De l’urine de cerf contaminée pourrait être en vente libre
Des professionnels appellent Québec à bannir ce produit pour protéger le cheptel
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Les chasseurs québécois pourraient utiliser sans le savoir de l’urine de cerf potentiellement contaminée comme leurre, alors qu’elle est interdite chez nos voisins afin d’empêcher la propagation de la maladie du cerf fou.
L’urine, comme la salive et les excréments, est l’un des fluides dans lesquels sont concentrés les agents pathogènes de la maladie débilitante chronique (MDC) du cervidé, les prions.
Or, cette substance naturelle est couramment utilisée par les chasseurs pour attirer leurs proies et masquer leur propre odeur.
« Dans le bois, on en trouve partout. C’est comme les vers pour la pêche. Les quincailleries, les dépanneurs, même les stations-service en vendent », explique la guide de chasse Sophie Rossard.
Pour éviter que les chasseurs répandent la maladie malgré eux, la Nouvelle-Écosse, l’Ontario et six États américains, dont le Vermont, ont interdit l’urine véritable et forcé l’utilisation de produits synthétiques.
Le gouvernement du Québec devrait faire de même, selon Jacques Monette, qui fabrique des leurres à Amherst près de Mont-Tremblant, à 2 kilomètres de la zone rouge qui entoure la ferme où a été découvert le premier cas de MDC au Québec.
Son entreprise, la ferme Monette Outdoor’s, a spontanément cessé la production et distribution d’urine ces derniers jours, devant la menace de la maladie. Ce produit ne représentait que 5 % de la production de la compagnie, qui favorise les leurres synthétiques.
Pas de test possible
« Il n’y a actuellement aucun moyen d’assurer que les leurres à base d’urine ne contiennent pas de prions », indique le Département de conservation environnemental de l’État de New York.
L’urine est produite par les fermes de cervidés. Comme aucun test ne permet de savoir si un animal vivant est atteint par la MDC, une bête asymptomatique pourrait produire des litres et des litres d’urine contaminée incognito.
Bien que l’urine pure contienne relativement peu de prions, elle est mélangée à des excréments lors de la collecte. Ces excréments contiennent eux une grande concentration d’agents pathogènes que les filtres sont incapables de retenir.
Aux États-Unis, les industriels de l’urine assurent prendre toutes les précautions pour que leurs produits soient sûrs. Tink’s Lures par exemple indique ne s’approvisionner qu’auprès de fermes qui n’ont eu aucun cas de MDC en cinq ans.
Aucune traçabilité
Mais, « les leurres d’urine sont le plus souvent des mélanges provenant de différentes sources, donc les chasseurs n’ont aucun moyen de savoir d’où provient le produit », souligne la Dre Krysten Schuler, de l’Université Cornell, dans un avis transmis à l’État du Vermont.
« Le premier cas de MDC en Pennsylvanie a été enregistré dans une ferme de cerfs certifiée sans MDC qui vendait des leurres en ligne », poursuit la scientifique du département de médecine vétérinaire de cette université de l’État de New York.
Devant les mises en garde des scientifiques, Mme Rossard appelle Québec à agir vite.
« Le gouvernement dort au gaz. Il va falloir qu’il se réveille rapidement, parce que les gens sont dans la forêt, là ».
– Avec la collaboration de Stéphane Sinclair
Le cerf fou
Où l’utilisation d’urine de cervidé est-elle interdite pour combattre cette maladie ?
États américains
- Alaska
- Arizona
- Vermont
- Virginie
- Pennsylvanie (certaines zones)
- New York
Au Canada
- Nouvelle-Écosse
- Ontario
L’industrie du cervidé en chiffres
- 650 fermes au Canada, dont 121 au Québec
- 38 747cervidés (wapitis, cerfs rouges et cerfs de Virginie) en captivité au Canada, dont 8782 au Québec
►Le Québec est le 3e plus grand producteur de cervidés au Canada après l’Alberta et la Saskatchewan
Source : Agriculture et Agroalimentaire Canada