mes émotions. En accueillant la panique, elle part d’elle-même. »

Claude considère qu’il est un homme nouveau. Il participe avec plaisir aux partys de famille, il va déjeuner avec d’anciens collègues et il est même retourné dans des salles de spectacles. Signe que ses problèmes sont derrière lui, il anime également des discussions au sein de Phobies-Zéro, dans l’espoir d’aider ceux qui souffrent d’anxiété sociale.

« Avec le recul, je comprends que j’ai commencé à vivre à 55 ans. Travailler sur mon anxiété m’a permis d’apprécier les relations humaines et de me sentir utile, ce qui est une grande richesse. Auparavant, je subissais les événements. Maintenant, j’ai repris contrôle de ma vie. »


*Source : Association canadienne des troubles anxieux

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