Un premier médecin coupable d’acte criminel
Il a donné un congé d’hôpital à une patiente qui a été retrouvée morte plus tard
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SAINT-JÉRÔME | Pour la première fois au pays, un médecin a été reconnu coupable d’un acte criminel dans l’exercice de ses fonctions, hier, pour avoir donné à tort son congé d’hôpital à une patiente qui est ensuite morte chez elle.
« C’est une jurisprudence, c’est une première et, si je ne m’abuse, c’est une première au Canada », a affirmé la procureure de la Couronne, Claudia Ossio, au palais de justice de Saint-Jérôme.
Le médecin de Laval, Jérôme Dufour, a plaidé coupable d’avoir omis de fournir les choses nécessaires à l’existence d’une personne à sa charge. Il était d’abord accusé de négligence criminelle, mais après « plusieurs heures de discussion », les parties ont convenu d’amender le chef d’accusation.
Il a été condamné à neuf mois de détention dans la collectivité par le juge Michel Bellehumeur, comme le suggéraient les deux parties.
« Le 11 mars 2012, ma vie s’est effondrée. [...] La seule chose que j’attends, c’est d’aller la rejoindre », a lu en larmes devant la cour la fille de la patiente, Liliane Ritcher, décrivant en détail la « relation fusionnelle » qu’elle partageait avec sa mère et la douleur qu’elle ressent toujours.
Fumer aux toilettes
Sa mère, Lilianne Noury, était hospitalisée à l’hôpital de la Cité-de-la-Santé à Laval, où le Dr Dufour était le seul urgentologue présent pour le quart de nuit.
Selon l’exposé conjoint des faits lu en cour, Mme Noury, qui suivait une cure de désintoxication pour l’alcool et le tabac, était en détresse respiratoire.
La patiente aurait formulé à quatre reprises le souhait de quitter l’hôpital. À sa deuxième évaluation, le Dr Dufour lui a donné son congé, même s’il lui avait déjà diagnostiqué « une maladie pulmonaire obstructive chronique sévère et exacerbée ».
Peu de temps après, le médecin aurait su que la patiente était allée fumer aux toilettes avec sa bonbonne d’oxygène. Il note alors à son dossier : « Est allée fumer aux toilettes... congé ».
La patiente est alors partie chez elle en taxi sans que soit avisée sa famille ou le centre de désintoxication, comme le spécifiait la note au triage. Sa fille l’a retrouvée sans vie le même après-midi.
Il avoue
Le médecin a reconnu qu’il n’aurait pas dû donner ce congé à Mme Noury compte tenu de son état. De plus, il aurait fallu que la patiente confirme par écrit sa décision de quitter les lieux, contre avis médical.
Le Dr Dufour avait d’abord été radié cinq mois par son ordre professionnel après avoir été reconnu coupable de négligence.
La famille de Mme Noury l’a aussi poursuivi pour 329 000 $ au civil. Le litige a fait l’objet d’un règlement à l’amiable.
Ni le médecin ni son avocate n’ont voulu commenter le jugement.
Me Nadine Touma a fait valoir que Jérôme Dufour, marié et père de famille, exerçait désormais seulement la médecine en clinique.
Un cas qui va rester rarissime, selon des avocats
Les médecins condamnés au criminel vont demeurer rares, selon des avocats spécialisés en droit médical, mais cette première condamnation risque de pousser les médecins à faire preuve d’une plus grande prudence.
« Sûrement que les médecins vont regarder cette cause avec attention et réviser leur manière de donner le congé aux patients vulnérables ou difficiles », affirme l’avocate Mylène Beaupré, qualifiant « d’inusitée et d’exceptionnelle » la condamnation du Dr Jérôme Dufour, de Laval.
« Le jalon est important », estime à son tour Me Jean-Pierre Ménard.
« Ça donne une portée assez grande aux devoirs du médecin envers son patient, même avec une accusation réduite [de négligence criminelle à avoir omis de fournir les choses essentielles à l’existence] », poursuit-il.
Prouver l’intention
Il souligne que de prouver l’intention criminelle et malicieuse de vouloir faire mal restera cependant difficile.
« Ça devait être extrêmement clair que le congé était inapproprié dans ce cas-ci », ajoute Me Beaupré.
Tous les deux croient aussi qu’il s’agit d’une première au pays. D’autres médecins avaient déjà été accusés au criminel, mais ils avaient été acquittés.
« Ça peut sensibiliser de part et d’autre la société », s’est contentée de dire la procureure Claudia Ossio au sujet de sa cause.
De retour au travail
Au Collège des médecins, le Dr Yves Robert soutient qu’il est difficile de spéculer sur l’impact qu’aura cette condamnation. Il doute cependant qu’elle ait un effet boule de neige.
Le Collège ajoute que le Dr Dufour a déjà été puni par son ordre professionnel pour ce même geste. Il devrait pouvoir continuer d’exercer la médecine une fois sa peine écoulée. Les médecins reconnus coupables d’une infraction criminelle doivent en aviser leur ordre professionnel.
Pour sa part, la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec rappelle que ses membres « ont le devoir primordial de protéger et de promouvoir la santé des individus qu’ils servent ».