Des thérapies bidon pour «guérir» l’homosexualité
Des églises québécoises, et même une psychothérapeute certifiée, disent que l’orientation sexuelle est un choix
Des entreprises et des organismes religieux, dont les donateurs bénéficient de crédits d’impôt, tentent de convaincre les Québécois qu’il est possible de traiter ou de guérir l’homosexualité, a découvert notre Bureau d’enquête.
Pendant quatre mois, notre équipe – avec l’aide d’un infiltrateur et de caméras cachées – a pris contact avec des groupes soupçonnés d’offrir ce genre de traitement. Nous avons trouvé cinq organisations qui offrent ce service ou qui ont accepté de l’offrir.
Conscients de la controverse entourant ce type de thérapie, ces praticiens opèrent souvent dans l’ombre. Mais pour ceux qui savent où chercher, l’offre est diversifiée.
Le « démon »
Notre équipe a rapidement réussi à trouver des pasteurs, des conseillères, et même une psychothérapeute certifiée par l’Ordre des psychologues, qui ont proposé leurs services, la plupart moyennant des centaines de dollars.
Parmi les traitements offerts, on note des séances de thérapie où on laisse supposer que l’homosexualité est « causée » par un traumatisme ou une mauvaise relation avec son père.
On parle aussi d’ateliers religieux qui proposent de guérir les gens « brisés sexuellement », et même une délivrance aux allures d’exorcisme, où notre infiltrateur a été libéré du « démon » de l’homosexualité au téléphone.
Dans tous les cas sauf un, ces services étaient associés à des organismes de bienfaisance qui amassent des milliers, voire des millions de dollars en dons admissibles à des crédits d’impôt.
La thérapie de conversion, aussi appelée « thérapie de réorientation sexuelle », stipule que l’homosexualité est un choix ou un trouble mental. Ses promoteurs cherchent donc à « rétablir » l’hétérosexualité de leurs clients ou paroissiens, ou à encourager l’abstinence.
L’Organisation panaméricaine de la santé affirme que les thérapies de conversion n’ont aucun fondement médical et « représentent une grave menace à la santé et aux droits fondamentaux des personnes affectées ». Selon l’organisme, il s’agit d’une pratique « injustifiable » qui devrait être « dénoncée et assujettie à des sanctions ».
Illégale ailleurs
La thérapie de conversion est illégale pour les mineurs en Ontario, en Nouvelle-Écosse et au Manitoba, et interdite pour tout le monde dans la ville de Vancouver.
Au Québec, les pratiques qui s’y apparentent sont généralement mal vues et condamnées par plusieurs ordres professionnels, mais demeurent toutefois légales. C’est ce que souhaite changer l’organisme québécois Alliance arc-en-ciel, qui a accouché de neuf recommandations en marge d’un rapport sur la thérapie de conversion publié en mai dernier.
« Nous, ce qu’on voudrait, c’est qu’une loi condamne les gens qui font ce genre de thérapie, plaide la directrice Julie Dubois. C’est vraiment l’horreur de penser qu’il y a des gens, des enfants qui subissent ça. Quand on regarde les témoignages, c’est de l’abus pur et simple. »
Groupe de travail
L’ancien gouvernement libéral de Philippe Couillard indiquait avoir mis sur pied un groupe de travail afin de « recenser les données probantes sur la question » et proposer un plan d’action. Julie Dubois affirme n’avoir reçu aucune invitation à ce sujet.
En octobre, une pétition a été déposée à la Chambre des communes incitant le gouvernement fédéral à bannir toute forme de thérapie de conversion chez les jeunes. Elle a, depuis, recueilli plus de 9000 signatures.
Il a vécu pas moins de trois thérapies
Gabriel Nadeau a à peine 12 ans quand il constate son homosexualité, une attirance considérée démoniaque dans sa communauté pentecôtiste évangélique. Troublé, il se confie à sa mère et demande de l’aide pour se « guérir ».
« Je croyais que c’était quelque chose à sortir, un one time shot, pis qu’après j’allais être délivré, » dit l’homme qui a aujourd’hui 24 ans.
La première délivrance est menée par le leader religieux de sa paroisse de Montréal-Nord, un homme qui demande à être appelé « Prophète ». Après avoir jeûné et bu de l’huile d’onction, Gabriel Nadeau subit une cérémonie aux allures d’un exorcisme.
« Ils étaient quatre personnes à me tenir, car ils croient que quand le démon sort, la personne tremble, se souvient-il. Jamais personne ne m’a crié dans les oreilles comme ça, ils criaient “Démon, sors au nom de Jésus, démon de l’homosexualité, sort du corps de ce jeune homme” ! »
Processus traumatisant
Il décrit le processus comme étant violent, traumatisant.
« Je voulais juste pleurer parce que c’était vraiment agressant. Mais je voulais tellement que ça marche. »
S’ensuit une lutte qui a duré sept ans, soit l’entièreté de son adolescence. En tout, il subit trois différentes thérapies de conversion.
« J’évangélisais pour que les gens deviennent chrétiens, donc une de mes punchlines de vente, c’était que Dieu m’avait libéré de l’homosexualité, évoque-t-il. Mais ce n’était pas représentatif de mon expérience, car mon combat, mon rejet de moi-même c’était chaque jour, chaque minute. »
« Je suivais toutes les instructions, toute la volonté de Dieu, mais rien ne changeait. J’étais encore attiré par les gars. »
C’est en s’exposant au monde à l’extérieur de sa communauté religieuse que Gabriel Nadeau réalise qu’il y a d’autres options, dont l’acceptation de soi.
« Je me suis permis de commencer à me questionner, et je pense que c’était ça, le déclic » dit-il. Maintenant heureux et amoureux, Gabriel Nadeau espère servir de modèle à ceux qui ont peur de vivre leur homosexualité.
« Les gens qui sont encore là-dedans, ils peuvent avoir 20, 40, 60 ans, je veux juste qu’ils entendent mon histoire et qu’ils réalisent que c’est possible de vivre autre chose, que c’est vraiment merveilleux ce que tu peux vivre. »
La démarche de notre infiltrateur
Pour infiltrer ces groupes et entreprises, notre collaborateur Philippe Meunier s’est glissé dans la peau d’un homme rejetant son homosexualité.
Un rôle qui ne reflète en rien sa réalité. Âgé de 37 ans, il a fait son coming out à l’âge de 21 ans, épaulé par sa famille et ses amis.
« Je suis super chanceux, j’ai toujours été accepté par tout le monde », relate-t-il.
Quand notre Bureau d’enquête l’a approché pour le projet, Philippe était surpris d’apprendre que ce genre de thérapie existait encore au Québec.
« Je trouve ça troublant, c’est épouvantable. »
Pendant quatre mois, notre équipe l’a aidé à contacter des conseillères, des pasteurs et une psychothérapeute avec une requête claire : il était attiré par les hommes et ne souhaitait plus l’être.
Honte d’être homosexuel
La vie qu’il racontait durant ses séances de thérapies suivait d’assez près son propre parcours.
« Je leur présentais une vie assez straight : un peu d’intimidation, une famille religieuse, une blonde que j’ai laissée pour un gars. » Rien de particulièrement traumatisant, affirme-t-il.
À ce récit, il ajoutait se sentir honteux de son attirance pour les hommes et exprimait une peur que ses parents le rejettent.
Les experts consultés par notre Bureau d’enquête affirment que, selon les codes de déontologie des praticiens en relation d’aide, il faut dans ce genre de cas aider le patient à s’accepter et l’encourager à se défaire de ses idées de conversion. Aucune des personnes consultées n’a incité Philippe à prendre cette voie.
« Ils tournaient les coins ronds rapidement pour trouver des bobos, » se souvient-il. L’intimidation à l’école aurait endommagé sa masculinité et les quarts de travail nocturnes de son père auraient engendré des problèmes d’attachement. Une expérimentation sexuelle à l’adolescence, décrite par Philippe comme étant une expérience agréable, devient soudainement un abus sexuel.
Le message à retenir ? Ces « épreuves » auraient mêlé Philippe, et avec un peu de thérapie et beaucoup de bonne volonté il pourrait s’en sortir et « redevenir » hétéro. Dans un des cas, l’hétérosexualité était accessible au moyen d’une simple « délivrance » téléphonique, administrée par un pasteur s’époumonant contre « l’esprit impur » de l’homosexualité.
« Ils ont vraiment essayé de me convaincre que je ne faisais pas le bon choix », se désole l’infiltrateur.
« J’étais quand même assez détaché, mais je me disais toujours : “Demain et après-demain ils vont voir d’autres gens pour les mêmes raisons, sauf qu’eux, ça va être vrai”. Je trouve ça troublant de savoir que ces gens-là ont cette position de pouvoir. »
Ils veulent les reprogrammer pour des centaines de dollars
Cinq organisations ou individus ont proposé à notre Bureau d’enquête des thérapies de réorientation sexuelle. Les voici.
Parcours Canada (Journey Canada)
QUI SONT-ILS ?
Anciennement connu sous le nom Torrents de vie Canada, ou Living Waters Canada, cet organisme pancanadien compte des bureaux dans six provinces, dont le Québec. Dans son rapport annuel de 2017, il se targue d’avoir épaulé plus de 9000 personnes dans 42 villes.
NOTRE DÉMARCHE
Les services de Parcours Canada nous ont été recommandés par l’organisme américain Desert Stream, qui propose ouvertement des thérapies de conversion. Sur son blogue personnel, le fondateur de Desert Stream, Andrew Cominsky, dit être un bon ami de Toni Dolfo-Smith, le président de Parcours Canada.
Bien qu’il propose des ateliers pour gens de tous les âges (dont des jeunes de 14 à 24 ans), le site web de Parcours Canada ne mentionne pas explicitement la conversion, parlant plutôt de guérison sexuelle ou relationnelle. Mais un extrait audio de 2012, attribué à leur coordonnatrice québécoise Kathryn Alarie, est plus explicite.
« Torrent de vie est un ministère qui a été créé pour aider les personnes qui luttent avec [une attirance homosexuelle], dit-elle à son public. L’intention de Dieu pour notre sexualité, c’est la complémentarité, c’est l’hétérosexualité, c’est un homme et une femme. »
Kathryn Alarie a répondu au courriel de notre infiltrateur avec des informations concernant un atelier de 18 semaines offert à Montréal en janvier, au coût de 495 $. Un programme de six semaines axé sur la « guérison profonde » était aussi offert.
LEUR RÉPONSE
Contactée par notre Bureau d’enquête, Kathryn Alarie nous a adressés à un représentant de Parcours Canada basé à Calgary. Graeme Lauber a nié s’adonner à la thérapie de conversion, prétendant plutôt offrir un choix à certaines personnes qui souhaitent vivre leur homosexualité « autrement ». Il a expliqué que son organisme offre du soutien à des gens aux prises avec toutes sortes de problèmes, dont certains qui – comme lui-même – luttent contre une attirance homosexuelle. Quant au programme pour adolescents annoncé sur leur site, il nous a dit ne pas en avoir entendu parler.
Isaiah 40 Foundation
QUI SONT-ILS ?
Organisme de bienfaisance enregistré auprès de Revenu Canada, Isaiah 40 Foundation est montrée du doigt dans le rapport d’Alliance arc-en-ciel.
Sur son site web, l’organisme anglican – qui compte une succursale à Notre-Dame-de-Grâce et une autre à Colchester, au Vermont – se vante d’avoir à son emploi 10 conseillers, dont des psychologues et une massothérapeute, qui sont là pour aider les gens à se « transformer à l’aide de Dieu ».
Le site ne parle pas explicitement de thérapie de conversion, mais nos recherches révèlent que le président de l’organisme s’autoproclame « ex-gai ». Il était annoncé en 2017 comme le présentateur d’une formation intitulée « Comment le Christ peut guérir les homosexuels ».
NOTRE DÉMARCHE
Notre infiltrateur a obtenu deux rendez-vous de 100 $ chacun avec une conseillère pastorale de l’Isaiah 40 Foundation. Lors de ces séances, elle lui a dit que son homosexualité découlait d’une « crise intérieure » et qu’avec une thérapie, il parviendrait potentiellement à changer son orientation sexuelle. « Est-ce que je me bats corps et âme pour être guéri et redevenir hétéro, ou est-ce que j’essaie juste d’accepter... », demande notre infiltrateur. « Non, l’interrompt la thérapeute. Si tu es ici pour dire que ton désir c’est d’être hétéro, tu dois faire ça, sinon tu vas être plus mélangé. »
LEUR RÉPONSE
Le directeur de l’Isaiah Foundation, Alex Cameron, nous a dit qu’il ne pouvait pas commenter l’expérience de Philippe, car les séances de thérapies sont confidentielles. Il a cependant nié s’adonner à ce genre de pratique.
« Notre organisme n’a jamais été un ministère de thérapie de conversion, et aucun de nos thérapeutes n’est formé dans ce domaine », a-t-il écrit au Bureau d’enquête dans un courriel.
Ta vie ton choix
QUI SONT-ILS ?
Ta vie ton choix (TVTC) est une corporation québécoise dirigée par l’ex-journaliste Michel Lizotte.
Selon le Registre des entreprises du Québec, le mandat de TVTC est « l’aide aux personnes luttant contre des attraits envers le même sexe, aide aux parents ayant un enfant souffrant d’un trouble de l’identité sexuelle ». TVTC se targue d’avoir accès à un éventail de thérapeutes – psychologues, psychanalystes et psychothérapeutes –, au service de leur clientèle. Sur son site web, l’organisme prétend que le taux de succès de la thérapie de conversion est de 35 % à 40 %.
NOTRE DÉMARCHE
Philippe n’a pas obtenu de rencontre avec les représentants, qui l’ont plutôt orienté vers les ressources publiées sur leur site web. Nous avons cependant rencontré un ex-administrateur du groupe, Laurent M. Leclerc, qui a confirmé que TVTC coordonne des thérapies de conversion pour des personnes – dont des mineurs – qui cherchent à se défaire de leurs attraits homosexuels.
Ayant lui-même lutté contre son homosexualité pendant des décennies, Laurent M. Leclerc concède que sa propre thérapie de conversion s’est avérée un échec. Il croit cependant que TVTC fournit un service nécessaire. « Je pense que le fait d’offrir une option à des gens, c’est une bonne chose. »
LEUR RÉPONSE
Michel Lizotte n’a pas voulu nous accorder d’entrevue.
George-Marie Craan (dans les locaux de l’église Nouvelle Vie)
QUI SONT-ILS ?
L’église Nouvelle Vie est une méga église évangélique à Longueuil. Elle compte plus de 4000 paroissiens dans la région et dit mener des activités dans près d’une dizaine de pays.
NOTRE DÉMARCHE
Le site web de Nouvelle Vie ne parle pas de thérapie de conversion (ni d’homosexualité, en fait), mais les services de cette église nous ont été recommandés par une représentante de Parcours Canada. Notre infiltrateur a obtenu deux rendez-vous à 100 $ chacun avec la psychothérapeute certifiée George-Marie Craan, dont le bureau se trouve dans les locaux de cette église à Longueuil. A priori, celle-ci l’avertit qu’elle est membre de deux ordres professionnels qui l’empêchent de lui dire ce qu’il « veut entendre. »
Avant la fin de la deuxième séance, cependant, elle se vante d’avoir aidé une cliente qui était « aux femmes » et déclare que, puisque Philippe a des valeurs chrétiennes et qu’il a déjà fréquenté une femme, il est possible pour lui de « désapprendre » son attirance pour les hommes et de se « reprogrammer ». « Je pourrais faire ça, me lever et me dire : je suis hétéro ? C’est comme ça que ça fonctionne ? » lui demande Philippe. La question suscite une réaction enthousiaste. « Voilà, oui, tu peux, c’est ça, s’exclame la psychothérapeute. Je suis un homme, et merci, Seigneur, parce que tu vas me donner une femme. »
LEUR RÉPONSE
Nancy Collette, l’avocate de l’église Nouvelle Vie, n’a pas voulu aborder la position de l’église quant à l’homosexualité, mais a catégoriquement nié offrir des thérapies de conversion.
« On n’offre aucun programme à cet effet-là, il n’y a aucun propos public qui sont faits à savoir qu’on fait des thérapies de conversion, il n’y a aucune publicité non plus, a-t-elle affirmé. Nous, on est une église, donc, ce qu’on fait, c’est qu’on accompagne les gens dans une démarche spirituelle chrétienne. »
L’avocate a aussi affirmé que la thérapeute avait communiqué avec son ordre professionnel, qui lui avait assuré qu’elle n’avait rien à se reprocher dans sa démarche auprès de Philippe.
Finalement, elle a soutenu un jour plus tard que la psychothérapeute avait rencontré notre infiltrateur dans le cadre de sa pratique privée, et non dans le cadre des activités de l’église.
À preuve, selon elle, si les services de la psychothérapeute avaient été offerts par l’église, ils auraient été gratuits, alors que dans ce cas-ci, Philippe a payé 200 $.
Notons que les deux rencontres ont eu lieu dans les locaux de Nouvelle Vie.
Pasteur Michaël Lebeau
QUI SONT-ILS ?
Pasteur pour l’église de la Victoire à Granby, Michaël Lebeau est aussi directeur de la chaîne chrétienne EMCI-TV, qui présente des vidéos intitulées Comment vaincre l’homosexualité ? et Comment faire pour être libéré des désirs homosexuels ? à ses 200 000 abonnés. La chaîne et l’église sont toutes deux enregistrées comme organismes de bienfaisance auprès de Revenu Canada. Michaël Lebeau pratique également des « délivrances » pour une variété de troubles en Afrique, en Europe et au Québec.
NOTRE DÉMARCHE
Après avoir échangé quelques courriels avec notre infiltrateur, le pasteur Lebeau accepte de « délivrer » Philippe de son homosexualité, en direct, au téléphone. « Satan, tu es vaincu, esprit d’homosexualité, tu es vaincu, crie-t-il dans l’appareil. Je libère son âme maintenant, il est libéré de l’attirance vers les hommes, libéré de ce mensonge ! »
Contrairement aux autres organismes, Michaël Lebeau a offert ses services gratuitement.
RÉACTION
Nous avons confronté M. Lebeau à ses déclarations et il nous a dit ne pas se souvenir des détails de son appel avec Philippe. « J’ai prié de tout mon cœur pour cet homme », nous a-t-il dit. Considère-t-il que l’homosexualité est un démon ?
« Pas spécialement, ça dépend de la personne, de son passé. En fait, un même problème peut avoir plusieurs sources », a-t-il expliqué, ajoutant qu’il croit que certains individus peuvent être délivrés de l’homosexualité. Il a cependant refusé d’élaborer.
« Je sais que des pasteurs sont tombés dans des pièges, ont été accusés par des lobbys et, donc, moi je fais le choix de ne plus parler de ça. »
DES MILLIONS DE DOLLARS EN DONS
Plusieurs organisations présentées dans ces pages sont associées à des organismes de bienfaisance qui amassent des milliers, voire des millions de dollars en dons admissibles à des crédits d’impôt.
Isaiah 40 Foundation
Dans les cinq dernières années, l’Isaiah 40 Foundation a reçu 434 776 $ en dons admissibles à des crédits d’impôt.
Parcours Canada
Dans les cinq dernières années, Parcours Canada a reçu 2 276 822 $ en dons admissibles à des crédits d’impôt.
Église Nouvelle vie
Dans les cinq dernières années, l’église Nouvelle Vie a reçu 21 427 486 $ en dons admissibles à des crédits d’impôt.
Pasteur Michaël Lebeau
Dans les cinq dernières années, l’église de la Victoire a reçu 1 239 911 $ en dons admissibles à des crédits d’impôt.
EMCI-TV en a reçu 430 669 $ pour un total de 1 670 580 $.
Une thérapie qui fait des ravages selon des experts
Les recherches sur les impacts des thérapies de conversion confirment que ce genre de traitement cause énormément de tort à ceux qui le subissent.
La Société canadienne de psychologie s’oppose catégoriquement à ce genre de traitement.
« Cette forme de thérapie est susceptible d’entraîner des résultats négatifs, comme la détresse, l’anxiété, la dépression, l’image négative de soi, un sentiment d’échec personnel, de la difficulté à maintenir des liens et le dysfonctionnement sexuel », affirmait l’organisme dans un rapport publié en 2015.
De son côté, l’Association américaine de psychologie juge que ces méthodes sont dangereuses, et rappelle qu’elles s’appuient sur la notion erronée que l’homosexualité est un trouble ou une déviance.
Médecin psychiatre et codirecteur du Centre d’orientation sexuelle de l’Université McGill, le Dr Richard Montoro a souvent eu à traiter des patients ayant vécu des thérapies de conversion.
Il explique que les scénarios se ressemblent. Le contexte est habituellement religieux, la communauté est souvent plutôt hermétique.
« Ce sont des parents qui amènent leurs enfants voir le pasteur pour essayer d’aider l’enfant à se défaire de ses désirs, ou bien l’enfant lui-même qui dit : ‘‘Je veux être straight. Être gai, c’est inacceptable dans ma communauté et je ne veux pas perdre ma famille, mes amis.’’ »
Son rôle le place aux premières loges des séquelles causées par ces thérapies.
« On voit beaucoup d’alcoolisme, de dépression, d’anxiété, de suicides, recense-t-il. Ça fait énormément de ravages. »
Richard Montoro rappelle que notre sexualité n’est pas nécessairement fixe, qu’elle peut évoluer au cours de la vie.
« Mais d’essayer de la changer de l’extérieur, de dire ‘‘Non tu devrais être Y au lieu de X’’, ça ne marche pas. Les études sont assez concluantes. »
Selon Richard Montoro, les groupes qui s’adonnent à cette pratique savent que leur taux de réussite est pratiquement de zéro. Quand le traitement échoue, ils donnent au patient l’impression que c’est de sa faute, qu’il est irréparable ou qu’il n’essaie pas assez fort.
Notre capacité d’aimer et de former des relations stables est inextricablement liée à notre sexualité, explique-t-il.
« Donc, si cette partie centrale de notre identité est étiquetée comme étant mauvaise, on ne peut pas se sentir bien. »
Certaines thérapies de conversion écartent la possibilité d’un changement d’orientation et prescrivent plutôt l’abstinence complète. Richard Montoro juge que cette approche est plus réaliste, mais tout aussi problématique.
« On est tous faits pour avoir des relations amoureuses et sexuelles, et essayer de réprimer notre sexualité, ça mène à des problèmes d’ordre psychologique. »
Très peu de données
Au Canada et au Québec, on retrouve très peu de données nous permettant de cerner l’ampleur de la pratique. Mais chez nos voisins du sud, une étude récente de l’Institut de recherche Williams révèle que près de 700 000 Américains – dont 350 000 mineurs – auraient vécu une forme de thérapie de conversion.
Ces statistiques sont particulièrement perturbantes pour le militant américain Alan Chambers. D’une part, parce qu’il a été témoin des torts causés par la thérapie de conversion, mais surtout parce qu’il cherche à se racheter. Dans une autre vie, Alan Chambers a aidé à populariser la thérapie de conversion à la tête d’Exodus International, la plus grande organisation de réorientation sexuelle au monde.
Il a quitté son poste en 2013 pour devenir l’un des plus ardents détracteurs de la pratique.
Au téléphone avec notre Bureau d’enquête, Alan Chambers décrit un processus de réflexion s’étalant sur plusieurs années, qui lui a permis de constater que ses actions n’étaient pas la volonté de son Dieu.
« J’en suis venu à voir dans les Écritures que Dieu ne condamne pas les gais et les lesbiennes. »
« Quand j’ai fermé Exodus et que j’ai demandé pardon à ceux qui voulaient bien m’entendre, j’espérais pouvoir aider les gens à comprendre qu’il est possible d’aborder cet enjeu différemment. »
Selon Alan Chambers, les communautés thérapeutiques tous azimuts doivent se doter de paramètres très clairs stipulant qu’il n’est pas possible de changer d’orientation sexuelle.
Des traitements jugés inacceptables
« De faux espoirs », selon l’Ordre des psychologues
Dans un avis public sur les thérapies de conversion émis en novembre 2012, l’Ordre des psychologues du Québec avance que la recherche scientifique concernant cette pratique ne permet pas d’en conclure l’efficacité, et qu’il est par conséquent contraire à la déontologie de présenter ce type d’intervention comme une piste de solution viable.
« Non seulement ce n’est pas avéré, mais cela risquerait de susciter de faux espoirs et d’être à la source d’une plus grande détresse devant l’échec prévisible de ce traitement, » conclut le rapport.
Pas recommandé par le ministère
Un représentant du ministère de l’Éducation nous a écrit que le gouvernement ne recommande « en aucun cas » la thérapie de conversion. Le porte-parole explique que chaque établissement d’enseignement est légalement obligé de se
doter d’un plan de lutte contre l’intimidation et la violence, et que ce plan doit contrer « toute forme d’intimidation ou de violence motivée, notamment, par le racisme, l’orientation sexuelle, l’identité sexuelle, l’homophobie, un handicap ou une caractéristique physique ».
La ministre est « très préoccupée »
En réponse aux questions de notre Bureau d’enquête quant au fait que plusieurs de ces organisations soient reconnues comme organismes de bienfaisance et que leurs donateurs bénéficient de crédits d’impôt, un porte-parole de l’Agence du revenu du Canada nous a simplement envoyé une définition de ce qu’est un organisme de bienfaisance.
« Selon les tribunaux, les fins d’un organisme de bienfaisance doivent conférer un bienfait d’intérêt public », a-t-elle écrit, ajoutant que ces organismes sont tenus de ne pas enfreindre la loi ou aller à l’encontre des droits de la personne.
La ministre du Revenu national Diane Lebouthillier nous a par la suite écrit qu’elle était « très préoccupée » d’apprendre que des individus et organisations tentaient toujours de guérir l’homosexualité au pays.
« Toute forme de discrimination fondée sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre est simplement inacceptable, » a-t-elle affirmé.