L’Individu 1 est en sursis
C’est désormais un fait incontournable: Donald Trump est directement impliqué en tant que complice dans deux délits criminels. Si on se fie à la réaction des membres de son parti, il en faudra beaucoup plus pour les convaincre de le déloger... mais ça ne fait que commencer.
Mercredi, l’ancien avocat de Donald Trump, Michael Cohen, a reçu une peine de prison de trois ans après avoir plaidé coupable à six chefs d’accusation, y compris d’avoir participé à un paiement de 130 000 $ pour acheter le silence de l’actrice porno Stormy Daniels sur sa liaison avec Donald Trump. Ce paiement a été effectué dans les derniers moments de la campagne électorale de 2016, dans le but explicite d’éviter la publication d’informations compromettantes, ce qui en fait une infraction à la loi électorale fédérale. Michael Cohen a plaidé coupable et son acte d’accusation mentionne qu’il a agi en étroite collaboration avec, et pour le bénéfice de, «Individu 1». Un autre paiement illégal semblable a été fait par la compagnie mère du tabloïd à potins National Inquirer, pour couvrir une autre liaison de Trump.
Donald Trump ne se donne même plus la peine de nier les faits, qui sont appuyés par des preuves matérielles solides. S’il n’était pas président, il aurait sans doute déjà été mis en accusation. S’agit-il d’infractions graves? Oui: des contributions excessives de plus d’un quart de million de dollars à une campagne électorale, c’est sérieux. Est-ce que cela veut dire que Donald Trump est cuit? Non. Il en faudra plus pour venir à bout d'un président adulé par une base électorale que les politiciens républicains ne peuvent se permettre de contrarier.
D’abord, même si rien n’empêche formellement le département de la Justice de déposer une mise en accusation contre le président devant les tribunaux, les conventions rendent cette option compliquée et il est fort probable que le niveau de l’offense et la solidité de la preuve sur ces deux accusations seulement ne sont pas jugées suffisantes pour inculper un président en exercice, même s’il semble que les procureurs de New York n’hésiteront pas à le faire une fois le mandat présidentiel passé.
De plus, la Constitution stipule qu’un président accusé de crimes ou de délits majeurs peut être sujet à un processus de désaveu (impeachment) et de destitution (removal). À la Chambre des représentants, qui agit comme jury de mise en accusation, une majorité simple suffit au désaveu et la majorité démocrate qui siègera dès janvier rend ce scénario très plausible. Il revient ensuite au Sénat de juger de la culpabilité du président et les deux tiers des votes sont nécessaires. Il faudrait donc qu’une vingtaine de sénateurs républicains soient prêts à déloger le président. Ça, c’est loin d’être fait.
Les républicains ne voient pas de crime
La réaction du doyen des républicains au Sénat, Orrin Hatch (Utah), en dit long sur le caractère éminemment politique de ce jugement. Il convient de rappeler que le Sénateur Hatch était aux premiers rangs des accusateurs de Bill Clinton en 1998, alors qu’il avait été désavoué par la Chambre des représentants pour avoir menti dans une déposition sous serment.
Dans les deux cas, des infractions criminelles ont été commises dans le but de cacher une relation sexuelle embarrassante, mais les tables partisanes sont renversées. Devant l’évidence que le président est impliqué dans des infractions criminelles, Hatch résume l’attitude de son parti : «Je m’en balance. Tout ce qui compte est que le président fait un bon boulot. (...) Il faut le juger sur cette base plutôt que de fouiller dans son passé...». Bref, même si on peut démontrer de façon assez convaincante que le président est impliqué dans des actes criminels, les perspectives de destitution restent pour le moment théoriques.
Ce n’est qu’un début
Pour le moment, car d’autres charges pourraient vraisemblablement s’ajouter à celles qu’on connaît déjà. Par exemple, l’enquête Mueller continue son travail et s’approche de plus en plus du cercle rapproché de Donald Trump. Déjà, l’enquête sur l'affaire russe a produit un total de 192 accusations criminelles; 36 personnes et entités ont été mises en cause, sept personnes ont déposé des plaidoyers de culpabilité (la plupart en offrant de coopérer avec les enquêteurs); une personne (le directeur de campagne de Trump) a été reconnue coupable en procès; et quatre personnes ont reçu des sentences de prison (pour une mise à jour, voir ici). Si c'est une chasse aux sorcières, ça fait pas mal de sorcières...
En parallèle, les saisies effectuées durant l’enquête ont ouvert la porte à une multitude de poursuites en cours ou potentielles contre l’entreprise familiale de Donald Trump, sa fondation, les membres de sa famille et, bien sûr, le président lui-même. Ces poursuites, y compris celles liées aux paiements illégaux aux anciennes maîtresses de Trump, sont entre les mains des procureurs fédéraux de New York, qui agissent indépendamment du procureur spécial Mueller. À ceux-ci s’ajoutent aussi les procureurs de l’État de New York, qui ont déjà entamé des enquêtes sur des infractions possibles à la loi étatique.
Par-dessus le marché, les autorités fédérales ont aussi entamé une enquête sur des malversations financières en lien avec des dizaines de millions de dollars versés pour financer les célébrations de l’investiture du président en janvier 2017, dont la provenance et les utilisations demeurent suspectes.
En sursis
Devant cet amoncèlement d’infractions et de crimes, quelle est la réaction du Parti républicain, qui proclame encore être le parti de la moralité, de la loi et de l’ordre? En bref: «Pas la peine de regarder. Il n’y a rien à voir ici. Circulez...»
Ça ne pourra pas durer indéfiniment. Quand les membres républicains du Congrès décideront qu’il est n’est plus politiquement payant de fermer les yeux, cette attitude a de bonnes chances de changer assez rapidement. L’Individu 1 est en sursis.
* * *
Pierre Martin est professeur de science politique à l’Université de Montréal et directeur de la Chaire d’études politiques et économiques américaines au CÉRIUM. On peut le suivre sur Twitter: @PMartin_UdeM