La mémoire des maisons
Ravary

Nous les habitons, mais en retour, elles habitent nos vies. Souvent banales, parfois d’un goût douteux, elles couvent les grands et les petits moments de nos existences, nos peines, nos amours, nos espoirs. C’est là que grandissent nos enfants.
Certaines sont des châteaux de pierre décorés de tableaux de la Renaissance. D’autres, des shacks en bardeaux d’asphalte meublés chez Renaissance.
Mais aucune expression ne décrit aussi bien nos maisons que « Home Sweet Home ». Désolée pour l’anglais, il n’y a pas d’équivalent en français.
Témoins populaires
Les maisons jouent aussi ce rôle pour un peuple et les lieux de sa mémoire. Elles témoignent de la pauvreté ou de la richesse d’un coin de pays. Du passage du temps, des goûts d’antan.
Quelle tristesse de voir la pauvreté architecturale du Québec d’aujourd’hui où l’on construit n’importe quoi, n’importe comment. Combien de vieux édifices ont été démolis et remplacés par une horreur moderne, dessinée par l’entrepreneur sans l’aide d’un architecte, avec l’accord d’élus locaux sans dessein.
C’est un legs de la pauvreté historique des Québécois, m’a dit une amie nationaliste. Peut-être.
Mon père, qui a grandi dans une vieille maison de ferme à Saint-Télesphore, ne pouvait comprendre pourquoi je rêvais d’une maison rose centenaire à Saint-Lin. C’était le symbole du manque, alors qu’un bungalow recouvert d’aluminium respirait l’abondance.
Plus tard, j’ai réalisé mon rêve de posséder un cottage Queen Anne, construit en 1890. C’est un cliché, mais c’est vrai : on ne possède pas les vieilles maisons, on en prend soin pour ceux qui viennent après. En théorie.
Château Beauce
Jean-François Nadeau, du Devoir, nous apprenait vendredi que le Château Beauce au cœur de Sainte-Marie serait démoli pour faire place à des logements privés pour personnes âgées.
Érigé en 1903, le Château Beauce est l’œuvre de Jean-Omer Marchand, un important architecte québécois qui a signé la chapelle du Grand Séminaire et la prison de Bordeaux. Mais ses résidences sont rares.
La maison style Queen Anne est en excellent état. Vous devriez voir les foyers de marbre. La plupart du temps, ces grandes résidences étaient construites pour des familles anglaises. Mais pas celle-ci.
Pourquoi ne pas la réaménager pour des pensionnaires qui seraient ravis de finir leurs jours dans un « château » ? Cela coûterait entre 3 M$ et 4 M$, au lieu de 10 M$ pour du neuf, confirme le maire qui se dit « bricoleur ». Mais non.
Son insensibilité laisse sans voix. « Les gens qui ne sont pas d’ici, je ne vois pas en quoi ça les concerne », ajoutant : « Les couleurs du (nouveau) bâtiment seront adaptées au centre-ville, à l’église. Les gens s’énervent pour rien. »
Nous voilà rassurés.
Le ministère de la Culture a mis le holà pendant 30 jours, le temps d’étudier la valeur patrimoniale de l’édifice qui a aussi servi de monastère, mais être la belle du village ne suffit pas toujours pour émouvoir les bailleurs de fonds du ministère.
J’aimerais vous en dire plus sur cette maison, mais les archives historiques de la Beauce ont fermé en mars, faute d’argent.