Impossible de savoir où vont les bombes et munitions fabriquées ici
Il y a quatre immenses sites de fabrication et de tests des armes militaires au Québec, dont un à Repentigny
Obus d’artillerie lourde et pour chars d’assaut, roquettes, grenades, balles pour tireurs d’élite...
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Au Québec, la compagnie qui doit vendre des blindés ontariens à l’Arabie saoudite se spécialise plutôt dans les munitions en tous genres.
Impossible toutefois de savoir si General Dynamics exporte aussi ses bombes de Repentigny vers le royaume : aucune base de données ne recense les entreprises qui exportent ces produits à l’étranger.
La filiale présente au Québec de General Dynamics (Produits de défense et systèmes tactiques — Canada) emploie plus d’un millier de personnes dans ses trois usines de Repentigny, Salaberry-de-Valleyfield et Saint-Augustin-de-Desmaures, près de Québec.
La multinationale de l’État de Virginie exploite même un site d’essai de munitions sur des terres fédérales en bordure du lac Saint-Pierre, à Nicolet, au Centre-du-Québec.
General Dynamics est le sixième plus important fournisseur militaire au monde, selon le Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI), un organisme indépendant qui collige toutes les données disponibles sur les ventes d’armes. Elle vaut 48 milliards $ américains en Bourse.
Qui sont ses clients ?
Qui achète les bombes québécoises de General Dynamics ? Avant tout, les armées canadienne et américaine. Les usines de l’entreprise font partie d’un archipel de 24 sites fournissant les forces d’Amérique du Nord en munitions.
Mais l’entreprise expédie aussi ses bombes aux quatre coins du globe, selon la banque d’information en ligne du Centre de recherche industrielle du Québec, qui regroupe des informations sur l’ensemble des secteurs manufacturiers.
Impossible d’en savoir plus. La porte-parole de General Dynamics aux États-Unis, Katherine Claytor, n’a répondu à aucune des questions de notre Bureau d’enquête et n’a pas voulu dire si l’entreprise exporte du Québec vers l’Arabie saoudite ou les Émirats arabes unis.
Un secret bien gardé
La base de données du SIPRI, principale source d’informations pour notre reportage d’hier sur les ventes militaires de l’aéronautique québécoise atteignant plus de 920 millions $, est muette sur les exportations de munitions, trop nombreuses pour être retracées correctement chaque année.
Quant au gouvernement fédéral, il n’identifie pas les firmes qui exportent ces produits.
Le quotidien The New York Times rapportait en août que les autorités ont retrouvé des restes portant le logo de General Dynamics à côté d’un autobus qu’une bombe saoudienne avait fait exploser, tuant 54 personnes, dont 44 enfants.
Impossible de savoir si certaines pièces ou composantes de la bombe avaient été manufacturées au Québec, d’autant plus que l’entreprise compte des dizaines de sites de production en Amérique du Nord et en Europe.
10 M$ aux Saoudiens
De 2014 à 2017, le ministère des Affaires mondiales a cependant déclaré des exportations de munitions, bombes et explosifs militaires totalisant plus de 10 M$ vers l’Arabie saoudite, sans identifier les fournisseurs.
Le Canada a annoncé qu’il révisera toutes les ventes d’armes au royaume et a décidé de ne plus délivrer de permis d’exportation avant d’avoir terminé l’exercice, en réaction au meurtre du journaliste Jamal Khashoggi, en octobre, dans un consulat saoudien en Turquie.
– Avec la collaboration d’Andrea Valeria
Fabriqués au Québec
♦ Munitions de char de 120 mm.
♦ Cet obus de 155 mm est utilisé comme pièce d’artillerie lourde.
♦ General Dynamics fabrique aussi des grenades à main.
Un nouveau traité... et après ?
Ottawa doit finalement adhérer cette année au Traité des Nations Unies sur le commerce des armes. Difficile toutefois de savoir ce que ça changera pour les fournisseurs aéronautiques de l’Arabie saoudite et ses alliés, car le fédéral n’a pas fourni de réponses claires à ce sujet.
En février dernier, la ministre fédérale des Affaires étrangères, Chrystia Freeland, discutait dans une allocution du projet de loi C-47, qui doit permettre la mise en œuvre du Traité.
« Notre gouvernement [...] n’autoriserait pas l’exportation d’une marchandise contrôlée s’il existait un risque substantiel qu’elle puisse être utilisée pour commettre une atteinte aux droits de la personne », disait-elle.
En ce moment, les moteurs d’avion et les aéronefs civils appelés à être armés sont cependant exclus du contrôle des exportations canadiennes.
Le texte du Traité auquel le Canada doit adhérer, de son côté, interdit non seulement les armes de combat à des régimes susceptibles de violer les droits humains, mais aussi les « pièces et composants » nécessaires à leur fabrication.
Dans un courriel que le ministère des Affaires étrangères a fait parvenir à notre Bureau d’enquête, le porte-parole Stefano Maron affirme pourtant que « le Traité sur le commerce des armes n’aborde pas l’exportation d’aéronefs civils », même s’ils sont vendus à des contracteurs qui les transforment en machines à tuer pour des dictatures en guerre.
Projet de loi muet
Le projet de loi C-47 est muet sur la question. La liste des marchandises visées par les contrôles à l’exportation pourrait cependant être modifiée dans les règlements, qui devraient être écrits vers le milieu de l’année.
En attendant, les demandes de notre Bureau d’enquête pour une entrevue avec la ministre sont restées lettre morte.
Ce silence inquiète le professeur de droit Daniel Turp, qui se bat pour empêcher les entreprises canadiennes de vendre des armes à l’Arabie saoudite et ses alliés dans la guerre au Yémen.
« C’est mauvais signe, dit-il. Ils ont des intentions, ils devraient les faire connaître. »
Le Traité sur le commerce des armes est en vigueur depuis quatre ans, mais le Canada ne l’applique toujours pas.