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La différence dérange

ART-GRANDE FINALE DE LA VOIX 6
Photo Agence QMI, Joël Lemay

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J’aimerais vous parler de la relève musicale québécoise. Vous devez vous dire : quel est le lien avec l’éducation? Ces derniers mois, leur parenté m’a paru évidente. Je m’explique.  J’adore l’auteur-compositeur-interprète Hubert Lenoir. Bien avant son look androgyne et ses chansons hyper accrocheuses et fort bien construites, c’est sa totale liberté qui me plait. Beaucoup.  Une irrévérence naturelle, pas feinte, pas tape-à-l’oeil, pas seulement provocatrice, comme plusieurs aiment le penser.  Une audace incarnée. Tout comme Klô Pelgag, Philippe Brach, Lydia Képinski et j’en passe! (Allez découvrir ces artistes si vous ne les connaissez pas) . Tous ces jeunes artistes font partie de la génération Y. Et mes étudiants de la génération Z.

Comme pour Safia Nolin et son fameux t-shirt, Hubert Lenoir a dérangé (ce qui est une excellente chose) le grand public lors de son passage à l’émission La Voix.  En toute naïveté, jamais je n’aurais pensé qu’en 2018 certaines personnes pouvaient être si fermées, si puritaines. Pour vrai, ça m’a rappelé Elvis Presley qui se déhanche au Ed Sullivan Show en 1956.

Et j’ai pensé : nous évoluons, oui, mais à pas de tortues. Lentement. En nous faisant violence.

Notre confort vaut plus cher que notre désir d’accueillir l’autre dans sa différence.

Si nous sommes si déstabilisés par une proposition artistique comme celle de Lenoir, il faut se questionner sur notre hypocrisie collective à prétendre que nous sommes une société ouverte, moderne, curieuse.
Il m’est forcé de constater que ce n’est pas tout à fait le cas.  Et c’est là que je fais le lien avec mes étudiants.  Ils sont de la même génération (ou presque) que ces artistes-là.  Et ils me remettent en question sur mes valeurs, ma vision de la vie, des autres, de la différence (qui a toujours existé, mais qui n’était pas montrée ni valorisée) et ces constantes remises en question sont saines et salutaires. 
Tranche de vie scolaire. Vers la fin de l’année, je demande toujours à mes étudiants ce qu’ils veulent faire dans l’avenir, qu’il s’agisse d’études post-secondaires, d’un diplôme d’études professionnelles ou d’occuper un emploi sur le marché du travail. 
Quand ils s’expriment, je ne porte aucun jugement, je valorise le fait qu’il y ait plusieurs chemins, des détours, des changements d’idées, de l’exploration.

Ce que je remarque, c’est qu’il y a quelques années, les étudiants qui ne savaient pas où ils voulaient poursuivre leur cheminement étaient gênés de le dire, convaincus que s’ils étaient dans le doute, quelque chose clochait.  Ils se jugeaient. 

Ces dernières années, ce doute était quasi-absent. Je sentais qu’ils assumaient profondément qui ils étaient, sans ce besoin de toujours se comparer aux autres. 

Et j’ai trouvé cela formidable. 
Est-ce à voir avec la reconnaissance des diverses identités de genre? D’une ouverture sur le monde (même si la société aime les dépeindre comme des êtres centrés sur eux-mêmes et sur leur écran) totalement décomplexée? Un peu tout ça, j’imagine. 

Vous savez, j’enseigne à des adolescents qui ont toujours le même âge.
Mais moi, je vieillis. Chaque année.
C’est un réel défi de demeurer près d’eux, année après année.  Le prototype de l’étudiant de 16 ans, qu’il soit de 1998 ou de 2018, ne change pas beaucoup. Dans ses fondements, j’entends.  Il se cherche, il veut être unique mais tellement comme les autres. Un paradoxe ambulant, comme je l’étais au même âge. En vieillissant, notre perception est déformée, car nous regardons derrière nous avec notre regard d’adulte.  Ce qui est une erreur, mais que nous faisons tous, moi inclus.  D’où une vigilance de ne pas tomber dans le panneau de la nostalgie d’un passé où tout était supposément mieux. Aussi, il faut faire très attention de ne pas emprunter la voie facile du mépris.  Oui, la jeune génération manifeste toujours une tendance naturelle à rejeter les acquis de la génération précédente. Et nous, nous sommes portés tout aussi naturellement à une forme de condescendance envers eux. 

Pour briser ces comportements peu constructifs, il faut cesser de polariser notre relation intergénérationnelle.  Où le plus vieux ne comprend plus rien, où le plus jeune ne possède aucune culture. Personne n’en sort gagnant ni grandi.

Au fond, ce que je sens autour de moi, c’est que le changement fait peur.  Toujours. 

Il faut donc apprivoiser cette peur, en être conscient et tendre la main.  Nos jeunes, ils ont leur propre culture, leur propre code, dont on se sent parfois exclu. Ce qui est, à mon sens, une bonne chose.  Il faut arrêter de penser qu’ils ont tout à apprendre de nous parce que nous avons l’expérience et les connaissances. Oui, ils doivent s’ouvrir à ce que nous avons à leur offrir, mais pas trop.

Ils doivent se forger leur définition d’eux-mêmes. Et c’est à nous, adultes, de manifester une certaine humilité envers cette forme de refus. 

Oui, la différence dérange, mais je rêve du jour où elle sera la norme, où le moule du «tout le monde pareil» sera brisé, où la peur disparaitra de nos relations.

Un rêve impossible, direz-vous? À observer Hubert et mes étudiants, je sens que ce rêve devient peu à peu une réalité.